En allant au théâtre avec ma maman à Paris, on passait devant l’Atelier de Joël Robuchon, presque en s’inclinant devant la beauté de ses cuisines ouvertes. Comme si se jouait là aussi des scènes de la Comédie française. Bien plus tard en janvier 2017, avant sa venue à Genève comme président du Bocuse d’Or, je formulais une demande d’entretien. Impossible d’obtenir une heure de rendez-vous précise, il régnait comme un grand secret autour de sa venue. Lorsqu’il surgit vers midi, je fus frappé par sa taille fragile ses yeux perçants surgissant d’un essaim de communicateurs voulant le protéger, comme une rock star des fourneaux. Ce jour-là fut particulier, le monde de la gastronomie venait de perdre Paul Bocuse. Le visage de Joël Robuchon s’éclaira, quand il aperçut Frédy Girardet dans l’après-midi, beau souvenir que ces deux hommes qui se tombent dans les bras, sous le regard embué de sa fille Sophie Robuchon.

Finalement Joël Robuchon, s’attable seul à la grande table du concours du Bocuse d’Or, un journaliste lui fonce dessus, l’accapare. Je regarde la scène de loin prêt à renoncer à l’entretien. Puis, on me le présente, j’arrive à pas feutrés, il se rend disponible, son élégance frappe. Il commence par parler de la cuisine de l’instant de Frédy Girardet: «Il savait donner un goût incroyable à un oignon, une carotte.» Il poursuit en racontant une blague sur Paul Bocuse découvrant les toilettes toto au Japon et finissant le visage humide. Luc Le Vaillant dans un portait de «Libération», en 2003, résumait le chef ainsi: «Blagues salaces entre copains, et hyper-exigence dès qu'il retourne au turbin.»

Plus difficile de le faire parler de lui. En mars de cette année on rencontre Takeo Yamazaki, du Yoshi, à Moncao, seul restaurant japonais étoilé au monde signé Joël Robuchon. Les deux hommes se connaissent depuis 1994, il dit: «Je n’ai pas le droit de changer un plat avant qu’il le goûte. Parfois il y ajoute sa touche.Il incarne la loyauté, la complicité, la recherche perpétuelle du goût.» Le plat emblématique de Takeo Yamazaki ce «black cod» enveloppé d’une feuille de banane doit aujourd’hui se laisser déguster en amertume.

On repense aux lumières si particulières de l’Atelier Joël Robuchon, à Paris, que plus tard les artistes habitant à la Cité des arts, dégustaient avec les yeux.