Ce n’est un secret pour personne, la pandémie du coronavirus a réduit les possibilités de séjours hors de notre pays. Les vacanciers se sont donc orientés vers les destinations touristiques suisses, surtout en montagne. Se sont donc retrouvés dans ces lieux de villégiature, pour une durée prolongée, citadins et montagnards, adeptes du co-working et habitants, résidents secondaires et acteurs touristiques et politiques du lieu. Tout ce petit monde s’est rencontré cet été au gré des balades et autres activités en petits groupes, dans les cafés, restaurants, boutiques ou magasins d’alimentation. Je crois pouvoir dire que c’est la première fois que le mélange de populations fut aussi dense et durable dans les villages de montagne depuis plusieurs décennies!

Qu’avons-nous appris – et continuons d’apprendre – de ces rencontres de l’an 2020? Que les liens personnels entre gens des villes et gens de la montagne sont source de partages vivifiants; que la montagne n’est pas qu’un territoire pour sportifs aguerris mais aussi un lieu de ressourcement et d’activités culturelles créatives; que la croissance à tout prix ne doit pas primer sur l’usage durable et partagé des équipements et matériels existants, ce qui implique échanges, prêts, réutilisations et rénovations des biens; que la complémentarité entre les plaines, plus citadines, et les montagnes, moins densifiées, devient toujours plus essentielle pour l’obtention de biens plus rares et de services plus spécifiques; que la mobilité entre ces deux types de territoires doit tendre vers plus de multimodalité des transports publics dans et vers les destinations touristiques, impliquant la nécessité d’une convergence de visions des décideurs publics et privés.

En parcourant le Cahier de tendances Montagne[s] publié l’an dernier par le Cluster Montagne en France et présentant les sept enjeux pour la montagne de demain, je me suis arrêtée sur le dernier, plus étonnant, car définissant d’une manière nouvelle la performance. Ce terme, pour les auteurs de l’étude, cherche à promouvoir en montagne l’innovation dite «frugale, démarche consistant à répondre à un besoin de la manière la plus simple et efficace possible en utilisant le minimum de moyens». Pour y répondre, il s’agit de bien identifier le périmètre concerné ainsi que le bon échelon décisionnel – et donc de concertation. Demain, ce ne seront pas seulement les entreprises des stations de montagne qui devront leur survie à leur rentabilité basée essentiellement sur le tourisme, mais la notion de rentabilité s’étendra à toutes les activités – même celles qui sont peu ou moins rentables – y compris celles de la zone citadine adjacente. L’objectif visé est que la montagne puisse jouir d’un équilibre à l’année et dans la durée, avec de nouvelles populations résidentes, des travailleurs nomades, des jeunes, des propriétaires de logements de vacances notamment, qui veulent vivre à la montagne tout ou une grande partie de l’année. Cette vision étendue de la destination touristique de montagne signifie aussi que les décisions d’investissements, de transports, d’équipements sportifs et culturels sont à prendre, en concertation et à une échelle régionale, avec les communes de la vallée…  

Les gens de la montagne sont-ils prêts à de telles concertations élargies et à partager leurs pouvoirs décisionnels avec des instances politiques plus régionales? L’avenir nous le dira…


Marie-Françoise Perruchoud-Massy est économiste et chercheuse à la HES-SO Valais, elle a notamment dirigé l'Institut Economie et Tourisme. Sa recherche porte essentiellement sur le tourisme culturel et la création de produits touristiques.