Quand Raoul Colliard, ambassadeur de la tradition dans son chalet de La Saletta, aux Paccots, regarde amusé le robot Bouébot touiller une fondue, nouvel outil de marketing en milieu urbain de Terroir Fribourg, cela donne une idée des chocs culturels du premier Suisse Fondue Festival de Fribourg. Son grand défi restait de célébrer un plat de convivialité et de partage dans un espace de dégustation accessible seulement avec un forfait à 29 francs. Et où il fallait faire la file avant de tremper son pain. Le défi pour les 14 exposants s’avérait de proposer leur propre version d’une fondue fraîche. Avec une charte claire: au minimum 48,5% de l’une des deux AOP (Gruyère ou Vacherin fribourgeois) et si les deux AOP se trouvent réunies dans la fondue, au minimum 33% par AOP. Premier arrêt pour la fondue gruérienne Alpina. Jean-Baptiste Grand touille une fondue au Vacherin. Il explique qu’il met les mains sur le caquelon pour contrôler la température de 40 degrés. «Dès qu’on la chauffe trop, elle se sépare, on dit qu’elle chie.» Il vante les propriétés de cette fondue crémeuse à l’eau qui facilite la digestion le soir. 

A la coopérative des fromagers d’alpage, premier souci avec une plaque de chauffe qui ne fonctionne pas... Normal pour des producteurs habitués au feu de bois sous les chaudières de 800 litres de la Vallée de la Jogne pendant la production. Ce qui frappe ici reste l’onctuosité de la fondue moitié-moitié et l’incroyable longueur en bouche. La coopérative produit 120 tonnes de Gruyère et 35 tonnes de Vacherin, alors que l’ensemble de l’AOP représente
32 000 tonnes de Gruyère et 3000 tonnes de Vacherin. A la laiterie de Belfaux, on remarque déjà le caractère corsé de la moitié-moitié par un choix de 60% de Vacherin contre 40% de lait cru. Mais la principale innovation vient de l’Audacieuse, une fondue composée d’une pâte mi-dure au lait pasteurisé et au jus de pomme qui impressionne par sa dimension florale.

Trois Vacherins différents pour l’envol
La fromagerie du Moléson propose une vraie moitié-moitié qui frappe par son long final acide. Ici, on insiste sur la dégustation de toutes les fondues avant le préemballage et on ose une nouveauté, un mélange avec 1% de brisure de truffe ainsi qu’une huile aromatique. Une proposition délicate. Sur le stand de fondue.ch, Fabien Vallélian met en avant ses origines 100% gruériennes, avant de présenter son best-seller, un mélange signé par le chef Philippe Rochat, dont il vend plus de 40 tonnes par année. «Avec son palais souple, le chef recherchait quelque chose de pas trop corsé et salé. Il a opté pour deux Gruyères et huit Vacherins différents», explique Fabien Vallélian. Le chef restait aussi attentif à la qualité du pain: «On opte toujours pour un pain paillasse vaudois.» Il tenait à incorporer un blanc de qualité. 
Pas le même discours chez Nicolas Schmoutz: «On est fromager pas boulanger.» Il exerce à Mézières, depuis 14 ans, dans un lieu construit par les paysans. Pour lui, l’important dans une fondue reste l’équilibre entre la texture et les saveurs. Sa 100% Vacherin se révèle élégiaque, volante. Il l’obtient avec trois Vacherins de maturation et de proportions différentes et surtout avec «de l’eau de l’au-delà». A la welsch, on repère un produit dans des bocaux, pas à base de fromage, mais des courgettes croquantes à l'aigre-doux qui accompagnent une démarche assez maligne sur le plan du marketing. Un mélange de sept fromages représentant sept cantons suisses et même du Bleuchâtel, ce qui donne un côté tranchant, dépaysant.  

