La baisse du nombre d’apprentis observée depuis des années dans la plupart des métiers de la branche a maintenant des répercussions au niveau de formation supérieur: selon l’Office fédéral de la statistique, les diplômes délivrés par les écoles supérieures diminuent également. Le secteur de l’hôtellerie et de la restauration n’est pas le seul à faire face à une pénurie de main-d’œuvre. Celle-ci frappe toutefois notre branche dans une mesure que même les spécialistes n’ont pas vu venir. 

Que faire? Il est urgent de répondre à cette question car, d’une part, le manque de personnel à de nombreux endroits est un sujet très discuté au sein de la branche et, d’autre part, les réels changements dans la structure complexe de la formation en Suisse mettent longtemps avant de se faire sentir. Ce qui est lancé aujourd’hui aura un impact sensible sur le marché de la formation et de l’emploi au plus tôt après-demain. 

Dans cette interview, Carole Ackermann, présidente du conseil de fondation et d’administration du groupe EHL, et Andreas Züllig, président d’HotellerieSuisse, comparent la situation actuelle à celle de 1883, lorsque Jacques Tschumi fonda avec un courage clairvoyant l’École hôtelière de Lausanne. Ils considèrent les deux que les changements qui s’annoncent dans le paysage de la formation sont globaux. 

Ce qui est lancé aujourd’hui aura un impact sensible sur le marché de la formation et de l’emploi au plus tôt après-demain.

En effet, il existe aujourd’hui de nombreux prestataires pour les différentes offres de formation dans le secteur de l’hébergement, qui proposent leurs services de manière assez isolée. C’est également le cas dans le réseau des organisations d’HotellerieSuisse. Le groupe EHL, avec l’EHL Hospitality Business School et l’EHL École hôtelière de Passugg, ainsi que l’École hôtelière de Thoune et l’association sont tous des prestataires de formation initiale et continue, mais proposent leurs offres de manière presque entièrement distincte. Aujourd’hui, cependant, les personnes en demande de formation exigent une perméabilité des offres axées sur l’apprentissage tout au long de la vie. Philipp Näpflin, président de l’École hôtelière de Thoune, en est convaincu. Carole Ackermann, quant à elle, affirme que les configurations du marché de la formation, les exigences et la mobilité des personnes intéressées par une formation ont évolué à un rythme rapide dans le monde entier. 

Pour Andreas Züllig, répondre de manière adéquate à ces changements est à la fois une opportunité et un devoir. Au cours de l’entretien, Carole Ackermann, Philipp Näpflin et Andreas Züllig expliquent comment une collaboration renforcée entre les trois institutions citées a pour but de répondre à l’évolution des besoins de la clientèle à l’avenir. Au cours des deux années à venir, par exemple, la perméabilité des offres de formation sera assurée en plusieurs étapes. En outre, de nouvelles offres innovantes de formation initiale et continue de ce groupe seront lancées sur le marché. Dans un premier temps, à partir du 1er août 2023, la responsabilité opérationnelle des offres de formation d’HotellerieSuisse (hôtels-école, offres de formation continue) sera transférée à l’École hôtelière de Thoune.

Andreas Züllig

Monsieur Züllig, après plus de 50 ans, l’association se sépare des hôtels-écoles et les études post-diplôme EPD changent aussi de main. Qu’est-ce qui vous pousse à franchir ce pas en pleine pénurie de main-d’œuvre qualifiée? [IMG 2]
Je dois un peu développer: Jacques Tschumi, alors membre du Comité exécutif de la Société suisse des hôteliers, fonda en 1893 l’École hôtelière de Lausanne, à une époque à laquelle les établissements hôteliers cherchaient désespérément du personnel formé et en trouvaient difficilement. Il avait déjà compris que la branche elle-même avait l’obligation de former son personnel. Près de 130 ans plus tard, nous nous trouvons de nouveau à une étape décisive: nous avons pris conscience des signes de l’époque et voulons poser de nouveaux jalons pour l’avenir de la formation initiale et continue dans notre branche. En intégrant et en rendant perméable l’offre de formation de toute la «famille HotellerieSuisse», de la formation initiale au master, nous créons une institution de formation unique. Je voudrais revenir sur le verbe «séparer» de votre question: HotellerieSuisse est représentée par la majorité des membres du conseil de fondation de l’EHL ainsi que sa présidente. Il n’est donc pas question de séparation. Nous avons participé à son orientation stratégique depuis la création de l’EHL. Cela ne changera pas non plus. Nous souhaitons uniquement confier la gestion opérationnelle des offres de formation à l’institution la mieux qualifiée à cet effet.

La pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration pose de grandes difficultés aux établissements. En outre, le nombre d’apprentis dans la branche laisse peu d’espoir d’amélioration. Ce projet est-il la bonne solution au problème?
En tant qu’employeurs, nous sommes tenus d’inciter les collaborateurs potentiels de tout âge à s’engager dans la branche. Si nous voulons commencer par les jeunes, il est important de leur montrer, ainsi qu’à leur entourage, des perspectives de développement. À cette fin, nous devons offrir aux jeunes un parcours de formation d’un seul tenant. Outre les offres existantes, il faut pour cela une perméabilité fiable et une offre de formation continue échelonnée. C’est exactement ce que nous mettons en place en poursuivant notre étroite collaboration avec le groupe EHL, que nous comptons compléter avec le domaine des hôtels-écoles et des EPD. À l’avenir, nous pourrons ainsi profiter davantage de la renommée de l’EHL en Suisse et à l’international.

«Nous avons pris conscience des signes de l’époque et voulons poser de nouveaux jalons pour l’avenir de la formation initiale et continue dans notre branche.» 

Que fait encore HotellerieSuisse dans le domaine de la formation?
L’association continue d’assumer ses responsabilités en matière de formation. Outre son siège au sein de l’organe supérieur de direction du groupe EHL, HotellerieSuisse conserve son rôle d’organisation du monde du travail (OrTra). Cette tâche est confiée par la loi à l’association et ne peut donc pas être déléguée. En outre, nous sommes toujours les promoteurs d’Hotel & Gastro formation Suisse et nous y sommes représentés par deux personnes siégeant au Comité directeur. Nous continuons également à nous engager en politique à tous les niveaux en ce qui concerne les préoccupations liées à la formation. En outre, nous soutenons les entreprises formatrices dans ce domaine. Un projet pilote est actuellement en cours en Suisse centrale afin de tester une offre numérique destinée aux entreprises formatrices, qui sera ultérieurement déployée au niveau national.

En raison de cette fusion, HotellerieSuisse doit augmenter les cotisations des membres. Comment cela se justifie-t-il à l’heure actuelle?
Je sais qu’une augmentation des cotisations n’est pas facile à digérer pour de nombreux établissements et nous sommes conscients qu’une telle hausse implique également des responsabilités, que nous entendons assumer en investissant dans l’avenir. Nous le faisons dans un domaine qui constitue un facteur absolument fondamental pour les entreprises: la formation initiale et continue de la main-d’œuvre qualifiée. Avec l’EHL Hospitality Business School, le groupe EHL dispose d’un établissement de formation doté d’une excellente réputation; plusieurs classements internationaux la considèrent comme la meilleure école hôtelière au monde. C’est une chance pour nous que l’EHL ait pris la tête du regroupement des différents prestataires de formation de la «famille HotellerieSuisse». Ainsi, des cotisations un peu plus élevées permettent à notre association d’offrir des prestations de haute qualité qui apportent un bénéfice direct à chaque établissement.

 

