Au Schäferstube, petit chalet sur les hauteurs de Saas-Fee, le jeune chef autrichien Daniel Kronhuber se démarque en proposant depuis trois ans une cuisine personnelle et locavore saluée directement de 14 points au GaultMillau, depuis 2020. Un grand mérite qui se signale car il s’agit de la seule adresse gourmande de Saas-Fee figurant dans le guide jaune 2022. Alors que The Capra, le somptueux cinq étoiles de 24 chambres et suites, à la carte de vins valaisans hors du commun, cherche un nouveau souffle gastronomique depuis septembre avec Sebastian Walczak. Après le départ précisément de Daniel Kronhuber resté seulement une année pour voler de ses propres ailes, il succédait à Erich Glauser, seul chef ayant obtenu des points (15) pour l’établissement en 2018. 

Irma Dütsch marque de son empreinte la destination
«Saas-Fee ne brille pas précisément par la multiplicité de ses grands restaurants», notait le GaultMillau dans son édition 2021. A Saas-Fee, dans le Haut-Valais, la seule et unique star reste l’époustouflant paysage entouré de légendaires 4000 mètres. Mais l’une de celle qui en parle le mieux demeure la cheffe Irma Dütsch, notamment dans le documentaire que l’association Plans Fixes lui consacre: «Cela reste spécial par la beauté des sentiers, le lever du soleil et de la lune», raconte la première femme étoilée par Michelin en Suisse, en 1994 et ayant obtenu la même année 18 points GaultMillau. Sa cuisine pratiquée de 1976 à 2004, au Fletschhorn, s’incarne comme un marqueur incontournable pour la jeune génération, comme le témoigne Silvio Welti, chef du Zur Mühle, restaurant ouvert par ses grands-parents, pratiquant pourtant une cuisine très traditionnelle depuis trois générations: «Irma Dütsch a amené la grande gastronomie à Saas-Fee. Elle m’a beaucoup appris, je lui demande encore des conseils.» Mais Silvio Welti ne se laisse pas tenter par les sirènes de la haute cuisine: «La clientèle très familiale et fidèle de Saas-Fee recherche avant tout une bonne cuisine bourgeoise, avec des produits uniques, comme la vache d’Hérens ou notre propre chasse familiale que nous proposons que de mi-septembre à fin octobre.»

Fromage de brebis et huile de courge autrichienne
En arrivant au Schäferstube, dans une salle intimiste qui en dissimule d’autres, entre pierres apparentes et petite lampe de table design, on comprend tout de suite l’exigence du chef à travers son pain aux carottes maison accompagné d’un beurre artisanal et d’un mélange d’épices. Même si ici aussi on sent que la clientèle déjà fidèle se réfugie volontiers derrière un rassurant cordon bleu maison, alors que l'établissement propose plus d’audace. Comme ce faux amuse-bouche, véritable plat, un œuf poché accompagné d’une émulsion juste truffée. En salle, sa compagne Simone Zurbriggen amène de la joie et de l’énergie. Elle explique le seizième menu de l’établissement et promet quelques éclats autrichiens, comme cette huile de graine de courge sur la salade d’hiver.

[IMG 3]  En effet ici, pas question de servir une simple salade verte. Les pousses végétales et les herbes dissimulent des rondelles de betterave découpées à la mandoline et des morceaux de ce même légume cuit. Mais surtout le chef ne craint pas les nobles acidités, en les associant avec un onctueux fromages de brebis, mélange délicat, servi dans une discrète assiette verte grise. La soupe de céleri infusée à la citronnelle et des dés de pommes fondants marquent par leur belle longueur en bouche. Arrive ensuite le ludique veau 2.0, il s’agit de proposer une escalope délicatement rosée et de la recouvrir d’un ris de veau, deux excellents produits, mais hélas le ris de veau et sa panure un peu lourde pêchent par une cuisson trop ferme, alors que le topinambour en mousseline et en morceau tout comme les bettes saisies régalent. Le jus de veau manque un peu d’identité. Le dessert nous ramène vers un classique de la pâtisserie autrichienne, des knödels cachant un morceau de pruneau, le mélange avec les grains de cassis et la glace yogourt citron fonctionne parfaitement.

