D’emblée Pauline Laurent dit enjouée: «Je suis nature comme mon hôtel et j’adore créer des ambiances.» Elle commence par raconter ces petits spots qui projetaient des photos de feux d’artifice sur les murs des pavillons lacustres le soir avant, qu’elle a adoré fabriquer et installer. On entend les mots «lovely» et «boiling» déjà jaillir de la conversation. On découvre Pauline Laurent pour la deuxième fois avec l’impression qu’on la côtoie depuis longtemps, tant elle laisse aller son naturel. Son ami Philippe Zurkirchen, propriétaire et gérant de l'Hôtel Beau-Séjour & Spa à Champéry, retrouvé à l’Ecole hôtelière de Lausanne, confirme cette impression de tornade joyeuse que donne la jeune directrice dès les premiers instants: «Je l’ai toujours connue ainsi avec cette énergie, ce rayonnement, elle possède le virus du client, elle reste toujours enthousiaste, même dans ses moments un peu plus bas.» 

Sans masquer l’autre réalité brûlante, qu’elle ne cache pas, et à laquelle toujours elle fera face. Les problèmes de pénurie de personnel frappent décidément fort cet été, comme ce lendemain de fête nationale où elle gère une équipe restreinte: «On doit donner du sens à la tâche de notre personnel, le fidéliser, je trouve important que la hiérarchie devienne de plus en plus horizontale, dans ce métier, j’y tiens. Je laisse toujours le plus d’initiatives possibles à mes sept cadres lors de nos séances quotidiennes du matin. Mais je demande aussi à tout le monde de couper son téléphone pour être pleinement là pendant le tour de table de 15 minutes et parfois je rappelle l’utilité de se serrer les coudes comme une petite armée autour de ceux qui décident.» Des séances où s’articule le plus matériel, les chiffres des jours d’avant du département de chacun, les spécialités de chaque domaine, les attentes, mais surtout aussi l’articulation de projets qui semblent abstraits à certains et deviennent concrets pour tous: «On s’intéresse à l’acquisition d’un nouvel outil pour la conciergerie et on peut donner des pistes, même si on travaille au bar.»

«Je fais attention à mon équilibre entre vie privée et vie professionnelle»
Elle apprécie l’approche de la jeune génération qui avoue parfois ne pas maîtriser une situation au lieu de toujours obéir, comme elle l’a appris voilà quinze ans. Mais parfois elle se sent aussi perplexe face à certaines situations: «J’aime quand ils remettent en question des comportements inadéquats et expriment leurs émotions, mais par contre, je ne comprends pas les moqueries ou le manque de conscience professionnelle. Un drôle de sentiment pour Pauline Laurent, pas encore jeune quadragénaire, de se sentir osciller entre les savoirs de plusieurs générations: «J’ai connu les cassettes que l’on rembobinait avec un crayon et je dois pouvoir naviguer dans l’univers des i-clouds.»
Par rapport à certaines grandes figures hôtelières masculines historiques qui passaient leur vie à l’hôtel, elle ne se sent pas prête à tout sacrifier pour son établissement, malgré sa passion intacte. «Je reste toujours disponible jusqu’à 22 heures, quand il le faut, pour aider l’ensemble des équipes, mais ensuite je fais aussi attention à mon équilibre entre vie professionnelle et vie privée», explique-t-elle.

Quoi qu’il arrive, elle prend toujours un maximum de temps pour ses hôtes: «Je veux que de plus en plus tous les habitués de l’hôtel Palafitte se disent qu’ils viennent chez Pauline, j’aime le terme allemand Gastgeber.» Tout semble réussir à cette jeune femme à qui la Fondation des hôtels Sandoz vient de faire confiance en lui confiant les rênes d’un de ses 5 étoiles iconiques de 38 pavillons, le Palafitte, au charme exotique, au bord du lac de Neuchâtel, alors qu’elle en occupait le poste de directrice adjointe depuis plus de deux ans. Cela notamment après avoir dirigé le Starling Hotel, à Lausanne, pendant quatre ans et demi, depuis octobre 2015. «Il s’agissait d’un gros porteur de 154 chambres et de 12 salles de séminaire, un univers motivant au cœur de l’Ecole polytechnique fédérale, à côté du Swiss Tech Center, avec beaucoup de clients en team building, des groupes, une stratégie de clientèle business bien définie. J’ai appris beaucoup et j’ai pu y amener ma touche, notamment en créant un jeu de rôle grandeur nature où il fallait résoudre l’énigme de bijoux volés.» 

