A la frontière des cantons de Vaud et de Fribourg se trouve le hameau de Cremin, entouré par les champs et au milieu de nulle part. C’est ici que Michel Bessard, ancien agriculteur, a construit en 2014 deux cabanes dans les arbres, juste à côté de la ferme familiale désormais exploitée par son cousin. Le swin-golf de 6 hectares, qu’il  fit aménager il y a 25 ans en déclassant un terrain agricole, est l’autre attraction du village.

La terrasse qui nous accueille jouit d’une vue charmante sur les Préalpes fribourgeoises. La décoration, à la fois rustique et soignée, offre un cadre reposant souligné par quelques notes discrètes d’une musique «chill-out». Sous un auvent abritant les deux tables d’hôte, on a la chance de goûter au pain au curcuma que Michel Bessard vient de cuire pour le brunch gourmand des clients. N'ayons pas peur des mots, c'est un délice.

Dès son origine, l’installation agritouristique de Michel Bessard et de son compagnon Christophe Moos s’est voulue haut de gamme. Les cabanes ont été fabriquées avec du bois suisse par des artisans suisses, le brunch ne contient que des produits exclusivement locaux et le plus souvent bio. Les chambres séduisent des clients chinois, saoudiens, australiens, parfois italiens, allemands ou espagnols, et désormais majoritairement alémaniques.

Le taux d’occupation de 90% sur l’année et une saison d’été déjà complètement bookée – le prochain week-end de libre est en octobre – montrent que l’agritourisme, pour peu que l’on y consacre 100% de son temps, n’est pas un vain mot. «Les gens sont très sensibles au côté humain, aux échanges, au dialogue. Ils ne viennent pas seulement dans une ferme, ils viennent dans la ferme de quelqu’un», insiste Michel Bessard. «L’agritourisme a beaucoup de potentiel. Mais beaucoup d’agriculteurs se lancent dans une location de chambre parce qu’ils en avaient une de libre. Cela ne suffit plus.»

L'agritourisme au cœur de la stratégie «slow travel» 
Son compagnon et lui partagent tous les matins le brunch des clients, auxquels ils expliquent la provenance des produits, les modes de fabrication et, au-delà, la vie à la ferme et les défis de l’agriculture. «Voir les animaux, c’est une demande constante de nos clients», ajoute-t-il. Autour des cabanes se sont greffées plusieurs activités telles que balades à cheval, VTT, randonnées avec chien en été et chiens de traineaux en hiver, toutes assurées par des prestataires différents qui ne savent plus où donner de la tête.

S’il ne doit ce succès qu’à lui seul, Michel Bessard pointe cependant l’absence de subventions aux privés, alors même que toutes les destinations vantent le retour à la nature. «Il n’y a pas vraiment de volonté en Suisse de faire du développement de l’espace rural. En tant que privé, trouver une aide est quasi impossible, et on doit faire face à une règlementation très sévère sur la construction», observe cet ancien membre de plusieurs commissions régionales.

«La loi de l’aménagement du territoire est très stricte, surtout dans le cadre agricole. Sur une ferme, on ne peut construire que 100 m2 de surface supplémentaire pour des installations agritouristiques. Cela limite considérablement les possibilités, alors que notre secteur est en pleine expansion», confirme Andreas Allen­spach, directeur d’Agritourisme Suisse, estimant à 2000 le nombre de fermes en Suisse offrant des séjours. Une réalité à laquelle s’est confrontée Sonia Droz, qui a ouvert il y a 7 ans deux appartements dans la ferme familiale, près de La Chaux-de-Fonds. «Faire des hébergements insolites, c’est génial. Mais je n’essaye même pas de demander, alors que j’aurais de la place. Nous sommes submergés par les interdits», avance-t-elle, précisant que les délais de permis peuvent atteindre 4 ans pour une chambre.

«Organiser une verrée dans les vignes est impossible»
«Faire un pique-nique ou organiser une verrée dans les vignes est impossible. On demande aux viticulteurs et agriculteurs d’être des acteurs du tourisme local, mais dès que l’activité devient économique, ils croulent sous les interdictions», reconnaît Véronique Hermanjat, responsable tourisme de l’Association Région Cossonay-Aubonne-Morges (Arcam). La destination a choisi de se positionner dès 2019 autour du «slow travel», dont l’agritourisme est l’un des maillons essentiels, au même titre que la durabilité ou la mobilité douce. Une stratégie qui, au plus tard avec la crise du Covid, s’est révélée payante, en anticipant la demande du public pour la découverte du milieu rural, et qui depuis a suscité l’intérêt de plusieurs porteurs de projets.«Avant, Morges n’était pas sur la carte du tourisme suisse. Désormais, on a un véritable atout concurrentiel», se félicite Véronique Hermanjat.

«Le nombre de requêtes de paysans désireux de se lancer dans l’agritourisme a clairement augmenté avec le Covid», souligne de son côté Armelle von Allmen, de la Chambre neuchâteloise d’agriculture et de viticulture (CNAV). Certaines communes neuchâteloises, inquiètes des nuisances que pourraient provoquer les camping-cars, ont changé leur politique après avoir constaté que cette forme de tourisme apportait une plus-value à la région. De même pour l'offre agritouristique, qui faisait craindre une certaine concurrence avec les acteurs traditionnels, mais qui s'est révélée être un atout pour la branche. «La prise de conscience que ce tourisme alternatif n’est pas fermé sur lui-même mais inter­agit avec tous les acteurs a eu lieu, mais elle est récente», souligne Armelle von Allmen.

Site d'Agritourisme Suisse: www.myfarm.ch