Eric Favre, vous aviez annoncé quitter l'Alpina de Gstaad pour consacrer plus de temps à votre famille. Vous voici à nouveau dans l'opérationnel, au Richemond à Genève. L'hôtellerie vous manquait?
Effectivement, j'ai décidé de quitter l'Alpina pour prendre ma retraite, à la fin septembre 2018. Dès octobre, le propriétaire du Grand Chalet à Gstaad, également propriétaire majoritaire du Richemond et qui souhaite rester discret, cherchait un conseiller pour son établissement de Gstaad et ses projets de développement. Cela représentait environ trois jours de travail par mois. Cela me convenait très bien et c'était la première fois que je travaillais comme consultant. Puis est venu le temps du Richemond…

Qu'est-il arrivé à cet hôtel légendaire pour qu'on fasse appel à vos services?
Le propriétaire a d'abord songé à le vendre après le départ du groupe Dorchester Collection fin 2017. L'hôtel a été sur le marché, mais a finalement été retiré de la vente. Mais je ne suis pas convaincu que le propriétaire souhaitait vraiment s'en séparer… Il est revenu à son intention d'origine qui consistait à investir pour recréer l'image et le dynamisme du passé. C'est pour cela que je suis ici, à plein temps maintenant, pour provoquer ces travaux le plus vite possible.

Vous vous êtes séparé du directeur général Christophe Hilty. Les chiffres ne corres­pondaient pas aux attentes?
Ce n'est pas vraiment une question de chiffres, mais davantage de provoquer ces travaux. Ceux-ci étaient déjà prévus avec l'arrivée de Dorchester Collection en 2011, mais il a manqué le déclic. L'hôtel tourne relativement bien, l'équipe en place est top, le service à la clientèle est parmi les meilleurs de Genève, si je m'en remets aux commentaires sur Internet. Certes, on peut toujours faire mieux en termes de ventes, de développement, de taux d'occupation… Il n'empêche qu'en juin, nous étions le deuxième meilleur performeur de Genève.

Derrière le Four Seasons Hotel des Bergues, c'est ça?
(Il sourit en guise acquiescement). Au sein du Groupement des hôtels 5 étoiles genevois, nous échangeons certains résultats: RevPAR, prix moyens et taux d'occupation. Et effectivement, depuis que l'hôtel des Bergues a rejoint Four Seasons, il se situe en tête.

La concurrence est rude au sein des 5 étoiles genevois?
Pas plus rude qu'au sein des 4 étoiles. J'ai l'impression que chaque 5 étoiles trouve son marché et sa clientèle.

Alors que manque-t-il au Richemond?
Une identité. Je ne pense pas que l'on puisse recréer le Richemond du passé, mais nous pouvons créer un hôtel avec une âme, qui repositionne le Richemond comme un haut lieu de rencon­tre à Genève, comme à l'époque des Armleder. Il y a finalement assez peu d'hôtels à Genève qui ont une âme profonde, une histoire. Le but consiste à marquer le changement, avec un projet cohérent avec l'histoire de l'hôtel et qui nous permette de nous différencier des autres cinq étoiles.

Plus de 40 ans d'expérience dans l'hôtellerie
Eric Favre a repris en février la présidence de la Société anonyme de l'Hôtel Richemond, société propriétaire de l'établissement genevois. Il en assume également la direction ad intérim depuis le mois de mai. Le Vaudois diplômé de l'Ecole hôtelière de Lausanne compte plus de 40 ans d'expérience dans l'hôtellerie de luxe en Suisse et à l'étranger. Il a dirigé plusieurs hôtels emblématiques, comme le Royal Savoy à Lausanne, le Mirador Kempinski au Mont-Pèlerin ou encore l'Hôtel Alpina de Gstaad, jusqu'en 2018. Il fut également directeur de l'Ecole hôtelière Les Roches, à Crans-Montana (VS). 

