Le longiligne réceptionniste de l’Hôtel Leisure Lodge ressemble à un coureur de fond. J’ai 13 ans, je porte fièrement un t-shirt du basketteur Magic Johnson. Il m’adresse la parole parce que je viens de Suisse comme Thomas Bickel, joueur de Grashoppers et de la Nati. J’ai reconnu Bickel, à l’aéroport de Zurich, au premier coup d’œil. Andrew le réceptionniste kenyan aussi parce qu’il collectionne les images Panini. J’aime le regard doux d’Andrew, souvent le soir m’arrête un moment pour parler d’un onze de rêve Ruud Gullit centre, René Higuita bondit comme un scorpion. Aujourd’hui, lendemain de Suisse–Brésil, à la gare je croise cette fille habillée tout en noir avec ce minuscule drapeau helvète dessinée sur sa joue. Les campagnes de promotion de Suisse Tourisme n’ont qu’à bien se tenir, elle endosse gothiquement son rôle d’ambassadrice.

Sur le terrain jamais je ne brillerai, toujours à la gym je reste le dernier sur le banc celui qui fait perdre la meilleure équipe du monde, celle de notre préau des Charmettes. Pourtant le football me nourrit. Dans les couloirs d’hotellerie­suisse je marche d’un air grave, captivé par mon envie d’écrire sur ce sujet sérieux et dérisoire entre tous: le football. Je croise Thomas Alleman qui dit: «Tiens voilà 
le penseur de Rodin…» Et si le spécialiste de la classification hôtelière savait que je songeais à la façon dont les joueurs offensifs français pourraient écarter le jeu pour gagner en efficacité. Me trouverait-il aussi sérieux? Certes j’ai lu «Une vie débutante – Étude pour saint Symphorien» de Pascal Omhovère où tout part du maillot du FC Metz et où on trouve cette phrase splendide: «Ce dont on ne peut parler, c’est cela qu’il faut dire…» Mais paradoxalement le football me renvoie surtout à l’intimité, à la solitude, à l’enfance et à l’éclat de rire de femmes intellectuelles, quand elles découvrent ma passion. Récemment à l’assemblée des délégués d’hotellerie­suisse, à Locarno, une jeune apprentie dit aimer l’hôtellerie parce qu’elle permet: «D’aménager une chambre pour que les clients puissent se retirer tranquillement comme dans une oasis.» Bizarrement, enfant je considérais le secteur Pesage de la Maladière comme un espace que je pourrais décrire ainsi, l’endroit où je me sentais le mieux au monde. Le premier lieu comparable à un bistrot que j’ai connu fut la course spéciale des Transports Publics Neuchâtelois, je montais toujours à l’arrière, sûr d’y retrouver ces vieux Messieurs les épaules recouvertes de tabac de pipe prêts à refaire toutes les actions du match. Comme d’autres jeunes hommes attirés par le néoréalisme italien et les sculptures filiformes de Giacometti j’ai eu honte d’aimer le football. Puis petit à petit en frôlant la Boca de Buenos Aires, en repensant à la poussière soulevée par des mômes dans un terrain fait de rien en Tunisie, en apprenant que Bernard Pivot aimait autant la littérature, le vin et le football. J’ai accepté de raconter.

Aujourd’hui dans un journal qui parle de tourisme, d’hôtellerie, de gastronomie, ici encore je digresse football comme pour convaincre les professionnels de ces branches que raconter des histoires doit partir de l’enfance. Un soir Andrew le réceptionniste disparut, on me dit qu’il était malade, un fantôme nommé malaria rôda. Je me sentis ce soir-là touriste du désespoir.