Symbole de l’indépendance dans le monde de l’hospitalité et modèle associatif rare, Relais & Châteaux se profile toujours davantage en matière de développement durable, ce qui peut permettre de rajeunir son image. En fin d’année dernière, lors de son 52e congrès à Venise, un nouveau président, Laurent Gardinier, copropriétaire avec ses frères du Domaine Les Crayères, auréolé de deux étoiles Michelin, vient de reprendre les rênes de l’association. Avec comme de coutume, un vice-président représentant les chefs de cuisine, Mauro Colagreco, l’emblématique chef du Mirazur, à Menton. Ce duo succède à une autre paire très active et aux manettes depuis 2013, formée par Philippe Gombert, propriétaire du Château de la Treyne, une étoile Michelin, et le chef breton engagé Olivier Roellinger. Laurent Gardinier explique en détail, dans son style élégant et discret, les nouveaux challenges d’un acteur majeur de l'hospitalité mondiale. 

Laurent Gardinier, vous venez de reprendre la présidence de Relais & Châteaux qui comprend 580 établissements de charme et de caractère à travers 65 pays dans le monde. Comment s’appliquent vos critères compte tenu des différentes cultures?
Nous recherchons l’excellence dans la diversité des cultures locales sans aucune standardisation internationale. On ne peut pas appliquer les mêmes critères en Islande ou en Toscane. Nous contrôlons ceci à travers une dizaine d'inspecteurs anonymes à travers le monde.
 
Qui connaît ces inspecteurs anonymes?
Pratiquement personne. Je siège au conseil d’administration depuis 17 ans et n’avais jamais rencontré ces experts non-salariés, mais dont tous les frais sont pris en charge. Je viens de les rencontrer en ligne. Il s’agit par exemple de journalistes ou d’anciens inspecteurs du guide Michelin avec un excellent œil. Ils représentent un panel culturel très diversifié. 

Dans son séminaire titré Relais & Châteaux – L’Art de Vivre, Franziska Pfund dit: «En un demi-siècle, la chaîne est passée d’un groupe amical et inventif au stade d’une organisation internationale forte et d’un label prestigieux», en 2003. Souscrivez-vous à cette définition encore aujourd’hui?
Nous voulons surtout représenter un mouvement porteur de sens et ne pas se laisser réduire à des innovations logistiques, dont nous avons été les pionniers. Nous représentons un réseau de 800 restaurants totalisant 340 étoiles Michelin. Nous insistons sur une cuisine, des goûts, des décors ancrés dans le local.

Avec des architectures très différentes?
Elle ne doivent jamais défigurer le lieu, mais s’inscrire dans une vision totale. Nous tenons compte des spécificités de l’Amérique centrale par exemple. J’apprécie beaucoup la modernité du travail de l’architecte Patrick Bouchain avec la Maison Troisgros, ou d'Alexandre Gauthier, à la Grenouillère, un chef audacieux qui fait partie de notre conseil d’administration. Même si notre restaurant des Crayères propose un style château du 19e siècle fort différent. Notre force se situe dans nos singularités. 

Comment évolue votre nombre de membres au niveau international? 
Nous recevons 500 demandes par an et nous faisons rentrer entre 20 et 25 membres. Une procédure d’admission peut prendre entre 12 à 36 mois. Le nombre ne peut pas être pour nous un objectif. Nous ne voulons pas 800 membres, mon conseil d’administration me suit pleinement sur ce sujet. Nous interrogeons nos membres et nos commissions dans chaque pays quand une nouvelle demande arrive. Chaque année, une vingtaine de membres quitte notre association par démission, vente ou à la suite du rapport de nos inspecteurs.

Votre clientèle est-elle vieillissante? Comment séduire les jeunes générations?
Selon les déclarations de nos membres, en l'espace de cinq ans, l'âge moyen de nos hôtes passe de 52 à 48 ans. La clientèle cible de Relais & Châteaux reste diverse. Elle comprend à la fois les générations plus âgées et les plus jeunes. Pour atteindre les générations plus jeunes, nous travaillons sur des offres conçues pour répondre à leurs besoins, telles que nos villas qui répondent aux attentes des familles avec enfants souhaitant bénéficier des services classiques de l’hôtellerie tout en étant indépendants. Par rapport à leurs préférences, le développement durable joue un rôle essentiel.

