Gwendal Poullennec, pourquoi le guide Michelin en Suisse sort désormais en février?

Quels bénéfices pouvez-vous trouver à cette nouvelle stratégie? Nous voulons maximiser la visibilité de l’ensemble de nos 32 publications par un planning international, en regroupant les semaines de lancement par zone géographique, tout en permettant à chaque guide de raconter son histoire propre. Ce qui nous a conduit à modifier cette année les dates pour l’Allemagne, la Suisse et les Main Cities of Europe. La Suisse reste une de nos destinations historiques avec un guide rouge présent depuis 1908. Ne plus paraître à quelques jours d’intervalle du guide GaultMillau Suisse en octobre ne vous gêne pas… Notre stratégie ne se construit pas en fonction de la sortie d’autres titres. De fait cette année nous bénéficions de quelques mois de plus pour la parution de notre guide, mais en réalité cela ne modifie pas notre processus de sélection, qui ne s’arrête jamais et s’étend sur les quatre saisons. Auparavant vous n’organisiez pas de conférence de presse en Suisse, puis vous avez opté pour des lieux discrets comme l’arrière de la brasserie Lipp, puis les locaux du journal Marmite, tous deux à Zurich.

Vous changez radicalement de plan de communication cette année avec une cérémonie au KKL et une collaboration avec l’office de tourisme de Lucerne. Comment l’expliquer?
Il faut déjà préciser que nous ne changeons rien à nos méthodes. Nous travaillons sans chauvinisme dans un système d’inspection équilibré, équitable et homogène au niveau mondial. Ceci étant dit nous devons adapter nos méthodes, notre savoir-faire, aux usages de nos lecteurs. Nous ne sommes plus seulement une publication papier, la maîtrise des médias numériques est devenue essentielle et demande de notre part une communication plus proactive pour assurer le suivi des gastronomes de la planète entière. La ville de Lucerne nous permet de nous mettre en scène dans les meilleures conditions et de proposer dans notre présentation une expérience complète.

Pourtant on a reproché à d’autres classemenst, comme 50 Best, trop de complicité avec des destinations touristiques qui influençaient leur classement. Ne craignez-vous pas ce genre de critique?
Le travail de Michelin s’inscrit dans la durée et ne peut pas se comparer à celui des différents palmarès événementiels, dont celui que vous citez. Nous ne contractons jamais de partenariat marketing avec une destination. Il s’agit simplement d’un partenariat public gagnant-gagnant, par exemple Lucerne Tourisme nous met à disposition aux meilleures conditions ses infrastructures. Notre cérémonie, nos invités peuvent ainsi magnifier l’ensemble de la destination. Mais Lucerne Tourisme n’est d’aucune manière associé à notre sélection. La destination découvre le palmarès après la presse. Nous n’accepterons jamais d’aide pour des billets d’avions pour nos inspecteurs qui sont tous des salariés Michelin à plein temps et restent toujours anonymes lors de leur visite. (Note de la rédaction: D’après de nombreux chefs suisses, certains inspecteurs s’annonceraient après les repas et viendraient parfois uniquement inspecter les frigos et les cuisines.)

Pouvez-vous nous donner un exemple de cette indépendance?
Au Brésil en 2015 et en 2018 en Thaïlande nous avons lancé de nouvelles destinations de nos guides sans attribuer trois étoiles Michelin, à ces destinations. Nous ne faisons aucun compromis sur ces sujets.

Combien d’inspecteurs composent l’équipe d’inspection de Michelin à travers le monde?
C’est un de nos secrets de fabrique, nous ne communiquons pas là-dessus. Cependant je peux vous dire que notre équipe comprend quinze nationalités d’inspecteurs parlant au total 25 langues. Ce métier fait toujours rêver, attire de nombreux jeunes et de plus en plus de femmes. Nous respectons la parité en ce qui concerne nos responsables de pays. Tous les métiers de la filière de la gastronomie sont actuellement représentés parmi notre collège d’inspecteurs.

Pourquoi dans le guide France, redonnez-vous deux étoiles à Sébastien Bras alors que l’ancien trois étoilé n’en souhaite plus et que sa décision avait été respecté dans un guide précédent?
Une manière d’affirmer votre identité de nouveau directeur de Michelin? Le chef Sébastien Bras dirige une belle maison, nous le signalons au bénéfice de nos lecteurs. Nous faisons preuve de grande discrétion dans nos relations personnelles avec des chefs qui nous adressent des demandes. Dans le cas de Sébastien Bras, nous avons dans un premier temps fait acte de bienveillance avec lui, il a aujourd’hui retrouvé ses marques, nous continuons à suivre de près son concept spécialisé et l’inspectons comme les autres tables du guide.

Pourquoi avoir créé cette année en France un prix de la gastronomie durable remis à Christophe Coutanceau qui n’a pas été récompensé par trois étoiles Michelin… Ce prix ne souligne-t-il pas le manque de préoccupation écologiques d’autres grandes tables?
Nous ne voulons en aucun cas récompenser le chef le plus écolo. Il ne s’agit pas d’un classement, on salue simplement l’effort, l’influence et l’impact d’un chef engagé au niveau local et international. Par exemple lorsqu’il privilégie un certain type de pêche et interroge d’autres pratiques jusqu’au Parlement européen. Il s’agit de sensibiliser l’avenir de la filière à la pérennité de ce sujet.

On a parfois reproché à Michelin de ne pas considérer assez les femmes cheffes, cette année en France beaucoup entrent dans le guide, alors que dans un même temps la pâtissière Jessica Préalpato dans Le Monde dit «souligner la présence des femmes n’est pas utile». Qu’en pensez-vous?
Je n’ai pas lu cette phrase. Je ne peux pas tout lire. Mais notre guide ne défendra jamais de quota ou de parti-pris. Par contre nous nous plaisons à saluer la présence de plus en plus marquée de nombreuses femmes dans les métiers de bouche, notamment des femmes cheffes. Ces métiers furent longtemps dissuasifs pour les femmes en raison d’ambiance de travail très masculine et de conditions d’emploi pas évidentes. Le plus grand nombre de femmes en cuisine contribue à la richesse et la diversité de la gastronomie.

Que répondez-vous au critique français Gilles Pudlowski qui vous qualifie Gwendal Poullenec «d’enfant du guide Fooding». Il montre la progression fulgurante des tables de ce guide dans le vôtre et rappelle les 40% investis par Michelin dans Fooding depuis fin 2017?
Le guide Fooding conserve sa ligne éditoriale propre, son ton, son impertinence y compris à notre égard s’il le souhaite. Nos deux sélections restent indépendantes. Nos critères restent toujours les mêmes en termes de qualité d’assiette, d’harmonie et de saveurs. Que plusieurs adresses se retrouvent dans les deux guides, cela me semble logique.

Le guide rouge reproche cette année à Marc Veyrat, qui perd une étoile, «une expérience qui se paie au prix fort». Est-ce son rôle?
Les prix pratiqués n’influencent pas l’attribution d’étoiles. Par contre nous pouvons les signaler comme un élément de contexte important pour nos lecteurs dans notre notice explicative.