On retrouve Gilles Montandon à La Chaux-de-Fonds, lors d’une chaude après-midi de juillet. Dans la ville aux avenues rectilignes, les citadins frôlent les murs à la recherche de fraîcheur. L’arrivée à l’Hôtel-Resto-Bar Chez Gilles se présente comme un souffle dans le bitume. L’établissement est agréablement bordé d’arbres qui ombragent la jolie place des Lilas attenante. Des enfants y jouent, tandis que les clients terminent tranquillement leur plat du jour en terrasse. Les souvenirs de l’ancienne boucherie se lisent sur la façade de la bâtisse. Si le temps de la cité horlogère semble s’écouler avec douceur, Gilles Montandon nous fait comprendre qu’il court. «En tant que petite structure, ce n’est pas facile. Le marché est plus fragile depuis deux ans.»

La fin de grosses rénovations réparties sur plusierurs années
«Vous voulez visiter pour commencer?» Le propriétaire et gérant des lieux se confiera plus tard. Il monte énergétiquement les escaliers pour nous dévoiler ses 16 chambres, dont la moitié de catégorie supérieure au style contemporain. Il est sur le point de terminer une grosse période de rénovation, échelonnée sur plu­sieurs années. «Nous avons investi tout ce que nous pouvions. Nous avons procédé par paliers afin d’améliorer la fonctionnalité du bâtiment. La cuisine se trouvait avant à l’étage. Elle a été déplacée au niveau du restaurant pour plus de fluidité. La prochaine étape portera sur la façade extérieure.»

Dans les combles, des ouvriers terminent les dernières chambres. Toutes les salles de bains ont été refaites en 2017-2018. Certaines de ses nouvelles chambres offrent de petites surprises: une baignoire dans la chambre «dans un style boutique hôtel» ou une douche hammam «pour sa clientèle cycliste». Actuellement classifié deux étoiles auprès d’hotelleriesuisse, il devrait bientôt passer trois étoiles.

Gilles Montandon est né dans ces murs qui abritaient jadis la boucherie de son père. Il en est aujourd’hui propriétaire et y vit avec sa famille. Boucher de formation, il reprend l’affaire paternelle dans les années 1980, puis en 1992, le restaurant. Un moyen de diversifier ses activités, ses marges ayant «fondu» suite à l’introduction de la TVA. Pendant 16 ans, il exploite en parallèle le restaurant et la boucherie. Et l’hôtellerie? «Je louais alors cinq chambres au mois. Au moment d’Expo.02, l’office du tourisme m’a approché car il manquait d’hôtels dans la région.» Il crée alors de nouvelles chambres, passant à 11 unités. En 2006, il abandonne la boucherie pour des questions de rentabilité.

«La reprise 
horlogère ne 
nous a pas 
apporté autant qu'imaginé.»
Gilles Montandon

Au sous-sol, il a gardé un laboratoire. Il lui arrive encore de couper la viande. «Je le fais de moins en moins. Les tâches administratives m’accaparent.» Il relève encore le temps que nécessitent l’informatique et les nouvelles technologies. Il vient de passer une demi-journée à apprendre comment gérer son nouveau site internet. «On doit se former à tout. Des systèmes de cartes de crédit aux fours de cuisine, tout est piloté par des ordinateurs. Cela devient triste.» Bercé par la nostalgie, l’hôtelier-restaurateur déplore certaines évolutions susceptibles, selon lui, de menacer à long terme l’artisanat. Il pointe du doigt «les shops des stations-essence qui se muent en boulangerie et en bistrot du coin. Une grave concurrence pour les cafés de campagne, les métairies. Il est urgent de faire marche arrière, d’octroyer des patentes, de sauver ces savoir-faire.»

Face à la généralisation des fast-foods, seule une offre de qualité permettra de se démarquer, estime-t-il. Une cuisine soignée et res­ponsable, tel est le créneau qu’il souhaite emprunter. «J'ai encouragé l'un de mes trois fils à devenir cuisinier d’abord. Si le restaurant marche, l’hôtel suivra.» Il considère les deux activités comme intimement liées, sait que rien n’est jamais acquis. Il aimerait encore dynamiser le bar et le restaurant, en créant des événements. En cuisine, le bio, notamment avec des légumes du marché, devrait être introduit par touches. «On peut toujours s’améliorer et se remettre en question. Il ne faut pas rater le train de la modernité.»

La reprise de l'horlogerie avec un impact modéré
Depuis deux ans, Gilles Montandon remarque un ralentissement de la consommation. Même si le taux d’occupation de son hôtel se situe «au-dessus de la moyenne nationale» qui, elle, s’élevait à 52,9% en 2017 selon l'OFS. «La cherté du franc suisse a provoqué un sacré coup de frein. Et la reprise horlogère ne nous a pas autant apporté que ce que l’on s’était imaginé.» Conséquence: il a dû ajuster ses effectifs. Son équipe compte quatre à six personnes à temps plein.

L’hôtel tourne principalement grâce au tourisme d’affaires. La clientèle loisirs progresse, pour un ratio d’environ deux-tiers, un tiers. «On devrait pouvoir faire encore mieux. Nous bénéficions de l’ins­cription au patrimoine mondial de l’Unesco, notre héritage Art Nouveau draine un public de niche. Le Corbusier attire aussi du monde. Les architectes viennent au moins une fois dans leur vie visiter la Maison blanche.»

L’envie d’aboutir, «de finir l’objet», le motive au quotidien. Pourtant, la lassitude le gagne. «Je cumule 80 années de travail effectif.» Oui, il aimerait récompenser les réservations qui évitent les «intermédiaires superflus». Oui, il continue de croire à l’avenir de la petite hôtellerie indépendante. «En Suisse, le nombre de petits bouchers est passé de 5000 à 1200. J’espère qu’il restera un créneau pour l’hôtellerie familiale, que le client ne se laissera pas uniquement guider par le prix, mais par la richesse de l’accueil.»

 

 

Laetitia Grandjean