Maud Bailly, vous êtes CEO pour l’Europe du Sud chez Accor, vous avez étudié la littérature françaisecontemporaine et mettez en exergue cette phrase du poète René Char sur votre profil professionnel: «Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.» Une manière de vous singulariser dans le monde du business ou une profession de foi?
Je suis assez émue de réentendre cette phrase, découverte lorsque je passais le concours de Sciences Po à Paris. Elle a agi comme un déclic pour ma culture générale. Mon parcours professionnel non linéaire m’a demandé de la résistance, à l’Inspection générale des finances à Bercy, au poste de directrice des trains à la SNCF ou à la tête du pôle économique du cabinet du Premier ministre. On passe à travers tout un processus de soutiens et de rejets où il faut imposer sa chance, sans arrogance, accepter les règles avec douceur. Construire une apologie de la différence, de la résilience et de la tolérance.

Le Groupe Accor, sixième groupe hôtelier mondial, a accusé l’an dernier une perte nette proche de 2,2 milliards de francs suisses et vu son activité chuter de 60% du fait de la crise sanitaire, qui a fait fermer ou tourner au ralenti ses établissements. Comment peut-on répondre à une telle crise, avec quels outils?
Oui, il s’agit d’un vrai choc, dès janvier 2020. Après un point bas observé au deuxième trimestre dans toutes les régions du monde de 80%, avec des réductions inédites des voyages et une peur de l’accélération de cette situation. Notre réponse s’est articulée autour de priorités commerciales, sanitaires et solidaires. Quand on repense les leviers, on doit toujours partir de l’attente de nos clients. Autour d’une offre de flexibilité et des possibilités d’annuler les réservations en dernière minute, nous avons souhaité soutenir le tourisme local à un moment où les déplacements étaient limités, avec par exemple une offre de séjour de proximité dans un rayon de 100 km, ou encore une offre de room service adaptée lors de staycation. Nous avons mis en place une réassurance sanitaire autour de protocoles certifiés par des organismes tiers tels que Bureau Veritas ou SGS, des leaders de l'inspection, du contrôle et de l'analyse, avant d’obtenir le label «All Safe». Et nous sommes fiers d’avoir plus de 1000 hôtels certifiés sur l’Europe du Sud. Cela nous a permis de rassurer les clients, BtoC et BtoB, notamment les organisateurs de petits séminaires, en offrant des espaces adaptés pour 10, 50 ou 100 personnes, ou de conventions de plus grande capacité.

Pouvez-vous détailler la politique sociale du groupe dans ses différentes dimensions pendant la crise?
Il fallait se soucier des autres tout en gardant du sens. Notre CEO Sébastien Bazin a annoncé l'annulation du dividende au titre de l'exercice 2019 en avril 2020. Ceci a permis d'affecter
70 millions d’euros, soit 25% des 280 millions d’euros, au lancement du ALL Heartist Fund, un fonds d’aide pour les employés et les partenaires individuels du groupe affectés par la crise sanitaire. Les 260 000 employés des 5100 hôtels du groupe y sont éligibles, 83 000 employés en ont déjà été bénéficiaires. Par ailleurs, la plateforme Coronavirus Emergency Desk Accor (CEDA) a permis la mise à disposition rapide de chambres d’hôtel au personnel soignant et aux populations les plus vulnérables.

Croyez-vous à un retour aux grands évènements?
La vie va reprendre en 2021. Nous assistons à une reprogrammation des foires et des salons, le Mipim de Cannes est confirmé en septembre. L’économie va retrouver sa fluidité. Mais il faut rester vigilants.