Précisément, vous héritez du premier rapport sur le développement durable avec des visées en termes d’impact social et sociétal. Pouvez-vous nous donner des exemples?
Dès 2014, le président Philippe Gombert et le vice-président Olivier Roellinger avaient présenté un manifeste avec 20 engagements en faveur d'un monde meilleur à l’Unesco pour préserver la nature, la passion du beau et du bon et être acteurs d’un monde plus humain. Avec le chef Mauro Colagreco, vice-président, représentant des chefs, que j’ai choisi, nous voulons augmenter et étendre ces objectifs. Nous venons par ailleurs de publier les premiers résultats de notre rapport de développement durable «En quête d’une hospitalité en harmonie avec la nature». Il évalue en profondeur l’impact écologique, social et sociétal de l’association internationale et présente 15 objectifs concrets à horizon 2025 et 2030. 

Qu’est-ce qui vous parle dans la démarche de Mauro Colagreco, chef triplement étoilé au Mirazur, à Menton? 
Mauro Colagreco est un véritable innovateur dans le monde de la gastronomie avec son style unique qui met l'accent sur l'utilisation d'ingrédients locaux, de saison et la combinaison de saveurs. Sa démarche ne se situe jamais dans le slogan. Il parvient à exploiter le premier restaurant au monde sans plastique, un vrai défi pour les conditions d’hygiène sans film plastique ou les cuissons longues sans utiliser la méthode du sous-vide. 

Avec Olivier Roellinger et Mauro Colagreco, vous mettez en avant des chefs qui se battent pour des cuisines de saison…  
Olivier Roellinger prend la parole à bon escient par rapport à notre responsabilité face à l’océan pour sauver le garde-manger de l’humanité. Mauro Colagreco peut établir toute une réflexion à partir des betteraves qu’il laisse à la cave avant de les enterrer à nouveau au printemps. La gastronomie ne peut plus se contenter de servir du caviar et du turbot en toute saison. Elle doit s’inscrire dans la société en donnant un reflet des écosystèmes. 

Quelle est la plus grande qualité nécessaire à un chef de cuisine aujourd’hui?
Le chef d’aujourd’hui doit s’adapter aux nouveaux enjeux en s’entourant d’une équipe engagée et experte. Il y a quelques années, l’assiette, la clientèle, l’animation de la brigade et la rentabilité étaient au centre de ses préoccupations. De nos jours, le chef doit repenser son modèle d'entreprise, communiquer, animer ses réseaux sociaux, faire vivre son écosystème plus particulièrement en sourçant localement ses produits, avoir une politique RH forte en termes de fidélisation, recrutement et mobilité de ses équipes tout en maintenant une forte créativité. 
Comment allez-vous vous engager en faveur d’achats responsables et de matériaux plus écologiques?  
Chez les chefs étoilés, on ne peut plus parler de préoccupation, mais bien d’une norme. Pour les produits cosmétiques, nous recommandons une sélection de sous-traitants locaux. 

Connaissez-vous des problèmes de recrutement à l’échelle du groupe? De quels avantages bénéficient vos 42 000 salariés à travers le monde? 
En termes de recrutement, d’égalité salariale, vous imaginez bien que les réalités diffèrent, par exemple entre la Californie et le Maroc. Nous ne pouvons pas appliquer les mêmes critères qu’un hôtel. La restauration souffre comme bien d’autres secteurs économiques, nous devons nous concentrer sur la maîtrise des plannings avec deux équipes pour éviter les coupures et garantir deux jours de congé. Ces progrès peuvent se répercuter pour tout ou partie sur les prix des prestations.

