Ils sont freelances, graphistes, développeurs web, créateurs de start-up. Souvent jeunes, friands d'échanges et de liberté, adeptes de sport et d'activités, sans cesse connectés. Jusqu'ici attirés par les villes et les bords de mer, les nomades digitaux commencent à considérer la montagne comme lieu de destination. En Suisse, les espaces de ­coworking – louables à l'heure, au jour, à la semaine, au mois – ne cessent de se développer. Verbier, Grimentz, La Tzoumaz, Crans-Montana, Zermatt, Laax ou encore l'Engadine: les alternatives se multiplient. Si cette nouvelle tendance représente encore une niche, nombreux sont ceux qui y voient un véritable potentiel. Un moyen de diversifier la clientèle, de pallier les creux de saison et de faire vivre la station. Car cette clientèle souhaite autant travailler que profiter du grand air.

Nous accueillons peu de Suisses, mais je suis convaincue que cela changera dès que les en­treprises se flexibiliseront.»
Fanny Caloz, co-fondatrice de Swiss Escape, à Grimentz

«Il s'agit d'une tendance générationnelle qui va au-delà du tourisme, un art de vivre revendiqué à ne pas négliger. Ces espaces se présentent comme des lieux de travail inspirants, ressourçants», note Nicolas Delétroz, directeur de projet au sein de l'Observatoire valaisan du tourisme. Inauguré en décembre, l'espace de coworking «The Bridge» à Laax, situé dans la gare d'arrivée de la télécabine, à 2252 mètres, en est la parfaite illustration. On y voit de jeunes gens, attablés avec leur laptop face aux cimes blanches, dans un univers rétro très travaillé. Il s'agit ici plutôt d'une clientèle journalière, contrairement à Grimentz par exemple. Sur le point de finir son troisième hiver, Swiss Escape affiche une moyenne de séjour de 21 jours. Car ici, le concept concilie le coworking et le coliving. «Notre but premier était de réchauffer les lits froids. Chez nous, les hôtes doivent loger sur place pour accéder à l'espace de travail. Il s'agit aussi de promouvoir un esprit d'échange et de partage, cher à la communauté nomade», explique Fanny Caloz, co-fondatrice. Swiss Escape loue deux ­appartements pour héberger ses nomades et employés de sociétés, souvent des compagnies américaines.

Voyager pour attirer les nomades numériques
Même si la rentabilité reste minimale, Fanny Caloz remarque que l’af­fluence ne cesse de croître. L’an dernier, Swiss Escape a généré 721 nuitées sur huit mois, avec un pic en janvier, autrement dit, à contre-courant de la fréquentation de la station. «Nos clients viennent des Etats-Unis, du Canada, du Nord de l’Europe, de Singapour. Nous accueillons peu de Suisses, mais je suis convaincue que cela changera dès que les en­treprises se flexibiliseront.» Dans l'entre-saison, Fanny Caloz et son associé Haz Memon voyagent à la recherche de leur clientèle spécifique, dans «des repères de nomades», à Las Palmas, Budapest, Lisbonne ou Chiang Mai.

«Il s'agit d'une nouvelle industrie. Attirer des nomades digitaux prend du temps.»
Maarten van Geest, fondateur de Mountain Hub, Verbier

Fondateur de Mountain Hub, présent à Verbier depuis 2016, Maarten van Geest relativise. ­«Faire du coworking à 100% basé sur le tourisme n’est pas possible, à moins de se trouver à Zermatt ou à Chamonix. Il faut être réaliste. Il s’agit d’une nouvelle industrie, un gros travail de marketing reste à réaliser. Capter des nomades digitaux prend du temps, ils sont attirés par des pays meilleur marché.» Pour assurer une ouverture 365 jours par an, Maarten van Geest a recherché l’équilibre entre locaux et touristes, parmi lesquels les nombreux propriétaires de résidences secondaires. Cet hiver, il a vu entre 100 et 200 personnes défiler dans ses locaux.

Plus qu'un espace de travail: un lieu d'échanges et d'activités
Cette tendance au nomadisme va finir par s'imposer en Suisse, estiment ces jeunes entrepre­neurs. Neil Beecroft, fondateur de Pura Worka, présent à La Tzoumaz et à Zermatt au sein de l'Hôtel Admiral, estime que cette offre répond à un be­soin. «A Bali, les espaces de coworking ne désemplissent pas. Le même potentiel existe chez nous, même si le prix est différent.» Il y voit aussi l’opportunité pour des cadres de prolonger leur weekend et d’éviter les bouchons du dimanche soir. Très dynamique, la société Pura Worka a ouvert ces deux espaces en 2018 et suivra fin 2019-début 2020 avec Lombok, en Indonésie. D'autres projets sont en discussion, à Crans-Montana et à Interlaken, un moyen de fidéliser cette communauté. Autre moyen de se faire connaître et de consolider ce réseau: l'organisation d'événements, d'apéros ou d'ateliers professionnalisants. «Un espace de coworking se veut aussi lieu de rencontres. Actuellement en stations, celles-ci se limitent de manière informelle aux bars et sur les télésièges», relève Neil Beecroft.

«A Bali, les espaces de coworking ne désemplissent pas. Le même potentiel existe chez nous, même si le prix est différent.»
Neil Beecroft, fondateur de Pura Worka, à La Tzoumaz et à Zermatt

Ces espaces de coworking veulent être plus qu'un lieu de travail partagé. En contact avec les prestataires touristiques, ils offrent à leurs membres d'autres services: location de ski, de vélo, tours guidés ou activités locales comme la confection de pain de seigle. Certains comme Neil Bee­croft et Maarten van Geest travaillent avec les hôteliers et proposent des forfaits.

Malgré le succès croissant, la saisonnalité constitue un défi. La neige reste plus facile à vendre que l'été, remarque Fanny Caloz. «Les nomades sont des touristes. Si tout est fermé en station, ils ne viendront pas. Notre activité s’arrête avec les remontées mécaniques.» Pareil à Verbier où le ski reste l'argument principal, mais Maarten van Geest reste confiant: «Je suis convaincu que dans 10 ou 15 ans, les gens viendront en montagne pour concilier travail et plaisir.»

Nicolas Delétroz estime que le concept de coworking peut bénéficier à «presque toutes les stations». Il y voit aussi un moyen pour les offices de tourisme de requalifier leur espace. L'OT d'Adelboden a d'ailleurs tenté l'expérience cet hiver en créant un espace pop-up de coworking dans ses locaux. Silvia Anvazi, fondatrice de la société Valais Insider, estime que les stations devraient songer à intégrer cette offre. Pour elle, le Valais pourrait même se profiler comme destination pour les nomades. ««Certains passent deux mois au bord de la mer, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible à la montagne.»

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Un thème abordé à la Journée des vacances
Le coworking dans les destinations de montagne sera l'une des quarante sessions thématiques abordées lors de la prochaine Journée suisse des vacances de Suisse Tourisme, les 23 et 24 avril, à Lucerne. Maarten van Geest, fondateur de l'espace de coworking Mountain Hub à Verbier et ancien nomade digital, sera l'un des intervenants (session 22). Informations et programme complet des Breakout Sessions:
stnet.ch/fr/evenements/journee-suisse-des-vacances