L’amoureux du vin reste sur ses gardes, à Vevey sur les terrasses de la Confrérie. Tant les vins officiels de la Fête des Vignerons semblent flatter le goût du plus grand nombre, sans oser la complexité. Cependant, le Dézaley AOC Premium 2017, produit en très petite quantité par des vignerons-tâcherons honorés durant la fête, promet un beau voyage à l’esthète. On rêve naïvement à plus de qualité, à l’exaltation du terroir ouverte au plus grand nombre. A une mise en scène généreuse des vins de la région qui convertirait de nouveaux apôtres de vins de l’imaginaire. A quand un metteur en scène de la boisson, un Daniele Finza Pasca des nectars?

L’amoureux des arts vivants peut craindre le gigantisme d’un spectacle conçu pour une arène de 20 000 personnes, dont quatre tableaux se laissent découvrir ce lundi soir en exclusivité pour les médias. Et là étonnamment le sentiment inverse prédomine. Comme si cette foule d’acteurs-figurants se laisse regarder, diriger et que devenue insectes ou cartes à jouer malléables, la foule redevient une harmonieuse mosaïque de citoyens du canton de Vaud. Comme si toute cette technique hors de prix, ne servait que le propos, allégeait les âmes. Cela commence précisément par une libellule accrochée à un fil, on reconnaît les codes des nouveaux cirques avec pourtant des mouvements libres, déliés d’une danseuse. Une dame nous dira à la fin des tableaux, que figurante en 1999, elle ne se sentait par considérée, écoutée comme cette fois-ci par le metteur en scène Daniele Finzi Pasca.

C’est à la fois crédible et inouï cet embryon de spectacle, comme lorsque l’on parcourt fiévreusement Alice au pays de merveilles, de Lewis Caroll. Pas besoin de tout comprendre. Les barrières recouvertes de vignes se promènent librement sur toute la surface de la scène. Une attention toute particulière reste portée aux objets. Les dessins d’enfants clament leur puissance d’œuvre d’art. Les casiers jaunes des vendangeurs se transforment en cajón de nuits rythmiques sévillanes, les cuves en inox en tambours du Bronx. Le rythme tribal s’impose, recouvre encore trop les textes, des ajustements restent possibles, mais le rythme tribal se mêle joyeusement aux mouvements d’ailes des étourneaux. Les compositeurs semblent entendre toutes les bourrasques du lac pour les relier directement à notre estomac.

Quand arrivent les cent pour cent, deux cent femmes et hommes portant des néons. On imagine: un clin d’œil à l’art contemporain du sculpteur Dan Flavin ou une simple évocation de porteurs de bambous dans une forêt nipponne. A ce moment le chœur disposé aux quatre coins des tribunes se met à siffler inventant une nouvelle langue. L’émotion, les larmes nous viennent aux yeux.

Alors évidemment, on perçoit quelques facilités, comme ces machines à fumée fabriquant des ombres artificielles ou cette capite en bois alibi au milieu d’un tableau peuplé de fourmis. Mais on retient surtout la façon dont le chœur à la texture vocale maîtrisée et dégageant de la tendresse nous saisit. A tout moment, on peut regarder les mouvements d’ensemble au loin où se concentrer sur un détail, un visage plus près de sa place.

Les sorties de scènes fluides magnifient le volumineux espace. La gestion des couleurs impressionne, un tapis vert se transforme en damier blanc. La beauté animale, végétale, la grâce sincère de ces quatre tableaux ressemblent à la gentillesse non feinte, à la générosité de la petite famille autour et avec Daniele Finzi Pasca. On peut se moquer gentiment de ses métaphores, de sa fantasmagorie, lorsqu’il parle: «De l’émotion que tu ressens au milieu d’un opéra, quand tu entends soudain le souvenir de la voix de ton grand-père quand il chante sous la douche.» Mais en même temps on peut avoir la certitude que Daniele ne triche pas quand il nous sert dans ses bras.

On aimerait rendre hommage à la foule des anonymes costumés brûlants de désir à jouer, à s’enivrer d’art vivant. Et on a envie en toute simplicité de recommander ce spectacle au plus grand nombre.