Carole Ackermann

Madame Ackermann, vous présidez l’EHL, une haute école spécialisée axée sur la formation académique. Vous vous lancez désormais dans la formation professionnelle. Est-ce que cela va de pair? [IMG 3]
Oui, tout à fait, cela a commencé il y a 129 ans avec Jacques Tschumi; la formation professionnelle a ainsi créé la base de l’actuelle haute école spécialisée d’EHL, la Hospitality Business School. En outre, depuis 2013, l’EHL École hôtelière de Passugg (EHL Swiss School of Tourism & Hospitality) fait également partie du groupe EHL. Elle propose la formation professionnelle initiale de spécialiste en communication hôtelière CFC et la formation en école supérieure pour l’hôtellerie-restauration ainsi que divers cours succincts de formation continue. Nous sommes donc actifs depuis longtemps dans ce segment du système de formation professionnelle suisse et continuerons à le renforcer. À l’échelle internationale, le paysage de la formation évolue à un rythme rapide et la mobilité des étudiants ainsi que leurs besoins ne cessent de croître. Si nous voulons conserver notre position de leader, nous devons offrir toute la gamme d’offres de formation, en ligne comme hors ligne. Avec l’ouverture du campus à Singapour l’année dernière, nous avons franchi une nouvelle étape dans la couverture de différents formats de formation.

Que peut offrir le groupe EHL pour pallier la pénurie de main-d’œuvre qualifiée en Suisse?
Nous contribuons en permanence au développement de l’offre éducative aux différents niveaux de la formation professionnelle et universitaire. Les différents modèles de formation initiale, qu’il s’agisse de cours blocs ou de formations initiales organisées par les écoles, en sont des exemples. De plus, nous voulons à l’avenir nous engager davantage dans la formation continue. Nous pouvons ainsi aider la branche à montrer des perspectives aux collaborateurs afin qu’ils puissent constamment développer leur potentiel et s’épanouir. Une première offre, élaborée en collaboration avec HotellerieSuisse, sera lancée cet automne. Nous sommes impatients de commercialiser d’autres formats de ce type à l’avenir. Nous voulons le faire en étroite collaboration avec le secteur et adapter avec précision les offres aux besoins du marché. Nous sommes bien conscients qu’à Lausanne, Passugg et Singapour, nous pouvons donner l’impulsion nécessaire, mais la mise en œuvre se fait dans la pratique. 
 

«Nous voulons aider la branche à montrer des perspectives aux collaborateurs afin qu’ils puissent constamment développer leur potentiel et s’épanouir.» 

Comment voyez-vous l’avenir de la formation au sein de la branche dans notre pays?
Le facteur humain occupera une place encore plus importante dans la formation. Bien que la technologie progresse également dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, le cœur de l’offre reste un service fourni par les gens pour les gens. Nous voyons ici les grandes opportunités de la formation initiale et continue dans le sec-teur des services: le leadership doit se développer fortement, en tirant parti des avantages du monde numérique. Bien entendu, l’offre numérique gagnera en importance. Des formats plus courts seront ainsi possibles, mais ils devront évidemment continuer à avoir une forte orientation pratique.

Vous avez évoqué le facteur humain et, par conséquent, la question du leadership. Comment le groupe EHL pourra-t-il intégrer à l’avenir ces thèmes au niveau de la formation initiale, c’est-à-dire de l’apprentissage?
En continuant à travailler de manière excellente dans la formation professionnelle initiale sur les trois lieux de formation: l’école, l’entreprise et les cours interentreprises. Nous souhaitons apporter notre contribution afin que certains sujets soient abordés très tôt en classe. Ceux-ci peuvent ensuite être repris aux niveaux suivants de la formation initiale et continue. L’un de ces thèmes est le leadership. Cela ne veut pas dire que chaque apprenti doit nécessairement devenir directeur d’hôtel. Nous devons toutefois nous efforcer de faire en sorte que les jeunes comprennent très tôt la question du leadership et que celles ou ceux qui le souhaitent puissent recevoir les outils nécessaires pour poursuivre leur parcours. L’expression «plonger dans le grand bain», c’est-à-dire devoir assumer des tâches de direction sans y être préparé, devrait appartenir au passé. L’approche graduelle du thème du leadership est un excellent exemple de la nécessité de transmettre de nombreux contenus de manière progressive.