Votre famille a été engagée jadis dans le développement et l’industrialisation des engrais organiques puis chimiques… Comment voyez-vous le développement de l’agriculture et de la viticulture durable aujourd’hui? 
Cela fait 45 ans que ma famille ne s’occupe plus d’engrais. Mais j’ai été actif pendant 30 ans dans la viticulture au Domaine de Phélan Ségur. Dans le Médoc, à Bordeaux, on peut se réjouir de la réalité d’une culture engagée et pondérée, même chez ceux qui ne travaillent pas tout en bio ou en biodynamie. On peut parler des rendements réduits se caractérisant par moins de grammes par pieds. Une agriculture raisonnée peut nourrir des millions de personnes à travers le monde. Ces dossiers restent compliqués, on peut sortir de la faconde verbale, je me définis comme un militant de la modération sincère. 

Depuis votre Domaine Les Crayères en Champagne vous connaissez bien les stratégies de marques de champagne. Peut-on l’appliquer à Relais & Châteaux? 
On remarque en effet une certaine similitude entre valeurs des marques de champagne et celles de Relais & Châteaux. Nous visons tous le même niveau élevé de qualité et d'excellence, en accordant une importance particulière à une expérience liée à l'histoire et à la culture de la région, du terroir.

Vous insistez sur l’indépendance de vos membres, leurs spécificités, leurs besoins et ne craignez pas le mot «vulnérabilité», et vous dites que cela vous rend moins monolithique que vos concurrents. En quel sens? 
Nous restons attachés à une indépendance sans hiérarchie. Depuis 30 ans, des débats existent sur faut-il mettre des blasons à nos établissements. Notre marque appartient à nos membres. 

Qu’est-ce qui vous distingue d’un groupe comme Leading Hotels of the World?
J’ai un immense respect pour eux. Mais notre registre reste différent, nos clients restent avant tout sensibles à notre engagement social. Nos membres restent entre 80 et 90% des indépendants. 

Vos établissements totalisent 340 étoiles Michelin, vous sentez-vous lié au guide rouge, quelles valeurs partagez-vous, qu’est-ce qui vous distingue?
Les étoiles Michelin évoluent, nous le constatons. Mais nous n’utilisons en aucun cas dans notre communication ou notre business la puissance de feu des étoiles. Chacun de nos membres y prête une attention et accorde du respect à cette distinction. C'est une formidable aventure que nous vivons ensemble sans aucune dépendance.

Vous parlez de pudeur et de discrétion dans l’accueil, comment défendez-vous ces valeurs? 
Nous pensons qu’un service discret joue un rôle important dans la création d'une atmosphère agréable pour nos invités, qui l'apprécient. Nous sommes convaincus que la mise en œuvre de ces valeurs contribue à ce que nos invités se sentent les bienvenus dans nos établissements.

A titre personnel, quel type de cuisine préférez-vous? Avez-vous un plat favori? 
J'aime les plats qui peuvent être traditionnels dans leur intitulé mais qui sont mis au goût du jour, avec des sauces moins crémées et des garnitures allégées. Dans cette perspective, une blanquette de veau peut être merveilleuse en concentration de saveurs et de légèreté. 

Pouvez-vous évoquer votre passion pour les suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach? 
J’aime leur dépouillement, leur dénuement et leur logique quasi mathématique. Tout cela me procure une émotion pure. J'en ai entendu une dans une église cistercienne en Bourgogne, la lumière et la musique entraient en dialogue. Comme en littérature ou en gastronomie, le minimalisme sans fioriture apporte de grandes joies. 

De multiples
visions du luxe


Le groupe familial Gardinier qu'il dirige comprend encore le Gardinier Florida Citrus, producteur d'agrumes, le comptoir du caviar, à Paris, et le restaurant Drouant, siège des prestigieux prix littéraires Goncourt et Renaudot.
Laurent Gardinier est titulaire de Masters en économie et finances, en business, en histoire politique et en philosophie politique et d'un Bachelor en histoire. Jusqu’alors délégué France au sein de l’association Relais & Châteaux et membre du conseil d’administration depuis 17 ans, il vient d'en reprendre la présidence au 1er janvier 2023.  aca

gardinier.com