L’Hôtel du Marché, à Lausanne: une charmante maison rose avec des volets rouges. Quelques palettes de chantier qui s’inventent une vie de banc animées par une jeune femme blonde comme sortie d’un conte d’Andersen. A quelques pas de la place de la Riponne, dans un quartier qui fleure bon l’artisanat: fromagerie au logo d’antan, insolite cabinet d’architecture, café nommé pointu dans l’angle d’une rue. Cet élan simple de douceur en ce jour de canicule, accompagne notre arrivée dans un hôtel qui ressemble à sa carte de visite où un M élégant se conclut par quelques feuilles d’une plante que l’on imagine domestique.

Les réalités sous-estimées d'une patronne de ptetit hôtel
Catherine Künzler-Gloor nous reçoit dans l’appartement où vivait sa grand-maman Claudine Gloor, tout près d’une machine à coudre à l’ancienne, dans cet espace mis à disposition des clients. «Notre équipe de huit personnes essaie de se distinguer par un accueil souriant, personnel, par de la disponibilité, de la souplesse», explique-t-elle.

Mais elle tient aussi très vite à nous sensibiliser aux soucis quotidiens de seule capitaine à bord: «On ne se rend pas toujours compte des réalités d’une patronne d’un petit hôtel, on nous demande aujourd’hui de très larges connaissances dans le business hôtelier, comme dans les nouvelles technologies. Ma réceptionniste part bientôt, je dois organiser des auditions d’embauches, des essais, je ne peux pas m’appuyer sur un service de ressour-
ces humaines.» Elle donne cet exemple étonnant et touchant: «Je demande à mes femmes de chambres de préparer le petit déjeuner le matin, l’une d’elle ne sait ni lire ni écrire. Si un client est allergique au lactose, nous devons anticiper la situation, en prévoyant un affichage ou une information à la réception.»

Catherine Künzler-Gloor regrette aussi certaines lourdeurs administratives demandées aux entreprises, comme les procédures d’impôts à la source, qu’elle doit remplir elle-même et qui lui paraissent intrusives pour ses 
employés.

Série d’été: Eloge de la 
modestie hôtelière
Cet été, hotel revue rend visite et donne la parole à quatre hôtels romands de 0 à 3 étoiles. Nous raconterons leur histoire, leurs modèles économiques. Les hôteliers évoqueront leur fierté de petits entrepreneurs indépendants et exposeront leurs préoccupations. Ils restent trop souvent dans l’ombre des fleurons de l’hôtellerie 4 et 5 étoiles. Moins puissants que les établissements liés à des chaînes internationales, pas toujours rompus aux codes de la communication, ils creusent 
un sillon et méritent d’être entendus. (htr/aca)

Depuis 1974, date où elle racheta le bâtiment, sa grand-maman louait des chambres d’étudiants. Catherine Künzler-Gloor y venait en vacances: «Je me souviens d’une femme très occupée, on nous demandait de ne pas la déranger et nous on jouait dans l’ascenseur et on s’ébattait au sous-sol où elle avait installé une piscine et de la tapisserie», s’amuse-t-elle…

Diplômée d’une école de commerce, elle part ensuite pendant deux semestres perfectionner son anglais à l’Université de Pennsylvanie, puis étudie à l’Ecole hôtelière de Genève, mais commence par travailler dans la comptabilité: «Au début mon truc c’était plutôt les chiffres.»

«On nous demande aujourd'hui de très larges connaissances dans le business hôtelier.»
Catherine Künzler-Gloor, Directrice de l'Hôtel du Marché

Ce n’est qu’en 2004 que Catherine Künzler-Gloor reprend l’établissement, qui sous le mandat d’un gérant, se transformait petit à petit en hôtel 2 étoiles de 27 chambres et 28 chambres au mois. Aujourd’hui elle se retrouve à la tête d’un hôtel de 55 chambres, elle en loue 15 au mois. Jusqu’en 2015 il affiche 2 étoiles, elle pense qu’il peut satisfaire aux exigences d’un 3 étoiles. Mais avec la nouvelle classification d’hotelleriesuisse entrée en vigueur et comme certaines de ses chambres ne possèdent pas de salle de bains, elle n’appartient plus au monde des étoiles. Mais reste classifiée: Swiss Lodge Garni. Pour elle, finalement, cela 
n’a pas eu de grands impacts: «Aujourd’hui les clients réservent beaucoup par des OTA, ils se soucient surtout des prix et des commentaires.» Une clientèle venant essentiellement de Suisse et des pays limitrophes, surtout business, mais qui se développe bien sur le segment loisirs notamment l’été. Elle remarque aussi une plus grande diversification des visiteurs: «Des personnes de tous horizons, depuis deux ans nous accueillons même nos premiers clients du Moyen-Orient et de Chine, la clientèle américaine revient un peu à Lausanne.»

Engagée auprès du comité de l’Association romande des hôteliers (ARH), elle salue la façon dont hotelleriesuisse reste d’une façon générale à l’écoute de ses membres, mais elle travaille aussi pour rendre attentif l’association: «A nos petits besoins.» Par exemple dans le dossier récent de nouvelles règles européennes en termes de protection des données: «Je dois les prendre, les lire, les comprendre. Je me sens parfois assez désemparée, comme avec le nouveau droit alimentaire. J’utilise souvent l’appui très utile du service juridique de l’association, mais on pourrait peut-être aussi nous préparer des documents types. J’aimerais depuis longtemps rédiger des conditions générales, que je pourrai faire signer à mes clients, mais je ne trouve pas le temps de le faire.»

L'idée d'une plateforme commune pour assurer la sécurité nocturne
Elle trouve les projets de l’ARH intéressants. Elle estime qu'ils pourraient contribuer à négocier des tarifs pour les petits hôtels: «Notamment en termes de centrale d’achats avec laquelle je n’ai jamais travaillé. Cela serait sans doute intéressant pour plu­sieurs d’entre nous.» Elle rappelle qu’aucun établissement entre 0 et 3 étoiles, à Lausanne ne dispose de Night Audit, qu’ils travaillent tous avec des sociétés comme Protectas ou Securitas: «Créer une plate-forme commune qui permette de répondre en hôteliers à nos clients la nuit serait une belle idée.»

Et puis il y a cette conscience écologique à laquelle, Catherine Künzler-Gloor tient: «On utilise des produits qui ne sont pas dévastateurs pour la nature, on fait nos confitures et nos yaourts nous-mêmes, privilégie les projets régionaux et frais.»

On repasse par le quartier, revoit les mêmes petits commerces avec le regard simple et nécessaire de notre hôte du jour, on comprend mieux par quoi passe leur vitalité, parfois leur survie.


 

Alexandre Caldara