Voilà l’histoire de deux chefs étoilés, Franck Pelux et Alexandre Baumard, qui se retrouvent pour un menu à quatre mains. La semaine dernière, au Lausanne Palace, les voilà réunis autour de grands millésimes de Château Angélus. Cela s'est mis en place très vite autour de leur ami, l’organisateur Elliot Magnin, importateur de vins pour Cave Royale, avec près de 300 clients dans la restauration en Suisse. Chef de La Table, au Lausanne Palace, Franck Pelux explique: «On a envie de s’amuser, de mieux se connaître, de proposer trois plats chacun et de valoriser les propositions chaudes d’Alexandre Baumard, qui vient spécialement de Bordeaux et qui reste le chef au monde connaissant le mieux Château Angélus.»

Des champignons élevés dans les carrières du domaine
Même son de cloche du côté d’Alexandre Baumard, chef de la Maison de la Cadène, à Saint-Emilion, propriété de la famille de Boüard de Laforest qui confectionne Château Angélus depuis huit générations: «Avec Franck, on ne parle pas forcément de cuisine et tout marche. Je viens ici avec ma sous-cheffe et nous nous intégrons à son équipe», argumente Alexandre Baumard. Le jeune chef collabore depuis dix ans avec Stéphanie de Boüard-Rivoal, qui élabore Angélus, ce premier grand cru classé. Elle écoute les sols argilo-sablo-calcaires et défend une approche centrée sur l’humain.

Pour Alexandre Baumard, on peut trouver en cuisine le bon équilibre avec les vins de Bordeaux, notamment en travaillant sur des sauces en réduction. Avec son plat de champignons et de coquillages, il se concentre sur la dimension iodée en légèreté. Le dessus du plat propose une mosaïque de champignons crus rehaussée d’une huile de café et le dessous opte pour une dimension fondante, mijotée. Les shiitakés et les pleurotes proviennent d’un nouvel élevage dans les carrières du domaine Angélus, les premières morilles arriveront bientôt. Alexandre Baumard raconte ce client qui désirait absolument un accord avec un turbot, il décide de le préparer en basse température avec un beurre noisette et un carpaccio de cèpes. Il aime aussi beaucoup travailler la truffe, qui s’accorde bien notamment avec le Merlot jeune. Franck Pelux acquiesce: «Les éléments terreux, boisés d’un plat accompagnent parfaitement un Bordeaux.» Alexandre Baumard travaille aussi les sarments de vigne pour fumer des viandes et des feuilles de vignes pour la cuisson. Au Lausanne Palace, il sert une lotte avec en son centre du foie gras et une sauce à l’encre de seiche. «Je travaille ce plat comme un lièvre à la royale, je le nappe de la même manière.»

Une ville éclectique et une cuisine de voyages
A Lausanne, Franck Pelux ne travaille pas sur un axe culinaire dédié à la vigne: «Je pourrais le faire davantage à Chexbres. Un chef doit s’adapter aux habitudes alimentaires de sa région. Ici, dans une ville éclectique comprenant 120 nationalités, on axe nos recherches sur la notion de voyages.» Comme cette asperge, à la cuisson ferme, qu’il travaille sur la fraîcheur avec du basilic et des anchois de la mer Cantabrique. Pour les chefs, l’enfance fut déterminante. Pour Alexandre Baumard, au côté d’un grand-père agriculteur, à trier les légumes à même le sable. Et pour Franck Pelux, directement dans le restaurant «semi-gastro» de ses parents.

Les éléments boisés, terreux accompagnent bien un Bordeaux
Franck Pelux, Chef de La Table, au Lausanne Palace.

Les deux chefs aiment manger selon le rythme des saisons. Alexandre Baumard évoque les joies de l’été, «je vis dehors, tout se passe autour du barbecue», alors que Franck Pelux pense «à la raclette et à la blanquette hivernale». Plus qu’un quatre mains, une complicité.


Millésimes 2004, 2014

Le Savoureux et l'Indien

Comme ses voisins de Cheval Blanc et d'Ausone, on reconnaît Angélus par son subtil dosage de Cabernet Franc. Alexis Attal, chef sommelier du Lausanne Palace, a décidé de laisser le flacon debout trois jours, puis de le passer en carafe et de remettre en bouteille le millésime 2004, dont il rappelle le surnom de Savoureux. Il se compose de 60% de Merlot et de 40% de Cabernet Franc. On remarque sa robe noire intense. Au nez frappent des arômes de cassis, de myrtille, en bouche une persistance de réglisse et un ample final mentholé. Une présence tannique très marquée mais souple, onctueuse avec une dimension compotée. Avec aussi une dimension brute de décoffrage, pas un vin de séduction, mais un grand millésime qui convoque les émotions. Depuis 1989, le domaine travaille avec de la barrique neuve entre 18 et 24 mois.

En comparaison, le millésime 2014 baptisé l'Indien, en hommage à un été indien insolent et à des vendanges commencées le 2 octobre, ce trentième millésime confectionné par Hubert de Boüard de Laforest ne s'impose pas comme le plus expressif. Il est composé de 50% de Merlot et de 50% de Cabernet Franc. Il semble encore fluet, un brin métallique, et manque l'expression des fruits rouges. Selon les spécialistes, il arrivera à pleine maturité dans dix ans.

Alexandre Baumard propose de déguster ces deux millésimes avec un oignon croustillant en sept textures. 

Alexandre Caldara