Christophe Aldunate, vous êtes le gérant de Crest Hotel Management et venez de présenter à la presse le projet de l’Hôtel The Woodrow à Genève que vous portiez depuis cinq ans. Vous sembliez très ému. Pouvez-vous nous raconter le long processus de ce projet?

J’ai en effet indiqué que ce n’était pas sans émotion que nous accueillions nos invités après avoir instruit ce projet pendant cinq années. Le processus a été long et énergivore. Si les autorisations du projet nous ont été délivrées avec une certaine fluidité, nous avons fait face à de nombreuses oppositions. C’est une grande satisfaction désormais, le projet voit le jour.

Vous avez aussi présenté votre structure Crest Hospitality qui investit et exploite 12 restaurants aux Etats-Unis, notamment l’Atelier Joël Robuchon à New-York, des projets menés avec des chefs héritiers de Joël Robuchon. Comment ce groupe est-il organisé?

Crest Hospitality comprend l’activité «Hotel» et l’activité «Restaurant». Au sein de cette organisation, des directeurs culinaires, ceux qui comptent parmi les grands chefs héritiers de Joël Robuchon, garantissent les valeurs et les standards que le chef le plus étoilé du monde a transmis. Notre organisation comprend aujourd’hui 11 chefs dont 5 sont actuellement étoilés au guide Michelin.

Pourquoi avoir décidé d’acheter et d’exploiter votre premier hôtel à Genève?

Notre investisseur connaît parfaitement Genève, pour y avoir vécu de nombreuses années. Il croit à la valeur foncière de Genève. L’emplacement unique et le classement de cette bâtisse au patrimoine de la rade ont été des atouts déterminants pour un tel investissement. Ensuite, la transformation d’un si bel immeuble en un hôtel d’exception, compte tenu des difficultés rencontrées, augmente encore la valeur de l’effort. S’agissant d’exploiter un hôtel de premier plan, Genève est une cité internationale au centre de l’Europe. Sa stabilité, sa taille, ses activités (banque, joaillerie, médical, scolaire, expatriation) et sa desserte internationale, en font une place de choix dans le plan stratégique que nous avons.

Vous avez conscience d’avoir peu communiqué sur ce projet jusqu’à maintenant. Et semblez encore très prudent. Notamment sur le droit à l’image en faisant signer aux journalistes présents un protocole strict pour qu’ils ne prennent pas de vues du chantier... A l’inverse des investisseurs qatariens lors de la pose de la première pierre du Royal Savoy, à Lausanne. Pourquoi tant de prudence?

Nous arrivons sur la place genevoise avec humilité. Ce sont les Genevois et les marchés internationaux qui nous jugeront.

Que pouvez-vous répondre au journal «Le Temps» qui écrit en juillet 2016 que le Quai Wilson 37 appartient à Crest Switzerland Limited domicilié aux Iles Caïman pour un montant de 9,8 millions dans un article titré: «Ces offshores qui achètent de l’immobilier à Genève»?

En Suisse, les sociétés qu’elles soient suisses ou étrangères sont taxées de la même manière sur leurs biens fonciers. En outre, la société d’exploitation de l’hôtel est genevoise.

Crest Switzerland a-t-elle été inquiétée par la justice et la loi anti-blanchiment?

Cette question est surprenante. Nous n’avons aucune raison de l’avoir été.

Quels sont les liens entre Crest Switzerland Limited et Crest Hospitality?

Les deux sociétés Crest Switzerland Ltd et Crest Hospitality appartiennent au même groupe américain.

Travailler hors de tout grand opérateur international dans le marché 5 étoiles genevois ne vous semble-t-il pas risqué?Alors que beaucoup d’observateurs parlent d’un marché plat voire saturé…

N’aurait-il pas été au contraire risqué de prendre un nouvel opérateur international, pour refaire ce qui se fait déjà et croire que nous ferions mieux que les autres… Nous avons une approche de différenciation stratégique. La singularité de notre établissement repose sur son offre très généreuse de services, pour un nombre d’appartements réduits, aux volumes tout autant généreux. C’est la raison pour laquelle nous avons indiqué que The Woodrow serait largement ouvert à destination de la clientèle locale, qui profitera de son offre exceptionnelle.