 

Philipp Näpflin

Monsieur Näpflin, l’École hôtelière de Thoune a fêté l’année dernière ses 35 ans d’existence. L’objectif est maintenant d’intensifier la collaboration sous la direction du groupe EHL. L’histoire touche-t-elle à sa fin?  [IMG 4]
Je dirais plutôt: un nouveau chapitre d’une histoire réussie et passionnante s’ouvre! Il y a quelques années déjà, nous avons élaboré au sein du Conseil de fondation une nouvelle stratégie qui prévoyait une différenciation et, en même temps, un approfondissement de notre offre. Ainsi, nous avons construit un hôtel public qui sert de lieu de formation supplémentaire. Nous avons introduit la formation en cours d’emploi en tant que première école hôtelière de Suisse. Au mois d’août de l’année prochaine, l’offre de formation initiale et continue d’HotellerieSuisse viendra s’ajouter à notre portefeuille. Ainsi, différentes offres de formation professionnelle dans l’hôtellerie seront bientôt réunies sous notre toit, de l’apprentissage aux études post-diplôme. Si cela fonctionne, nous serons ravis de poursuivre ce voyage avec le groupe EHL en 2024. Pour en revenir à votre question, c’est peut-être la fin d’un logo. Dans le même temps, une nouvelle ère s’ouvre, qui permettra de renforcer durablement le site de formation de l’Oberland bernois et de Thoune.

À votre avis, comment vont se développer les écoles supérieures de la branche?
La concurrence pour recruter de la main-d’œuvre qualifiée se ressent aussi depuis longtemps sur le nombre d’étudiants. Nous ressentons directement la baisse du nombre d’apprentis dont souffre le secteur depuis des années: moins d’apprentis signifie moins d’étudiants au niveau supérieur. À cela s’ajoutent de nouveaux prestataires sur le marché, qui proposent également un diplôme d’école supérieure. Mais nous sommes convaincus qu’il existe encore un potentiel de marché pour une filière de formation de qualité et constamment actualisée. Une étroite collaboration avec la formation initiale est nécessaire à cet effet, de même qu’une perméabilité avec les formats de formation continue ultérieurs et le monde de la formation académique. Sous la houlette de l’EHL, ces points sont à présent abordés et des offres correspondantes sont élaborées.
 

«Une étroite collaboration avec la formation initiale est tout aussi nécessaire qu’une perméabilité avec les formats de formation continue ultérieurs et le monde de la formation académique.» 

Quels sont, selon vous, les avantages concrets que peut tirer l’hôtellerie du regroupement des offres de formation?
Pour moi, le principal avantage réside dans le fait que nous pourrons à l’avenir vendre le rêve d’un parcours professionnel dans l’hôtellerie comme une seule offre sous l’égide d’un groupe de formation à la renommée mondiale: de l’apprentissage à la formation continue pour les hôteliers performants, tout est possible. Concrètement, cela signifie que nous pourrons par exemple proposer aux jeunes professionnels une offre de formation initiale et continue sur mesure. La génération Z voit non seulement le chemin vers le haut de l’échelle hiérarchique classique, mais aussi les mouvements latéraux possibles, qui sont aujourd’hui une option tout à fait valable. Nous devons tenir compte de ce fait en proposant des formats de formation continue appropriés. En tant qu’hôtelier, j’obtiendrai donc à l’avenir un outil qui me permettra de former et de perfectionner mon personnel auprès d’une seule entreprise de formation et ainsi de vendre un rêve. Cela m’aidera à trouver des collaboratrices et collaborateurs qualifiés et motivés ainsi qu’à les fidéliser.

Quels défis rencontrez-vous dans votre quotidien d’hôtelier? 
Comme de nombreux hôteliers, nous suivons de près l’évolution de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans l’industrie. À l’Hôtel Bären am Bundesplatz, nous avons la chance d’avoir une équipe diversifiée de collaborateurs talentueux, dont certains travaillent avec nous depuis de nombreuses années. En tant que directeur, je considère qu’il est essentiel de contribuer au développement constant de nos équipes et me réjouis du renforcement de l’offre de formation initiale et continue. Toutes les personnes actives dans la branche, y compris les hôteliers, ont grand intérêt à se former et à se perfectionner pour répondre aux nouvelles attentes d’un marché en constante évolution. D’autres défis concernent également le développement durable de mon établissement, la diversification des offres et des canaux de vente ainsi que la numérisation. Sans oublier de consacrer du temps à ma vie de famille. 

 

Article traduit de l'allemand. Version originale disponible ici.

Sabine Lüthi