Le Ritz à l’encan... Dernièrement Artcurial a mis aux enchères 1500 lots en provenance du célèbre palace de la place Vendôme, du vide-poche à la cloche à frites en passant par le linge. Une vente qui a fait les gros titres des médias. Mais pour donner aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs une idée de l’importance de l’établissement, ce n’est ni le prix des chambres, ni leur confort, ni même la carte du restaurant qui étaient mises en évidence, c’était leurs prestigieux clients passés: Coco Chanel qui y résidait à l’année; et Ernest Hemingway qui, en 1944, en avait «libéré» le bar (et vidé le contenu…). Au Ritz, une Suite Chanel (188 m2 pour 18 000 euros la nuit) et un Bar Hemingway sont comme autant de lettres de noblesse. Le Lausanne Palace, lui aussi, offre à sa clientèle une Suite Coco Chanel de 170 m2 (à un tarif plus accessible… 3500 francs la nuit), la couturière y ayant régulièrement pris ses quartiers. Dans l’immédiat après-guerre, elle se partageait entre sa villa des hauts de Lausanne, le Palace et le Beau-Rivage.

On a pourtant le sentiment que, dans leur communication, les hôtels ne jouent pas la carte des clients prestigieux qu’ils ont accueillis. Quand il s’agit de contemporains, cette discrétion est de mise, évidemment. La trahir serait une faute professionnelle. Mais, s’agissant du passé, pourquoi ne pas les mettre en évidence? A la clinique Valmont, à Glion, qui a toujours conjugué les soins et un accueil de haut standing, une plaque rappelle le séjour des poètes Rainer Maria Rilke et Louis Aragon comme des écrivains Georges Simenon et Paul Morand, Marcel Pagnol et Frédéric Dard. C’est l’exception. La plupart des établissements touristiques n’ont jamais l’idée de se prévaloir de ces flatteuses cartes de visite. Rien ne rappelle au Waldhaus de Sils-Maria que les Prix Nobel de littérature Thomas Mann et Hermann Hesse y ont été longtemps fidèles. Les clients du Suvretta House, à Saint-Moritz, ne se doutent pas que le célébrissime Nijinsky y a interprété sa dernière danse. Et ceux de l’albergo Monte Verità, à Ascona, que Mary Wigman, figure de proue de l’Ausdruckstanz allemande, y a passé de nombreux étés. Sans parler des hôtes de la casa Sant’Agnese, à Locarno, où Paul Klee a fini ses jours. Même si ces noms d’artistes ne sont pas familiers au plus grand nombre, ils peuvent faire mouche auprès de prospects ciblés.

On descend rarement dans un hôtel par hasard. Le choix résulte généralement d’une recherche comparative. Savoir que des personnalités que l’on admire y ont séjourné est susceptible d’aiguiser la curiosité, voire constituer une incitation. En tout cas, bien au-delà du vain «name dropping», ces artistes peuvent contribuer à l’aura de l’établissement. D’aucuns sont sensibles au fait que Stravinski a travaillé sur son opéra «Le Rossignol» au Grand Hôtel de Leysin. D’autres sont plus intéressés par le fait que Michael Jackson a dormi au Montreux Palace. Ce qui est certain, s’agissant de cet établissement, c’est qu’il tient une part de sa renommée de la suite n° 60 que Vladimir Nabokov, l’auteur de la sulfureuse Lolita, a occupée durant les 15 dernières années de sa vie. Le livre d’or d’un hôtel: un bonus à valoriser.
 


Jean Pierre Pastori, journaliste et écrivain, est ancien directeur du château de Chillon.