Valentin Blattner, pourquoi la création d’une centaine de cépages résistants PIWI vous intéresse-t-elle vous, viticulteur bâlois implanté à Soyhières dans le Jura?
C’est tout simple. La viticulture existe depuis environ 20 000 ans. Depuis 100 ans, on utilise des moyens biologiques pour éradiquer le phylloxéra à la racine des ceps. Cinquante ans après, des traitements chimiques intensifs apparaissent pour traiter l’oïdium et le mildiou. Cela tue notre viticulture. Alors que des cépages américains permettaient d’affronter le problème avec des données naturelles, la plante peut vivre avec les champignons et les ravageurs. Je m’y suis intéressé et j’ai remarqué que cela permettait de diminuer largement les frais de traitement et l’usage des tracteurs et autres machines.

Donc, dans le Jura, vous avez inventé un mode de viticulture saine et sans traitement…
On a la paix, on n’utilise aucun produit toxique, les hélicoptères ne passent pas au-dessus des maisons. On m’a laissé faire, pourvu que je paie tout moi-même. Il s’agit de recherches privées et il est impossible de bénéficier de subventions ou du système des Appellations d’Origine Contrôlée.

Pourquoi avoir développé le cépage Cabernet Jura?
Il correspondait bien à ma situation géographique, il lui résistait. Il reste très facile à le reconnaître quand on le déguste. Mais on peut aussi donner des numéros aux nouveaux cépages comme le VB 32-7.

En même temps que vos recherches, la viticulture bio et biodynamique connaît un grand développement dans notre pays autour des cépages traditionnels…
Je considère cela comme du bla-bla, on vous fait croire à des vaches volantes. Tous ces vignerons traitent leur vigne avec des kilos de cuivre, un métal lourd; regardez autour des fenêtres ce que cela provoque. On sert de la nourriture à des champignons entraînés à bouffer du Pinot Noir, qui demande au minimum trois kilos de cuivre. Et en plus, ces producteurs dits biologiques restent très minoritaires, notamment dans un canton comme le Valais.

Vous dénoncez les dérives dans ce canton…
Leurs terrains viticoles sont morts depuis 30 ans. Ils deviennent des décharges de matériaux toxiques qui s’accumulent, les herbicides finissent dans l’eau qu’on boit. Ce type d’agriculture brûle deux fois plus d’énergie que ce qu’elle parvient à produire.

Vous dites que les recherches sur les cépages résistants ont été confisqués par les instituts d’Agroscope...
Après avoir refusé mon Cabernet Blanc, ils ont créé le Divico qui est tout de suite devenu le meilleur parce qu’ils édictent eux-mêmes les règlements. Les viticulteurs et les pépiniéristes doivent définir les meilleurs cépages, personne d’autre.

En Suisse, vous prétendez que le marketing autour de cépages traditionnels comme le Chasselas ou le Pinot noir domine tout…
On s’attache à la tradition sans vouloir faire confiance à une nouvelle tradition. Avant la chimie, ces cépages ne produisaient que du vin pour se soûler. Aujourd’hui, on décide qu’ils sont très bons en imitant des gros producteurs comme l’Amérique du Sud ou l’Afrique du Sud. On fait ainsi plaisir aux producteurs, pas aux plantes.

Pas tous les pays réagissent ainsi…
L’Italie a changé son encépagement avec le Primitivo ou le Nero d’Avola et a gagné des marchés. En Allemagne, le Cabernet Blanc, que j’ai développé, représente 10% du vignoble et produit des blancs de haute qualité.
Pourquoi la Suisse alémanique semble en avance sur la recherche indépendante en PIWI et le mouvement ne prend pas en Suisse romande?Certains furent pionniers notamment en Thurgovie avec Roland Lenz et Fredi Strasser qui montrent la voie à la nouvelle génération. Dans les grandes régions viticoles de Suisse romande, cela n’existe pas. 

Pour vous, il faudrait créer un nouveau label pour identifier une viticulture sans résidu…
Roland Lenz est en train de créer une appellation éthique, qui tient compte des conditions de travail et permet de créer des vins nature sans résidus. Ce type de bouteille peut facilement s’analyser en laboratoire. La nature suit toujours l’éthique. On définirait une même base solide pour l’ensemble des viticulteurs du monde en sortant des labels marketing actuels.