Les professeurs Philippe Masset, Alexandre Mondoux et Jean-Philippe Weisskopf  de l’EHL et Changins ont lancé en 2020 une étude sur les vins suisses et l’impact du Covid-19.

Les ventes se sont bien tenues en 2020
Les privés ont bel et bien consommé et acheté plus, mais ce n’est pas le cas des revendeurs, et surtout du secteur de l’accueil. Certains vignerons parlent d’un rebond fort et d’une solidarité généralisée durant l’été 2020, mais globalement les restaurants et hôteliers n’ont tout simplement pas été en mesure de passer des commandes suffisantes pour compenser le manque à gagner du printemps. Il faut également noter l’effondrement complet du secteur de l’évènementiel qui représente une part importante du chiffre d’affaires pour certains producteurs. Ainsi, globalement le mix clients a été décisif. Ceux qui dans l’ensemble s’en sortent le mieux sont ceux qui bénéficient d’une clientèle privée importante et qui ont été capables de la toucher efficacement. Plusieurs vignerons mettent en avant l’importance d’un site web convivial.

Une situation nuancée selon le profil des domaines
La première dimension est la taille de l’exploitation. On a en Suisse des «grandes maisons», des domaines de taille petite à modérée, et des «micro vignerons». Ces derniers sont souvent très tributaires des premiers auxquels ils vendent l’essentiel de leurs raisins. La seconde dimension fait référence à la réputation qualitative et à l’emprise du domaine sur le cycle de production-vente. Le segment constitué des « vignerons indépendants » est celui qui a généralement le mieux résisté à la crise. Le segment des «vignerons intermédiaires» a vécu une année compliquée, notamment du fait d’une clientèle moins importante, d’une demande en berne pour les raisins et le moût, et de la pression sur les prix. Quant à elles, les « grandes maisons » ont exploité leur taille en lançant des actions de communication/marketing et en réduisant leurs marges. Elles semblent avoir ainsi pu limiter les dégâts. Enfin, la situation des « micro vignerons », qui était souvent déjà difficile avant la crise, a encore empiré.

Les initiatives locales ont bien marché
Afin de contrer les effets négatifs du confinement, les vignerons ont agi principalement à deux niveaux: gestion attentive des flux financiers (notamment en reportant des investissements) afin de maintenir des liquidités suffisantes, et actions marketing/communication (mailing, offres spéciales, port gratuit). Les secondes semblent avoir été bien perçues par les clients et ont bien fonctionné. Les collectivités ont également mis en place des mesures tels que les réductions d’horaire de travail (RHT), les prêts Covid et la possibilité de déclasser une partie de la production. Les personnes interviewées jugent que ces mesures ont globalement été plutôt faibles. Ce n’est pas nécessairement surprenant compte tenu du peu de temps à disposition pour élaborer et déployer ces mesures. Et c’est également cohérent avec le fait que le Covid-19 n’a fait qu’exacerber les déséquilibres déjà présents auparavant. Concrètement, ce qui fait défaut, c’est une véritable stratégie s’attaquant aux problèmes structurels. Certaines actions locales ou régionales ont particulièrement bien fonctionné. Ainsi, les bons DireQt (Suisse romande), WelQome (Vaud), Kariyon (Fribourg) et les autres initiatives locales ont été très efficaces. Ces offres avaient toutes en commun d’offrir un rabais (subventionné par les collectivités publiques ou des entreprises dans le cas de DireQt) aux consommateurs pour les inciter à consommer local. (htr/aca)

Les cinq problématiques auxquelles la viticulture suisse fait face

1. Complexité: tout est fragmenté et sujet au régionalisme. De plus, nous avons nos propres pratiques, comme le système des AOC perçu comme confus.

2. Coûts de production: il est notamment impossible de produire des vins d’entrée de gamme à des prix comparables à ceux des pays voisins: «les vins bas de gamme les plus chers au monde».

3. Pas de solution unique: les besoins et opinions sont très variées, selon les segments, allant de la mise en place de mécanismes pour protéger la production indigène de la concurrence étrangère à la disparition anticipée  des «plus faibles», via notamment l’arrachage de vignes.

4. Manque de leadership: la branche souffre d’un manque de soutien et de l’absence d’une gouvernance suffisamment forte au niveau national. La multiplicité d’acteurs représentant la filière au niveau régional rend le tout opaque, complexe et, in fine, inefficient.

5. Organisation de la filière inadaptée : la filière fonctionne en flux tendus, ce qui la rend très tributaire des aléas économiques et climatiques. De plus, la baisse du nombre d’intermédiaires combiné à un report fréquent du rôle de porter les stocks des intermédiaires vers les vignerons placent ces derniers dans une position compliquée aussi bien financièrement que logistiquement.