Pourquoi avoir opté pour un modèle uniquement de suites? Cela vous semble-t-il innovant?

Pour répondre à cette stratégie de différenciation et à ce positionnement. Ces 26 suites seront toutes différentes, dont une présidentielle.

Avez-vous fait des études de marché par rapport à ce business model?

The Woodrow s’apparente plus à un hôtel particulier. Nous souhaitons que nos clients se sentent comme dans une demeure privée. Ne seriez-vous pas surpris par une maison dans laquelle tous les appartements sont similaires…

Le modèle de La Réserve Paris– Hotel and Spa, à Paris, vous a-t-il inspiré?

Non, nous sommes partis d’une feuille blanche.

Jennifer Jochem, votre directrice adjointe était Room Director, précisément à La Réserve, Genève. Vous aviez besoin d’un tel ancrage sur le marché genevois?

Diplômée de l’Ecole hôtelière de Lausanne, elle a passé aussi neuf années à l’Hôtel des Bergues. Sa sensibilité est un véritable atout. Il est indéniable que nous donnons la priorité à un recrutement de personnes locales qui connaissent le marché et la clientèle. Avis aux candidats intéressés…

Quels sont les autres palaces à travers le monde que vous pourriez citer en exemple?

Le futur Cheval Blanc Paris et certains établissements du groupe Aman Resort. Nous serions flattés d’être comparés à eux.

Vous avez parlé de la construction de la plus grande piscine de Genève au deuxième étage. Ce projet a-t-il perturbé le chantier?

Les sous-sols de la banque existaient, mais il a fallu retirer toutes les structures porteuses pour accueillir la piscine intérieure de 21m. Nos ingénieurs ont mis en place un renfort structurel via des lames carbone au plafond. Sur une telle longueur, avec 10 niveaux au-dessus de la tête, ce fut une prouesse technique!

Votre parcours semble atypique: d’abord difficile puis brillant, vous devenez très jeune en 2004 directeur général du Palais de la Méditerranée. Vous trouvez important de la partager avec de jeunes hôteliers?

La Suisse a compris depuis longtemps que l’apprentissage est une voie royale, qu’il faut promouvoir et soutenir. C’est la voie que j’ai suivie il y a plus de trente ans et j’en suis fier. Après mon MBA à HEC Paris, je suis devenu entrepreneur et c’est ainsi que l’investisseur m’a fait l’honneur de me confier la présidence de Crest Hotel Management, qui est en charge de ce projet à Genève. Il m’a dernièrement confié la présidence de la société américaine Crest Hospitality qui gère l’ensemble des activités «art de vivre».

Votre lien avec Joël Robuchon semble très fort. Pouvez-vous nous le raconter…

Monsieur Robuchon fait partie des grands hommes qui ont jalonné mon parcours de vie. D’abord en tant qu’apprenti cuisinier, il m’a transmis la passion de ce métier. Plus tard, en tant que jeune professionnel, il m’a encore encouragé pour reprendre mes études. Par la suite, nous avons entretenu une relation faite de bienveillance et d’affection.

Plusieurs spécialistes de l’hôtellerie genevoise se réjouissent de l’arrivée de l’Atelier Joël Robuchon à Genève. Mais ils se questionnent sur la rentabilité de l’hôtel avec un ratio de 26 suites pour 160 employés… Que leur répondez-vous?

Il est utile de remettre les choses dans leur contexte. Nous parlons de 160 employés qui sont répartis sur l’ensemble des services précédemment énumérés. Ensuite, cette vieille méthode qui est de rapporter le nombre de collaborateurs au nombre de «clés» est applicable dans l’hôtellerie traditionnelle. Notre concept est très étudié et ne propose pas un schéma traditionnel. Notre business modèle est donc parfaitement rentable et le groupe Crest Hospitality est en pleine croissance.