Lorsque Tim Berners-Lee inventa le web au CERN, il ne pensa probablement pas à la révolution socio-économique planétaire que cela provoquerait par la suite. L'objectif premier était de relier des documents scientifiques entre eux pour faciliter la recherche. Du moment qu'un document contient un lien vers un autre, il suffit de cliquer dessus pour l'ouvrir à l'écran, plutôt que d'aller chercher dans un autre répertoire, dans un autre livre, ou devoir se rendre dans une autre bibliothèque. Ces liens de point-à-point entre documents se sont rapidement généralisés à l'économie et à la société toute entière. La toile qui s'est tissée par ces relations directes entre objets et entre personnes a révolutionné notre façon d'interagir.

Le tourisme joue volontiers cette carte pour atteindre les clients. Or, aujourd'hui, le web se passe des intermédiaires et force les destinations et agences de voyage à chercher de nouveaux business models. L'heure est à la désintermédiation. Des plateformes comme dzin.ch et localbini.com le montrent clairement: la tendance est à une mise en relation directe du touriste et du prestataire de services. Les sites qui ne font que renseigner et conseiller sont de moins en moins pris en considération pour la prise de décision du touriste. Le premier contact n'est plus un site régional, mais google – si ce n'est pas directement booking ou tripadvisor. L'internaute gagne du pouvoir, les intermédiaires en perdent.

Les destinations touristiques traditionnelles ont été construites sur la base de frontières territoriales. Or, cette géopolitique est dépassée dans un monde où tout est connecté. Le touriste s'affranchit des limites territoriales. Aujourd'hui, nous n'arrivons plus dans une destination pour consommer un ensemble de prestations qu'on aurait assemblées pour nous auparavant en produits phares. Nous arrivons dans un lieu et composons nous-mêmes le puzzle des services qui feront notre expérience. L'intermédiaire est encore toléré s'il facilite la composition de notre expérience. Nous sommes loin de l'ancien business model où nous avions besoin de son expertise pour planifier nos voyages. A l'époque, nous confiions la planification d'un séjour à une agente de voyage, parce qu'elle disposait d'un avantage informationnel concernant un lieu. Pour acquérir cette expertise, elle a souvent dû se rendre sur place, vivre les services par elle-même. Elle partageait ses expériences et nous conseillait sur la quasi-totalité du voyage.

Le web représente une perte de pouvoir pour les intermédiaires. Parce que l'expertise se partage aujourd'hui par tous et avec tous. C'est la fin des modèles classiques de destination, d'agence, de courtier, de gérance, de détaillant… Le web aurait-il donc tout simplement sonné leur glas? Pas si sûr! L'expertise reste au centre de nos séjours et de nos voyages. Désormais elle n'est plus exclusive, mais universelle. Les destinations ont bien compris qu'elles doivent se détacher de leurs préoccupations géopolitiques et de leurs mécanismes de financement territorial. Elles cherchent une nouvelle proposition de valeurs comme intermédiaire. Dans le tourisme, nous avons besoin de nouveaux business models. Au bout du compte, l’objectif d'une destination reste encore et toujours de donner envie d'y passer du temps. Quand le conseil n'est plus demandé, on peut toujours raconter d'authentiques belles histoires. Le web fera le reste.


Thomas Steiner est directeur de Bulliard Immobilier, membre 
du jury du Milestone et ancien directeur de l'Union fribourgeoise du tourisme. [IMG 2]


Les invités du «cahier français»:  Anne-Sophie Fioretto, Thomas Steiner et Daniel Dufaux.