Mais aujourd’hui au Palafitte, elle découvre une autre réalité: «Je dirige le même nombre d’employés, une cinquantaine de personnes. Je dois avoir le coup de foudre pour l’établissement. Ici, en tant que Neuchâteloise originaire de Bevaix, je ne pouvais que tomber amoureuse des lieux, mais aussi des équipes déjà en place. Ici, tout est envoûtant, mystique. J’aimerais encore plus pousser cette sensation comme dans les Quatre Saisons de Vivaldi avec le côté solaire de l’été, les premières chaleurs du printemps, les bleu-gris relevés par la neige l’hiver, mais aussi le bois roux qui se reflète dans le lac et rappelle certaines peintures.» 

Un coup de foudre géographique pour la Californie
A cette évocation de la directrice, on pense à celles du peintre Daniel Aeberli, disparu récemment. Il habitait non loin de là et n’avait pas son pareil pour créer des taches lacustres proches de la disparition à partir d’une rive, d’un ponton. Pauline Laurent confesse: «Je n'ai pas toujours eu confiance en moi, en tant que femme. On doit savoir saisir les opportunités, prendre notre place comme dirigeante et gérer tout ensemble, notre vie de directrice avec des horaires particuliers, ainsi que notre rôle de mère. Cela passe aussi parfois par l’expression de notre féminité et notre image. Aller chez l’esthéticienne, la pédicure, la coiffeuse fait aussi partie de nos réalités, de notre authenticité et nous donne parfois du courage.»

Pauline Laurent aime aussi les duos improbables comme celui qu’elle formait dans sa première expérience professionnelle avec Estelle Mayer, à l’Hôtel Tralala, à Montreux, de 2008 à 2012: «Elle, la grande blonde, m’a fait confiance à moi, la petite brune; à 28 ans, je suis vite devenue son bras droit et gauche, un coup de foudre amical. J’ai appris de sa façon d’organiser des afterworks, de ses expériences du milieu de la nuit, elle n'a pas son pareil pour mettre ensemble les person­nalités locales, créer des évènements. J’ai vu comment elle gérait sa vie d’entrepreneuse pleine d’idées mais aussi la présence avec ses deux enfants pour les amener à l’école, aux sports.» Elle m’inspire dans mes activités avec ma fille de 4 ans, je pensais à elle l’autre jour en conduisant pour me redonner de l’élan. 
Et puis il y a aussi sa parenthèse californienne, d’un peu plus d’une année, au Boutique Hotel Beverly Terrace, entre janvier 2013 et février 2014: «Alors là, je peux parler d’un coup de foudre géographique, qui a donné beaucoup de sens à ma vie et m’a orientée vers la créativité, la recherche du bien-être.» Elle rigole en racontant: «Tu t’arrêtes à un feu rouge au milieu d’un embouteillage, et la personne à côté de toi te complimente sur ton vélo ou la classe de tes chaussures italiennes, une espèce de naïveté, tellement naturelle, qu’elle fait du bien.» Elle se souvient d'un comédien qui ne pouvait venir travailler que pour le petit déjeuner car le soir il montait sur scène. «Je m’identifie tout à fait à ce genre de personnage, je me sens directrice d'un hôtel d'exception à 100%, mais j’adore poursuivre mes passions, je reste mordue par la décoration intérieure.» Elle reste coassociée avec son conjoint du restaurant L’optimist’, à Saint-Aubin, qui avait développé une petite entreprise dans l’événementiel nommé Complicity. «Ma cave reste remplie de lanternes, de vases, de luminaires, d’origamis.» 

Repartir des Etats-Unis en franchissant la frontière mexicaine à pied reste un de ses grands souvenirs. «On a voyagé six mois en Amérique centrale avec un sac à dos, on pouvait toujours sortir une chemise et un pan-talon noir pour aller dans de beaux hôtels.» Elle aime la décontraction en voyage et au Palafitte, elle se réjouit d’accueillir des clients d'une nouvelle génération, avec un sac à dos.

Pauline Laurent
Age: 39 ans et demi
Métier: Directrice d’hôtel 
Ce que j’aime: J’aime tout.
Ce que je n’aime pas: L’hypocrisie
Ce que je voulais devenir: Inspectrice de police, m’en voilà pas très loin dans mon travail quotidien (rires)…
Ce que j’ai raté: Mes grands-parents maternels partis trop tôt, des horticulteurs, des fleuristes, j’aurais aimé partager des moments créatifs avec eux.
Ce qui me fait rire: La nature humaine
Dans ma nouvelle vie, je voudrais…: Avoir beaucoup d’enfants.

Un focus sur les femmes
Dans le monde de l’hospitalité et du tourisme, les femmes occupant des postes de direction restent sous-représentées. Avec sa série de portraits (à retrouver sur htr.ch), htr hotelrevue met les femmes sous les feux de la rampe et présente une fois par mois une personnalité au parcours hors du commun.