En Basilicate, au sud de l'Italie, Elena Fucci reprend en 2000 la cave familiale. Ses grands-parents ne vinifiaient pas, ils vendaient des raisins. L’ingénieure œnologue diplômée à Pise se consacre aujourd’hui à un vignoble de sept hectares et demi uniquement sur le cépage Aglianico del Vulture cultivé à 600 mètres, ce qui en fait les plus hautes et les plus vieilles vignes, environ 70 ans, d’une appellation qui regroupe 16 communes proches du volcan Vulture. Elle produit un seul vin nommé Titolo. Elle a contribué à donner de la noblesse à un cépage jadis sans beaucoup de nuance, que certains considèrent aujourd’hui comme le Barolo du sud. Titolo a obtenu 15 fois la mention trois verres du guide Gambero Rosso. «Se concentrer sur un seul vin permet de prendre plus de risques», dit-elle.

Elle aime les années froides mais vend mieux les chaudes
Elena Fucci décrit les racines de l’Aglianico entre 80 et 90 centimètres de profondeur dans de l’argile obscure qui se réchauffe l’été, grâce au climat continental du nord des Apennins. «Il fait frais chez nous, il neige jusqu’à mars, l’été reste bref de la fin juin à la moitié d’août, ce qui nous garantit une acidité, une minéralité et une tonicité.» Elle taille sa vigne à guyot double, en laissant entre 80 et 90 centimètres entre les rangs. Tout reste récolté à la main et cultivé sans irrigation. Elle vendange début octobre. Dynamique et rayonnante, elle accompagne toujours ses dégustations de précisions techniques et ne met pas une noble distance comme d’autres représentants de domaines italiens. En 2004, elle trouve que ses vins manquent d’acidité, et décide de vinifier ensemble le raisin des vieilles vignes avec celui des jeunes plantées en 1998. Elle produit entre 25 000 et 30 000 bouteilles par année.

«Se concentrer sur un seul vin permet de prendre plus de risques»
Elena Fucci, vigneronne en Basilicate et créatrice du vin Titolo

Dans la masterclass proposée à Zurich par le distributeur Caratello, avec des millésimes rarement dégustés comme 2008, on commence une première série entre 2004 et 2012. En 2004, le nez herbacé frappe avec des notes de framboise et une fin de bouche qui assèche le palais. En 2006, des arômes de pruneau, de cassis, un côté cendré, poussiéreux, un peu lourd. En 2008, quelque chose de plus pommadé et électrique salué par 94 points au guide Parker. En 2011, un peu comme en 2006, forte amertume, arôme d’eucalyptus. En 2012, un côté plus frais, parfum de rose presque animal. La vigneronne relève que les années 2006 et 2011 se caractérisaient par plus de fraîcheur. Elle aime les années froides, mais elle vend mieux les années chaudes. «Chez nous, deux années identiques n’existent pas.» A partir de 2013, après une étude sur son cépage, elle décide de vendanger avant, pour travailler sur une maturité phénolique moins forte et conserver le croquant d’une peau épaisse. Elle travaille avec des grappes entières sur un tapis de tri optique, puis sans filtration et laisse ensuite se faire les macérations jusqu’à Noël. Depuis lors, elle répète toujours les mêmes processus. «La poésie d’un vignoble développé par mon grand-père voilà 200 ans me plaît, mais je dois aussi y affirmer ce que j’ai appris pendant mes études.» Spécialiste de la dégustation, Hans Bättig souligne: «Elle effectue un travail œnologique précis guidé par son cœur, ce qui permet de trouver un goût plus amical au palais sans tomber dans la banalité.»

2019 offre une bonne synthèse de la dégustation
Si traditionnellement on vendangeait en Basilicate tardivement en octobre, c’était pour rentrer d’abord la récolte des olives. Elle a changé cela en recherchant une maturité plus vive comme sur les Beaujolais Nouveaux et en expliquant que les traditions ne font pas toujours bon ménage avec la qualité: «Le paysan doit parfois s’arrêter à la porte du domaine viticole.» Sur ce millésime 2013 équilibré au niveau climatique, elle obtient une légèreté, quelque chose de plus proche de l’infusion, avec des arômes de cumin et de sous-bois.

En 2016, la dimension de fruits rouges s’impose avec comme une touche finale d’encens. En 2018, la longueur en bouche impressionne. En 2019, avec une robe intense, la vigneronne trouve la synthèse de tout ce qu’elle recherche dans le vin, entre l’amertume de 2011 et le fruité de 2016, avec ce côté sauvage et herbacé.

Alexandre Caldara