Simone Zubriggen suggère un bel accord avec un gin de Noël fait maison, infusé dans de multiples épices et servi sur de la cannelle et de la citronnelle. Au final, le Schäferstube propose un beau repas mêlant tradition, produits régionaux et quelques éclats créatifs.  Seul regret: la carte des vins, proposant, certes plusieurs références valaisannes, mais essentiellement des vins de la grande maison Rouvinez et de la cave du Tunnel de Jacques Germanier. Donc aucune prise de risque sur le vin.

Un parcours d’accords mets vins d’exception
Dès l’arrivée à The Capra pour l’apéritif, on remarque à l’inverse une carte de vins valaisans hors du commun et on cède d’emblée à un cépage très rare le Lafnetscha, mutation du Completer et de l’Humagne blanc. On nous sert un millésime 2019, de Simone et Jacques Stupf, à Niouc. Ils exercent un travail très noble sur ce cépage, comme Gianni Bonner aux Grisons avec le Completer. Ce Lafnetscha frappe par ses notes fumées, florales. Ses arômes de pignons de pin et de sureau. Ensemble réussi pour une jolie volupté en bouche. Cela se marie bien avec d’originales brochettes de tofu marinées au soja, à la discrétion toute japonaise, qui changent des traditionnelles cacahuètes d’apéro. Au restaurant le maître d’hôtel Fabio Bocca rend l’ambiance du service très détendue et donne une grande importance au détail comme la façon de plier une serviette. Pourtant l’amuse-bouche n’amuse pas la bouche, un anecdotique ravioli de courge et gorgonzola, si minuscule qu’il ne permet d’apprécier aucun goût. On commence par une idée de la carte qui nous séduit, un ceviche d’omble chevalier, la chair ferme et orangée du poisson se prête très bien, à cette découpe large de sa chair et son croquant ravi. Mais le nouveau chef Sebastian Walczak insiste beaucoup trop sur la décharge acide du jus de citron vert. Le sésame et les grains de grenade tuent la finesse du poisson. En charge des vins, un jeune Slovaque Milos s’excuse d’emblée: «Je ne suis pas sommelier professionnel, je me charge d’une carte construite par d’excellents consultants.» Et pourtant avec assurance, il n’hésite pas à proposer deux nectars du millésime 2020. Une Petite Arvine de Gilbert Devayes qui plaît par sa souplesse et son amertume d’agrume assumée et plus audacieux encore, une Amigne de Fabienne Cottagnoud, légère et vive, avec moins de huit grammes de sucre et cet envoûtant nez de mandarine.

[IMG 4]  Bien que très simple, la soupe du jour sous forme de crème avec un mélange de champignons croquant en fond de bol et du zeste de citron vert en surface fonctionne bien. Milos s’amuse avec un accord baroque, un Blanc de Noir hyper expressif de Gilbert Devayes, des bulles expressives sur une soupe, cela peut sembler gonflé mais nous divertit terriblement. Le plat principal conseillé par Fabio Bocca présente une magnifique qualité de filet de sandre généreux qui semble nacré, mais dont la cuisson se révèle excessive et assèche la chair, l’émulsion de yuzu a du goût, mais manque d’originalité. Pour accompagner ce poisson, on opte pour un élégant Pinot Noir du domaine Cornulus 2019, mais là encore, l’audacieux Milos triomphe en proposant une Humagne Rouge de Gilbert Devayes 2020, tout en délicatesse avec son ample structure et sa bouche limpide de Cassis. En dessert, on opte pour une déclinaison de mandarine ou seul le sorbet impose sa délicatesse, les morceaux de panettone et la meringue déborde de sucre. Comme pour le salé, les visuels de Sebastian Walczak manquent encore de recherche. Ultime coup de panache de la sommellerie: un alcool de Lafnetscha parfaitement équilibré comme pour clôturer ce festival d’inventivité. Au contraire du Schäferstube, The Capra doit encore trouver une identité culinaire plus affirmée, alors qu’il fait tout juste en termes d’accords mets et vins.

Au final, le charme rural et la cuisine alpine maîtrisée du Schäferstube rentrent en contraste avec le design épuré de la décoration ultra luxe de granit et de boiserie de The Capra, mais les deux proposent un service très agréable qui dépayse avant le retour vers une station qui garantit un ski de haute montagne en toute sécurité, telle une messagère de sauvagerie domptée.