L'effervescence du festival de musique classique et la canicule passées, ­Verbier savoure une journée pluvieuse qui donne envie de se réfugier à l’intérieur. A l’Hôtel Mirabeau, un jeune couple de retour de promenade commande un chocolat chaud et s’installe dans les moelleux fauteuils donnant sur la baie vitrée. ­L’ac­cueil doux et avenant de la ­directrice de ce 3 étoiles de 23 chambres donne rapidement le sentiment de se sentir chez soi. Peut-être justement parce que cet hôtel est une maison.

«Ma maman a loué l’hôtel dès 1974, un an après sa construction. Seule avec ses quatre enfants, elle a travaillé jour et nuit pour subvenir à nos besoins et parvenir à acheter le bâtiment, dix ans plus tard. Cet hôtel a été sa bouée de sauvetage et notre maison durant de nombreuses années», raconte Sylvie Carlucci. Cet attachement particulier aux lieux a rapidement donné envie à la cadette de la ­fratrie de reprendre un jour le flambeau. Après avoir fréquenté l’Ecole de tourisme de Sierre puis l'Institut d'études sociales de Genève et exercé comme éducatrice spécialisée, son tour est venu en 2008. Lorsque sa maman a ressenti le besoin de lâcher un peu.

Des souvenirs d'enfance essaimés dans chaque pièce de la maison
«Ce n’est pas le métier de l’hôtellerie qui m’intéressait, mais cet hôtel en particulier. Parce que j’y suis profondément attachée, c’est ici que j’ai grandi.» Elle se souvient avoir occupé les chambres en fonction de leurs disponibilités. «Nous aidions au petit-déjeuner, à plier les draps. Je n’avais pas les bras assez longs pour joindre les deux bouts», raconte-t-elle en mimant le geste.

Cette baroudeuse a toujours «adoré» rencontrer ces voyageurs du monde entier, se souvient de l'animation du village en haute saison. Elle garde en mémoire un moment particulier: l’accueil durant un mois des acteurs de la comédie suédoise «Sällskapsresan II – Snowroller», lors du tournage à Verbier en 1985. Un succès comparable aux «Bronzés font du ski» en France. «Cette année-là, je me suis dit que je reprendrais un jour l’hôtel. J'avais 16 ans.»

D’origine norvégienne, sa maman Chris Stuckelberger est arrivée à Verbier à la fin des années 1960. On lui avait parlé de la station comme «d’une mine d’or». «J’ai un grand res­pect pour ce que ma maman a créé. Elle est partie de rien, raconte Sylvie Carlucci. J'aimerais préserver l'âme de cet hôtel tout en l'adaptant aux exigences de la clientèle actuelle. Mais nous ne partageons pas toujours la même vision, c'est une autre génération.»

Il a fallu par exemple quelque temps pour que sa maman, propriétaire, apprécie les rénovations entreprises en 2015, portant sur le rez. Sylvie Carlucci désigne avec enthousiasme les objets historiques qu'elle a souhaité valoriser dans cette pièce à vivre: une ancienne luge devenue table, le piano de sa grand-mère transformé en table à pain pour le petit-déjeuner, l'ancienne centrale téléphonique dont elle reste fascinée. Les tables et les chaises d'époque ont été récupérées et sablées pour leur donner une touche de modernité.

«Ce n'est pas l'hôtellerie qui m'intéressait, mais cet hôtel en particulier.»
Sylvie Carlucci
Directrice de l'Hôtel Mirabeau, Verbier

Elle rêve aussi de créer «un vrai spa» et, quand les moyens le permettront, de refaire les salles-de-bains, malgré le charme «vintage» du carrelage d'origine. Les chambres se veulent «cosy» avec leurs draps de lits à carreaux vichy, bleu ou rouge. La directrice tient à préserver ce charme douillet et authentique, de plus en plus absent de la station.

Elle regrette le luxe et la surenchère immobilière
Présidente depuis deux ans 
des hôteliers de Bagnes, soit 18 établissements, Sylvie Carlucci suit avec intérêt le développement de la station. «Verbier a beaucoup changé. Je regrette cette prolifération du luxe, assez impersonnel. Les établissements se muent en clubs privés, en restaurants gastronomiques. Il est de plus en plus difficile de conseiller à nos clients un endroit où déguster une bonne fondue ou une raclette.»

Elle se dit «attristée» par la dis­parition progressive de l'hôtellerie familiale, la surenchère immobilière et la guerre des prix qui règne entre les hôteliers. «Je ne pensais pas que les 5 étoiles nous concurrenceraient un jour…» Idéalement situé au cœur du village et à quelques mètres de la télécabine, l'Hôtel Mirabeau a déjà suscité l'appétit des promoteurs. «Je ne vous dis pas combien on m'a proposé pour cet hôtel. Mais il n'est pas à vendre et n'a pas de prix, leur ai-je répondu.» Pour sa part, elle a décidé de s'établir au Châble pour offrir à ses deux enfants «une vie plus régulière». «Habiter en station n'est pas toujours évident. Très vivant et international en haute saison, puis Verbier devient ville fantôme.»

Elle se souvient, avec peut-être un peu de nostalgie, des belles années de Verbier. Lorsque sa maman louait à des tour-opérateurs scandinaves à la semaine. Et à ses débuts en tant qu'hôtelière, en 2008, 2009, 2010. «A ce moment-là nous ne louions pas moins de deux semaines entre Noël et Nouvel-An. Aujourd'hui, nous acceptons un minimum de cinq jours. Notre clientèle fidèle, qui restait longtemps, vieillit. Les séjours de 10 jours se raréfient. Les hivers sont plus difficiles.» La directrice estime que son établissement est complet l'équivalent de cinq mois par an, pour une exploitation de neuf mois.

Depuis l'an dernier, l'Hôtel Mirabeau est classifié «Bike Hotel», en espérant drainer un nouveau public cible. Sylvie Carlucci répond à une clientèle toujours plus exigeante par un service généreux. «Au petit-déjeuner, nous proposons du saumon, des confitures maison, des fromages de la laiterie. Cette générosité doit être étendue à l'ensemble de la station. L'accueil à Verbier peut être amélioré. On peut servir des olives à l'apéritif ou verser un décilitre qui ne s'arrête pas forcément à la ligne du verre», illustre-t-elle.

Sylvie Carlucci reçoit ses hôtes avec une sincère bienveillance. «J'adore ce métier. Je suis curieuse de la vie des gens. Nous les accueillons durant leurs vacances, ils sont reconnaissants, nous remercient.» L'hôtelière cumule les ­petits détails qui té­moignent d'un accueil soigné. A l'image de ces petits casiers en bois contenant une bouteille en verre où on y lit: «Enjoy our mountain water». Par touches successives, elle sublime l'hôtel dont elle a hérité. Pour 
l'offrir comme un vrai cadeau.

 

Laetitia Grandjean