Un label pour l’authentique moitié-moitié
Finalement, peu de producteurs optent pour une classique moitié-moitié. Un paradoxe pour un festival qui voulait mettre en avant un nouveau label marketing certifiant la présence égalitaire des deux AOP. Une obtention de label gratuite pendant deux ans, puis qui rapportera à terme 30 centimes par kilo. Romain Castella, directeur de l’Interprofession du Vacherin, estime qu’il fallait avec urgence protéger la traçabilité des mélanges trop souvent infiltrés par d’autres fromages: «Jamais pour en améliorer le goût.» Dans un deuxième temps, les initiateurs aimeraient permettre aux restaurateurs d’afficher le label devant leur établissement. 
Au niveau du matériel de dégustation, les organisateurs pourront encore se creuser la tête pour trouver une alternative à cette fine baguette, utilisable une seule fois, qui plie sous le poids du fromage. Ils voulaient dès le début munir chaque personne d’une fourchette mais cela posait des problèmes de santé publique.
Le festival permet aux jeunes urbains de redécouvrir la fondue de façon ludique comme ces étudiants du collège Saint-Michel qui effectuent un reportage de terrain en riant. Ils écoutent attentivement un chef, qui raconte que quand tu rêves de manger autre chose avant un match de Gottéron, tu t’entends commander une fondue. Le dragon rôde autour du caquelon.

Un grand succès 
de fréquentation  


La première édition du Suisse Fondue Festival (SFF) s'est déroulée du 17 au 20 novembre 2022 au cœur de la ville de Fribourg. Le dimanche, les organisateurs ont pu tirer un premier bilan positif qui dépasse leurs prévisions. Sur les quatre jours de la manifestation, le SFF a accueilli au total 15 000 visiteurs sur la place Georges-Python. A cette occasion, des milliers de fondues ont été dégustées et l’infrastructure La Bûche a suscité un grand enthousiasme. Le comité d'organisation se voit conforté dans sa démarche et envisage déjà une deuxième édition de cet événement pour 2024, puisqu’elle se déroule en alternance avec le Mondial de la fondue à Tartegnin, Vaud, qui a lieu également à la fin du mois de novembre. 

Cette nouvelle manifestation s’inscrit dans la volonté de Terroir Fribourg et de Fribourg Région de valoriser ensemble l’automne et ses saveurs dans une vaste campagne digitale. Un forfait spécial avait été mis sur pied à destination du marché suisse. Il comprenait un hébergement en chambre double avec petit déjeuner, deux forfaits de dégustation fourchette et les transports publics. Une offre payante puisque tous les hôtels de la ville affichaient complet pendant les quatre jours. La région de Gruyère a aussi profité des répercussions. Notamment les 17 chambres de l'Hôtel Le Sauvage, en vieille ville, rénovées depuis juillet par son nouveau propriétaire François Baumann. Seize restaurants de Fribourg proposaient aussi une fondue moitié-moitié à leur carte pour célébrer le festival, une première pour certains d'entre-eux, comme le Petit Pérolles. Des groupes folkloriques animaient les repas.

Le premier Suisse Fondue Festival n’échappe pas aux critiques, notamment des partis de gauche fribourgeois, en raison de son budget de près de 1 million de francs et du chauffage de La Bûche, au mazout. Le président du comité d’organisation Dominique de Buman confesse qu’il faudra ajuster quelques éléments pour la prochaine édition. Mais il souligne le côté innovant et équilibré d’un programme réfléchi pendant quatre ans. Il se réjouit de l’engagement des interprofessions du Gruyère et du Vacherin pour 50 000 francs chacun. «Elles comprennent bien l’importance de cette manifestation pour leur réseautage et la mise en avant de produits de qualité.» Le reste du budget comprend 200 000 francs de l’Etat de Fribourg par l’intermédiaire des crédits de financement de la Nouvelle Politique Régionale, de la Ville de Fribourg pour 300 000 francs, le reste devant être couvert par la publicité et les entrées. Les animations culturelles vivaient grâce aux collaborations avec Les Digitales, les Fêtes de la musique et de la danse et Etat des choses. aca