Au Jardinier, à l’Hôtel The Woodward, à Genève, le repas ne commence pas par un amuse-bouche, mais un amuse-juice. Un détonnant mélange de carotte, pomme, gingembre et citron qui offre un bel éclat au palais. Le chef exécutif Olivier Jean y ajoute un peu de pollen à froid qui gonfle dans le jus et propose ce final miellé. Voici le cadre posé, pour ce repas végétarien en quatre plats et un dessert qui nous attend dans ce restaurant, dont le concept imaginé par Joël Robuchon et Alain Verzeroli séduit les Etats-Unis depuis 2019. 

On déguste cette proposition de cuisine méditerranéenne, emplie de textures, de surprises, mais aussi de moments d’apaisement en écho au Swisstainable Veggie Day, mis sur pied par Suisse Tourisme le 1er octobre, dans un des restaurants d’hôtels les plus avancés sur la question en Suisse romande. Une équipe de neuf personnes peut assurer soixante couverts matin, midi et soir. Au-delà de son concept très pensé, le restaurant s’occupe aussi du room service et des plats plus classiques.

Une focaccia sans 
gluten servie tiède

Mais le chef Olivier Jean précise: «Le but de ce concept ouvert en 2019 à New York était de valoriser le légume et de proposer la protéine en accompagnement, renverser les proposi­tions habituelles. Ici, à Genève, cela me permet de pousser la logique locavore le plus loin possible.» Il raconte sa rencontre un dimanche avec Hugo Dufour, des Potagers de Gaïa, à Her­manc­e, et sa démarche d’agriculture durable: «Je vois un gars qui retourne sa terre avec un cheval. Je m’arrête, lui dis que je veux travailler avec lui, je pense que cela ne l’intéresse pas. Mais lui explique que nous nous contenterons de ce qu’il cultive, que nous n'allons pas lui demander plus.» La collaboration com­mence, le chef défend ses légumes terreux, qui passent par un local de désinfection: «Mais avec une carotte qui sent vraiment la carotte.» D’ailleurs, tous les plats s’imposent d’abord par leurs puissances olfactives. Les belles tomates mûres et colorées, coupées en gros morceaux, à la belle mâche, surplombent une gelée de pastèque à l’hibiscus. Puis la matière onctueuse du gaspacho vient enrober le tout, l’acidité et la légère sucrosité se complètent bien. Puis arrive encore un petit côté granulé qui roule sous la langue. Le chef sourit: «Des graines de basilic que je laisse gonfler dans l’eau, une technique que j’ai découverte au Mexique. J’hésitais à passer cela à la douane, mais elles poussent très bien à la maison, je les laisse germer à l’instar de graines de moutarde.» Au fond de l’assiette reste les traces rosé pâle du gaspacho en contraste avec le rouge écarlate de la pastèque. On peut saucer l’assiette avec une focaccia sans gluten fondante et servie tiède que l’on peut tremper dans un soupçon d’huile d’olive de Sicile. 

Le plat suivant arrive comme un archipel dans une assiette ronde, avec toute une déclinaison pointilliste où on reconnaît la touche d’un chef ancien compagnon de route du grand chef Joël Robuchon, pendant douze ans. De la burrata, avec des melons verts et orange en cubes et finement ciselés en roulade à la mandoline. Au centre de l’assiette, une espuma de petits pois et tout autour les mêmes pois juste saisis. Des goûts francs servis sans nappe sur des tables de granit vert comme pour assumer ce côté décomplexé dans la richesse des ornements du début du 20e siècle signé par l’architecte François Durel, dans un style post-haussmannien.

Des heures précises pour
la cuisson du cresson

Pour Olivier Jean, il faut aussi qu’un repas végétarien, comme toute autre proposition, amène une dimension rassurante. Il propose des gnocchis très légèrement aromatisés au citron et rentrant en contraste avec une purée de cresson. «Une plante délicate avec laquelle il faut rester extrêmement pointilleux, on termine toujours sa cuisson à 11 h 30 ou à 18 h 30 pour conserver toute son aromatique, sa puissance, lorsqu’elle refroidit.» 
Pour le plat principal arrive un risotto de chou-fleur, un grand plat onctueux et délicat orné au-dessus de chanterelles, de courgettes et d’asperges pour le croquant. Il se laisse déglacer à la Petite Arvine d’Alexandre Délétraz, qui privilégie les acidités et un final salin. «On taille le chou-fleur au couteau, le laisse rissoler, suer, on sale assez rapidement pour garder la suavité du jus et on le sert avec un bouillon acidulé.»

Le repas se termine par un travail estampillé vegan sur l’abricot du Valais servi dans une coupe. Une boule de crème et de fruit terminée à son sommet par un morceau soyeux de peau déshydratée. On trouve ensuite un granola, puis en dessous une vive compotée au curcuma. Malgré son côté floral, il s’agit peut-être de l’élément le plus austère du repas. 

Tout le reste s’imposait par une dimension festive et de belles portions qui ne laissent pas du tout l’appétit en berne. On en oublie presque qu’il s’agit uniquement de végétal tant l’équilibre des propositions impose sa palette de saveurs.