Une des questions que les végans entendent le plus en Suisse romande reste: «Comment fais-tu pour survivre sans fromage?» Elle taraudait Tosca Olivi, qui se spécialise depuis la fin de ses études en 2020 à l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) comme consultante pour la restauration végane. Pendant le premier confinement, elle a conçu pour et avec son compagnon non végan Nu Cheese, une ricotta à base de noix de cajou bio du Brésil encore absente du marché. Une toute petite production dans le laboratoire du restaurant Alive, à Genève, que Tosca Olivi a aujourd’hui arrêtée pour se consacrer à ses différentes activités de consultante, mais qui pourrait bientôt renaître sous une autre forme, tant la demande existe. Pour Tosca Olivi, la commercialisation de Nu Cheese au début de l’aventure par la Crémerie Végane à Genève sonnait comme un gage de qualité: «Ils restent à mon avis de vrais experts en fromages végétaux.» Laetitia Aeberli, curatrice de l’exposition végane à l’Alimentarium qui se tient jusqu’en mars, nous vantait déjà les mérites de cette adresse gourmande surprenante, voilà quelques mois. Découvrons-la en détail…

«De la fermentation, du temps»
La Crémerie Végane a vu le jour à Genève en 2017. Ce commerce artisanal et familial vient de l’initiative d’artistes végétariens convaincus de longue date. Pour guérir d’une maladie auto-immune et d’un jeune cancer, afin d’équilibrer leur flore intestinale, ces derniers découvrent les vertus des produits lactofermentés et veulent les faire partager. La Crémerie Végane proposait au départ 2 à 3 produits. Aujourd’hui, elle en propose une vingtaine, de même qu’une dizaine d’affinés. Malena Azzam, cinéaste de formation, explique: «Etymologiquement, nous produisons du fromage, le mot vient de ‹formare› et signifie un produit fermenté. Mais la cour de justice européenne et la loi suisse ne permettent de nommer fromage que des produits à base de lait de vache ou de brebis.» Malena Azzam n’aime pas l’expression faux-mage: «Pour nos produits, il faut de la fermentation, de la température et du temps. Des fromagers de la Gruyère viennent à notre rencontre et le constatent. Nous partons simplement d’une autre base, la noix de cajou.» L’opinion de Tosca Olivi diffère sur le sujet des appellations: «Je trouve faux-mage amusant. Nous, on a appelé le nôtre Nu cheese et on n’a pas eu d’ennuis. Mais nu peut évoquer l’absence d’artifice, cheeze avec un z me plaît aussi. J’aime bien l’idée d’utiliser plein de termes différents pour qualifier ce nouveau type de produit. Même si évidemment le lobby du fromage lutte pour conserver son appellation.»

Pour sa production, la Crémerie Végane fait venir pas loin de deux tonnes du fruit de l’anacardier par bateau dans des filières durables en Afrique, au Burkina-Faso, au Bénin. Elle ne travaille pas avec l’Inde pour des raisons éthiques dues notamment aux conditions de travail des femmes. Selon Malena Azzam, certaines recherches existent pour faire pousser de la noix de cajou en Europe. A la Crémerie Végane, il faut quatre à cinq mois pour produire une meule d’affiné. Au début, il s’agissait surtout de fromages crémeux, mais aujourd’hui naissent aussi des pâtes dures et certains «qui puent comme du fromage», se réjouit Malena Azzam. «Ils demandent un savoir-faire et restent commercialisés environ 30% plus chers que d’autres produits végans industriels.» 

Pour notre première dégustation de fromage végan de notre vie, Tome 7, dont l’aspect ressemble à si méprendre à une tomme traditionnelle, surprend par sa fin de bouche tout en douce amertume. La bûche pop-corn curry se la joue plus agressive en bouche comme certains vins nature punk. Enfin, la bûche au poivre vert surprend par son équilibre, sa texture, son incroyable dimension florale. Elle nous semble la plus proche de la gastronomie, et on pourrait imaginer de beaux accords avec un chocolat noir et des figues. Malena Azzam souhaite d’ailleurs poursuivre et approfondir sa collaboration avec de grands chefs.