Le Bayview, à l’Hôtel Président Wilson, propose une cuisine soyeuse, longue en bouche. Nous l’avons vérifié en traversant le menu de printemps, proposé dans le cadre du festival de La Fourchette, avec des accords de vins audacieux. Des plats signés Michel Roth, ancien maître des fourneaux du Ritz et confectionné par un fidèle Laurent Wozniak.Cela commence par une minuscule pana fritta aux lentilles du Puy mélange des genres en une bouchée, on enchaine avec de petits carrés entièrement travaillé à la carotte, en panna cotta, en carpaccio et au vinaigre. On en est au stade parfois anecdotique de l’amuse-bouche et déjà les sentiers de l’appétit et du partage s’ouvrent.Si la porcelaine blanche propose des chemins tortueux et brisés, les asperges violettes de Cavaillon à la cuisson moelleuse redonne une droiture au plat. Le citron de Menton et le cédrat apportent de la vitalité en pointillisme pâtissier; l’œuf de caille poché du moelleux; la sauce hollandaise citronnée virevolte de légèreté. Un voile extra-fin au Gruyères redonne de l’onctuosité. Quelle entrée en matière.

Geoffrey Bentrari, meilleur sommelier de Suisse 2010 pour GaultMillau peut alors entrer en piste et déployer son voyage dans les terreaux d’ici et d’ailleurs. Cela débute avec une Petite Arvine, château Lichten 2015, produite par Rouvinez, sur la rive droite, dans le haut Valais. La complexité florale, la salinité prolonge le plat avec alacrité.

«Quelque chose qui réveille»

Ici on ne bastonne pas le palais, mais on surprend. Remixe terre et mer. Arrive un plat que nous connaissons à travers le choc d’un confrère Claude Ansermoz qui l’évoque souvent pendant d’autres repas. De l’ormeau, le si rare coquillage, version tendrement snaké portant de beaux stigmates grillés, donne la réplique au mystère de la longeole. Du gras et du fenouil à la gouaille genevoise avec une fondue de poireaux. Les trois ingrédients en bouche forment un Cluedo où seul le crime sera acide de gourmandise. Peut-être que les gros grains de sel marin formant un petit îlot pour le coquillage beau en présentation mais pas fait pour la bouche, sème un peu le trouble, qu’importe la proposition reste complexe et directe. Geoffrey Bentrari brandit un large verre pour un nectar translucide, là aussi il laisse planer: «Je ne vous dit rien, vous laisse goûter.» Au nez, on croit déceler du géranium, il précise feuille de cassis. Il revient expliciter la démarche: «Je ne voulais pas enrober le plat, plutôt quelque chose qui tranche, qui réveille.» Il s'agit d'un Wild Rock Sauvignon Blanc 2015 de Marlborough, en Nouvelle-Zélande.

L’omble arrive par son spectre d’effluves de verveine. On hume, le jeune maître d’hôtel sourit: «Attendez le beurre nantais: il fait le plat.» Avec des févettes, une morille et une madeleine. Toute la cuisine de palace, vogue la volupté, que l’on imagine sur la nuque d’Escoffier, mais avec quelque chose d’irréductiblement léger. Réminiscences Proustienne à peine osées, voici le vin un Chardonnay de Morges 2014, de l’école d’agriculture de Marcelin. Le sommelier dit avoir voulu épouser le sens du plat. Il propose un millésime boisé, brioché, un accord rond. Mais pense qu’il pourrait aussi aller vers un vin aux accents oxydatifs comme un Savagnin blanc du Jura ou un Chardonnay d’Ombrie qui tend vers l’écorce de noix.

Le morceau de bœuf de Simmental rouge vif est présenté comme une chaille de granit, à vif, la sauce sombre de lie de vin et les échalotes fondantes au Xérès chargé de rameuter la cavalerie sur les papilles. Taïaut. On s’installe dans le plaisir sans esbroufe, il faut un vin du même acabit. Les notes fumées du Gamaret 2014 de Guy Cousin à Concise prolonge l’ampleur carnée. Le plat se termine par une verrine: un capuccino de pommes rattes à la truffe noire et au cacao qui ne fossoie pas qui prolonge. La truffe nous hante encore pendant les fromages venus de Thonon les Bains, chez Boujon tenu par Frédéric et Valérie Boyer, découverts jadis dans une émission sur TV5 de Guy Martin. Une tomme vaudoise pour l’éveil des papilles; un chèvre Pouligny-Saint-Pierre demi-sec pour la puissance; un vieux Gouda 24 mois. Un véritable défi pour le sommelier. On pense à retrouver le Chardonnay de Marcelin. Il part dans une autre direction. Un Amarone Monte Santoccio 2012 Classico, un vin ample avec une jolie amertume.Tout s’achève sur une tarte soufflée au chocolat Guanaja 70% et la même idée que l’Hollandaise du début avec une chantilly mascarpone. Chaud froid de toute intensité. Et là le sommelier repasse par la case Petite Arvine couplée à la Malvoisie et à l’Ermitage 2015 de Jean-Louis Mathieu, une volupté folle qui ne s’entête pas sur le sucre.

Plus qu’une liste, qu’un défilé de plats, une vraie cohérence faite de crescendos et de rupture, de mélancolie et d’agitation, on pense à certaines pages de Debussy à leur langueur iodée. Le fantôme de Benoît Violier passe un instant et bizarrement la silhouette ultra contemporaine d’Alexandre Gauthier aussi. Laurent Wozniak et Michel Roth savent installer un climat et proposer des dérives. Une cuisine de palace certes, mais bien plus une aventure que les guides surveilleront de très près.

Voir aussi l'interview de Laurent Wozniak