L'hôtel entretient-il encore des liens avec la famille fondatrice?
L'artiste John Armleder était ici récemment. Il vient encore régulièrement, y amène des gens. Il y est encore très attaché, il a grandi dans ses murs. Si ce projet va de l'avant, certainement que nous parlerons avec lui. Vu sa notoriété, le lier à cette histoire peut être intéressant pour tout le monde.

Comment expliquez-vous le manque d'identité actuel? Une mauvaise gestion?
Pas forcément une mauvaise gestion, mais un style différent. Lorsque le groupe britannique Rocco Forte a racheté puis totalement rénové l'hôtel en 2007, il a cherché à faire quelque chose de totalement différent. Mais sa vision n'a pas plu au marché genevois. Renoncer à l'âme du Richemond fut une erreur. Genève est une destination très particulière, suisse. On ne peut pas faire n'importe quoi dans l'hôtellerie. On doit savoir que l'on se trouve à Genève, retrouver cette tradition de palace tout en restant moderne. La gestion par Dorchester, réalisée depuis Londres et Paris, manquait également d'ancrage genevois.

L'indépendance choisie par la société propriétaire était une bonne décision ou pensez-vous que l'hôtel doive se rallier à un groupe ou une marque, comme de plus en plus d'hôtels à Genève?
Pour l'heure, la volonté est de rester indépendant, ce qui présente plusieurs avantages, notamment celui de la réactivité et de la stabilité. Je ne pense pas que nous ayons besoin d'une chaîne. Si nous avions 400 chambres, ce serait différent…

A quoi ressemblera le futur Richemond?
Nous sommes actuellement en phase de planification, pour trouver le bon concept et les meilleurs designers pour réussir cette rénovation. Notre vision devrait être plus claire d'ici la fin de l'été. Mais ce processus est lent. Les travaux ne débuteront pas avant fin 2020. Nous n'avons pas encore décidé s'il s'agira d'une fermeture partielle ou totale. Mais l'objectif consiste à garder le personnel, très apprécié et fidèle.

Sur quoi porteront ces rénovations?
Nous referons toutes les chambres et les suites, sans toucher aux salles-de-bain, en marbre, en très bon état. Nous souhaitons transformer le rez-de-chaussée en un grand lounge, l'objectif étant de décloisonner les espaces jusqu'au restaurant, de déplacer la réception pour rendre l'accueil plus chaleureux, de recréer ce lieu de vie. Nous serons dès lors le dernier hôtel de luxe à Genève à être rénové. Nous savons que les Genevois attendent cette rénovation.

Combien de temps resterez-vous au Richemond? Avez-vous déjà nommé un nouveau directeur?
Un nouveau directeur entrera en fonction à la fin du mois. Je pourrai dès lors me concentrer sur la vision stratégique de l'hôtel, en tant que président de la société anonyme.



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Hôtel légendaire de la famille Armleder
transformé par Rocco Forte

Fondé en 1875 par Adolphe-Rodolphe Armleder, l’hôtel Richemond reste en mains familiales durant quatre générations. Durant cette période, il accueille de nombreuses célébrités, figure en tête des palaces internationaux et devient un haut lieu de rencontres à Genève. En 2004, il est vendu au groupe britannique Rocco Forte. Ce dernier entreprend une rénovation totale de l’hôtel en 2007 qui change  considérablement son allure, tout en augmentant sa capacité: il crée notamment un 7e étage pour la suite royale Armleder. Depuis 2011, l’établissement est en mains d’une société d’actionnaires. Celle-ci en confia la gestion à Dorchester Collection avant de décider fin 2017 de devenir indépendant.

L’hôtel 5 étoiles sup. compte 109 chambres dont 34 suites, dispose de salons de réunion, d’un spa Sisley et d’un fitness. Son restaurant Le Jardin (16 points Gault Millau) où officie le chef Philippe Bourrel est apprécié de la clientèle genevoise, pour sa cuisine de produit et sa terrasse verdoyante. Le pâtissier Sébastien Quazzola a remporté le titre de pâtissier de l’année Gault Millau 2019.