Le sauvetage d’un hôtel historique dans un endroit spectaculaire à 1650 mètres d’altitude, mais hors des grands axes touris­tiques, peut se révéler une aventure intense. Le Grand Hôtel du Cervin, à Saint-Luc, en Valais, n’échappe pas à la règle. Après trois ans de travaux, il se présente déjà depuis cet été sous forme de préouverture et ouvrira officiellement ses portes le 17 décembre sous franchise des Auberges de jeunesse suisses. 

Cette auberge de jeunesse d’un nouveau genre vise une clientèle quatre saisons. Directeur de l’hôtel historique 4 étoiles Bella Tola, Claude Buchs, membre du conseil d’administration de la SA du Grand Hôtel du Cervin et membre de la société de gestion, explique la réflexion: «On cherchait à relancer Saint-Luc. Donc réaliser un Bella Tola deux dans le segment 4 étoiles n'avait pas de sens. Ma fille de 25 ans nous a parlé d’un hôtel au Portugal qui mélange chambres et dortoirs. En visitant les nouvelles auberges de jeunesse à Berthoud, Laax et Saas-Fee, nous nous sommes rendu compte que le modèle collait à notre station.» Une nouvelle génération d’établissements qui brillent 
en Suisse alémanique, mais pas encore très présents en Suisse romande. 

A Saint-Luc, la jeune Valai­sanne Aude Héritier effectue sa première expérience à la tête d’un hôtel et en vante un modèle qu’elle découvre, elle qui vient de l’hôtellerie traditionnelle: «Je m’y suis familiarisée avec la directrice de Saas-Fee, j’ai compris qu’il ne fallait pas faire les chambres tous les jours et que nous devions recruter des personnes qualifiées et polyvalentes, sans nécessairement engager une gouvernante ou un maître d'hôtel.» 

Des propriétaires de résidences secondaires unis
Il faut refaire un peu de l’histo­rique récent pour bien comprendre la démarche. En 2013, le propriétaire Etienne Gard, représentant la quatrième génération de la famille du constructeur de 1893, souhaitait vendre cet hôtel qui n’avait plus été exploité ainsi. Il avait tour à tour accueilli des colonies de vacances ou été exploité comme Guest House. Autour de l’initia­teur du projet Olivier Salamin, un groupe de personnes très impliquées dans la région s’est constitué afin de racheter cet établissement et le remettre en exploitation. 

Une cinquantaine d’action­naires se sont réunis au sein d’une SA, Grand Hôtel du Cervin, et ont réussi l’exploit de rassembler les fonds nécessaires à l’achat pour quatre millions de francs vers un modèle d’actionnariat partagé, pour éviter qu’un seul gros actionnaire s’en empare. «Toutes ces personnes ont mis de l’argent par conviction et sans viser de grands bénéfices», explique Philippe Biéler, un des membres fondateurs de la SA. Claude Buchs souligne que, pour une fois, les propriétaires de résidences secondaires ne rentrent pas en conflit: «Ils se sont mis ensem­ble pour dynamiser un hôtel au centre du village. Cela peut donner des idées à d’autres stations.» La SA reste proprié­taire, donnant franchise aux Auberges de jeunesse suisses. Quant à l’exploitation, la voilà confiée à Hôtels et Restaurants Saint-Luc-Chandolin Sàrl, une société fille des Remontées mécaniques de St-Luc, qui en assure la gestion. Nouvelle Politique régionale et Crédit hôtelier mobilisés. Au niveau financier, le projet jouit d’un vaste soutien: canton, monuments historiques, commune, population, remontées mécaniques, résidents secondaires, banques. 

Un montage complexe et novateur, en plusieurs étapes, dont Philippe Biéler dévoile certains leviers: «Il s’agissait déjà de faire classer le bâtiment historique auprès de l’Etat du Valais pour obtenir son aide, ainsi que celle de la commune. Ensuite, l’Aide suisse à la montagne nous a aidés à hauteur de 650 000 francs. Nous avons pu bénéficier des crédits de la Nouvelle Politique régionale et de ceux du Crédit hôtelier, grâce à la confiance de son directeur d’alors, Philippe Pasche.» Enfin, plus surprenant encore, les propriétaires ont déniché un financement à travers un article de la Lex Weber qui permet de vendre des résidences secondaires à raison de 20% sur la surface exploitée par l’hôtel et permis la construction de deux chalets. «Une première utilisation de cet article selon Helvetia Nostra», précise Philippe Biéler.

Sous l’hôtel historique se cachent désormais des bains tout neufs avec vue sur les montagnes et un système novateur de chauffage au bois de la région. Sa construction a été entièrement financée par la commune d’Anniviers. Claude Buchs s’en réjouit: «Une offre qui manquait à la destination familiale de Saint-Luc.»