Provisoires ou chroniques, les handicaps entraînent souvent des situations de malentendu, quand il ne s’agit pas purement et simplement de rejet. Et on ne parle pas des innombrables problèmes matériels rencontrés au quotidien par les personnes handicapées. Les métiers de l’accueil et de l’hospitalité sont, par définition, les premiers à être concernés par le sujet.

Et pourtant, «il est vrai qu’il existe un cadre réglementaire imposant certains types d’accès dans les restaurants, par exemple, afin de mieux accueillir les personnes à mobilité réduite. Mais à part ça, il manque encore une philosophie générale de l’accompagnement», relève Anne-Laure Rey, en charge des initiatives associées à la diversité et l’inclusion à l’EHL Hospitality Business School. «Il faut avoir l’envie de s’adresser non pas à un client, mais à une personne, et donc prendre en considération toute sa spécificité. L’industrie de l’accueil et du tourisme a encore énormément de travail devant soi dans ce domaine», insiste-t-elle.

Mise en situation avec un intervenant
Dans ce cadre, l’EHL propose depuis 2021 à ses étudiants un cours électif sur l’inclusion et la diversité, dont le nombre de participants augmente de semestre en semestre. Anne-Laure Rey souhaite également multiplier les actions pour sensibiliser les étudiants, comme inviter un athlète paralympique sur le campus ou mettre en place des ateliers avec la Fondation romande SourdAveugles (FRSA).

«En Suisse, comme en France, il y a très peu de sensibilisation au handicap. Certains cantons, comme la ville de Bâle ou le Valais, font plus d’efforts que d’autres. Mais une destination comme Genève, pour les malvoyants, c’est une catastrophe», relève Serge Dollet. Atteint lui-même de quasi-cécité, il intervient depuis 2020 à l’Ecole hôtelière de Genève (EHG) sous forme de deux séminaires par an en deuxième année de bachelor.

Installée au milieu de la salle de cours, une table dressée comme au restaurant met en situation les étudiants. Commence alors la partie pratique dans laquelle Serge Dollet joue son propre rôle comme client, tandis qu’un ou une étudiante l’accueille, simule une prise de commande et effectue le service comme dans un cadre réel. Serge Dollet explique et montre aux futurs managers ce qu’il faut faire et ne pas faire, tant sur le plan technique – énoncer ce qu’il y a dans le plat, indiquer la disposition de la table par la technique de l’horloge (le couteau à 14h, la fourchette à 9h, etc.) – que sur le plan de la prise en charge et de l’approche psychologique. «Je leur dis de ne surtout pas être gêné vis-à-vis d’un handicapé et de ne pas avoir peur.


On a certaines particularités, mais nous ne sommes pas différents.


La plupart du personnel en restauration et hôtellerie se sent perdu, mais j’essaie de faire comprendre aux étudiants qu’on a certaines particularités, mais que nous ne sommes pas différents», souligne Serge Dollet, qui se félicite de l’enseignement pionnier de l’EHG dans ce domaine.

Aujourd’hui autour de 380 000, le nombre de personnes en situation de handicap visuel ou de surdicécité (forme de handicap très spécifique pour les personnes concernées, qui ne peuvent pas compenser la baisse ou la perte de vue par l’ouïe) augmentera encore nettement ces prochaines décennies, selon une étude publiée en 2020 par l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles (UCBA), et devrait atteindre 600 000 en 2040.

«Les étudiants sont extrêmement réceptifs, c’est également pour eux une leçon de vie», explique Nicolas Frey, professeur de restauration à l’EHG et à l’initiative de la collaboration avec Serge Dollet. «Outre qu’aucune clientèle ne soit à négliger, il ne faut pas non plus sous-estimer le côté business. Dans un restaurant, les personnes malvoyantes sont souvent oubliées. Lorsqu’elles trouvent un établissement dont le service tient compte de leur handicap, leur fidélité est au rendez-vous», ajoute-t-il. Le restaurant Vieux-Bois de l’EHG est désormais apte à accueillir des personnes malvoyantes et sa carte sera bientôt disponible en braille, une singularité à Genève. La cité de Calvin abrite cependant le seul restaurant suisse où l’on peut commander ses plats en langue des signes. L’équipe du Vroom à Genève, ouvert par la Fondation Vroom en 2020, est formée de personnes sourdes et malentendantes, ainsi qu’entendantes. «Ça fait un tabac», insiste Nicolas Frey.

A l’image de la société entière, ce n’est que récemment que les prestigieuses écoles d’hôtellerie ou de tourisme suisses ont commencé à inscrire la question du handicap dans leurs cursus d’enseignement. Mais la tendance est là. En 2020, le concours Hospitality Challenge a été créé par le groupe Sommet Education (comprenant entre autres Glion) et l'Organisation mondiale du tourisme. Son but était de soutenir des projets permettant de créer des solutions services ou produits pour une industrie de l’hôtellerie et du tourisme inclusive et durable. L’un des trois lauréats, Roger Obeid, ancien élève de Glion, s’est distingué parmi 600 autres candidats avec un projet de plateforme mettant en relation personnes handicapées et recruteurs (voir entretien ci-dessous).

Changer les entreprises de l'intérieur
Derrière la formation et l’enseignement au handicap, l’idée est aussi que les étudiants introduisent des changements dans leurs futures entreprises sur cette question. Car une chose est sûre, la génération des 18-30 ans est «très sensible aux questions d’inclusion au sens large, beaucoup font leurs travaux de bachelor sur le tourisme inclusif», explique Benjamin Nanchen, enseignant et chercheur à l’Institut Tourisme de la HES-SO Valais-Wallis, qui envisage de proposer à l’avenir une formation continue sur le tourisme accessible. [RELATED]

A l'image des entreprises, les destinations équipées d'infrastructures pour accueillir les personnes handicapées sont encore peu nombreuses. «On voit des initiatives à Morges, à Villars, ou encore dans les Grisons, mais c’est un marché émergent», remarque Benjamin Nanchen. «Il faut comprendre que, par exemple, des installations pour fauteuil roulant serviront aussi à une poussette. Et que le handicap vient avec l’âge, c’est donc un sujet qui nous concerne tous.»

Alain-Xavier Wurst