Vous défendez des hôtels qui deviennent des lieux de vie...
Nos clients veulent se retrouver, se restaurer, se divertir, faire du sport. Nos quartiers, les poumons de nos villes ont été privés d’oxygène et là nous reprenons des couleurs. Déjà amorcée avant la crise, notre vision de l’hospitalité augmentée va bien au-delà du séjour hôtelier, par notre capacité à attirer une clientèle locale et à ancrer nos hôtels dans leur quartier. Notre programme de fidélité ALL lancé en 2019 est bâti sur tout un écosystème de services et de partenariats autour des trois passions de nos clients: le food, le sport avec le PSG ou Roland Garros et le divertissement avec l’Accor Arena à Paris ou les concerts tels que le Montreux Jazz Festival.

Comment définiriez-vous cette crise sans précédent?
Elle agit comme un révélateur d’ADN, nous renvoie au ques-
tionnement du sens. La crise n’a pas tout changé mais elle a tout accéléré. Elle nous a certainement fait gagner plusieurs années de maturité digitale. Par exemple en accélérant les processus digitaux en termes de check in et de check out, de code QR dans les restaurants, de clés digitales avec Accor Key...

Vous regrettez que beaucoup de conseils exécutifs de grandes sociétés ne s’ouvrent pas aux femmes? Comment changer cela?
En considérant la diversité comme un levier de performance. Notre réseau RiiSE de leadership et de diversité, ouvert tant aux femmes qu’aux hommes, reste actif sur 110 pays avec ses
26 000 membres. En 2015, Accor comprenait 27% de femmes directrices d’hôtels au début des engagements pris avec le programme HeForShe de l’ONU Femmes. En 2020, 34% ont été atteints pour un objectif de 40% de femmes d’ici à 2022. Nous visons une égalité totale entre hommes et femmes et un meilleur équilibre générationnel.

Que retenez-vous de cette crise?
Beaucoup de changements, des rebondissements, du renouveau. D’un point de vue managérial, elle  aura permis de réduire les circuits décisionnels, de limiter les formes de contrôle, de moderniser sa manière de gérer ses équipes. Il ne faut jamais tomber dans l’amnésie d’une crise.

Parcours
Ministères, gares et hôtels

Maud Bailly débute ses études de lettres modernes à l’Ecole normale supérieure, avant d'entamer un Master en administration publique à l’Institut d’études politiques de Paris. Elle débute sa carrière à l’Inspection générale des finances. En 2011, elle rejoint la SNCF, puis devient directrice des trains en 2014. Appelée en 2015 au cabinet du Premier ministre Manuel Valls, elle devient cheffe du pôle économique et digital. En 2017, Maud Bailly rejoint Accor où elle est nommée Chief Digital Officer, membre du comité exécutif. Fin 2020, elle devient directrice générale du hub «Europe du Sud». aca
 

Durabilité et innovation  
au centre d’une table ronde

Maud Bailly ouvrira les conférences de la deuxième journée du Hospitality Summit, à la halle 550, à Zürich Oerlikon, le 8 septembre entre 8h30 et 9h en présentant «ses stratégies efficaces pour l’avenir».
Les thèmes clés du tourisme et de l’hébergement seront abordés lors de la table ronde du 7 septembre entre 15h25 et 16h20. «Qu’y a-t-il derrière les mots clés durabilité, numérisation, mobilité et innovation?» Les experts Stephan Sigrist, fondateur et directeur du Think Thank W.I.R.E., Paola Ghillani, consultante en durabilité et pour divers mandats, Marc Langenbrinck, CEO de Mercedes-Benz Suisse et Thomas Kleber, COO de Sorell Hotels y prendront part.  
«Les assouplissements progressifs décidés par le Conseil fédéral ouvrent la voie à la reprise tant attendue de notre branche.
Nous attendons avec une impatience grandissante le Hospitality Summit des 7 et 8 septembre 2021, un événement passionnant et organisé en toute sécurité. Notre programme varié reste inchangé et le nombre de participants ne cesse de croître, ce qui est surtout dû à la sécurité de planification dont nous disposons à présent», précise HotellerieSuisse dans un communiqué. aca
hospitality-summit.ch