En matière de fromage, les goûts des chefs restent multiples. Jérémie Cordier n’hésite pas à présenter: «Un gel de mozzarella vaudoise sur des haricots verts et du caviar suisse pour mixer les textures.» Alors qu’Edgard Bovier déplore la mode des mozzarellas et des burratas omniprésentes sur les cartes. Il aime tout de même proposer un peu de jambon Pata Negra avec une tartine de tomate et de la burrata ou de la stracciatella. Rentrons dans le vif d’un sujet ou la mollesse ne concerne que certaines pâtes.

Représentant de la jeune génération de chef, Jérémie Cordier, du restaurant Les Cerniers, dans le complexe des White Pods, n’hésite pas à l’affirmer: «Le temps du plateau de fromages sera bientôt révolu.» Malgré sa formation auprès de chefs de tradition, comme George Blanc ou Stéphane Décotterd, il tient à proposer une nouvelle réflexion. Arrivé depuis cinq mois dans le Chablais, il  propose encore un plateau. Mais pour la suite des opérations en novembre, il imagine une compote de fruits surmontée de Sbrinz et des déclinaisons de siphons de fromage. Tout autre son de cloche chez le Fribourgeois Pierrot Ayer, 17 points GaultMillau et une étoile Michelin, qui préfère toujours le fromage frais et cru sans transformation. Depuis 30 ans, il propose un chariot avec 70 sortes de fromages: «Un sacré taf, mais les habitués adorent.» Le chef Edgard Bovier se situe un peu entre les deux. Il a repris le Cerf (12 points GM) et fournit son expertise au Roc by Edgard (15 points GM). Il aime bien l’idée de terminer le repas après un ou deux plats, notamment à midi, par quelques fromages de la région. Au Cerf, les plateaux de fromages s’apprécient plutôt dans l’après-midi, au retour d’une marche, qu’après le repas. Il aime aussi varier les propositions comme proposer du chèvre plutôt l’été. 

De la croûte en condiment 
sur du filet de bœuf

Dans ses établissements du Lausanne Palace, Edgard Bovier ne travaillait pas sur le grand cérémonial du plateau de fromages, mais l’apprécie dans des trois étoiles Michelin: «Le plateau de l’Hôtel de Ville de Crissier reste pour moi le plus somptueux avec des choix régionaux très pointus et quelques incontournables comme l’Epoisses.» L’expression déstructurée ne peut venir que dans la bouche de Jérémie Cordier. Il sert ainsi la raclette avec «une quenelle rafraîchissante de glace d’une tomme produite à 500 mètres  du restaurant, à la Pâle, fixée par un voile de vinaigre qui vient surplomber un siphon de pomme de terre, un samossa de cornichon et des billes d’oignon à la pipette travaillée comme du caviar». Il récupère aussi la croûte de la glace qu’il travaille en poudre avec du pollen. Il l’utilise comme condiment sur un filet de bœuf: «Cela ressemble à du sable et cela sale le plat.»

Au dessert: mise en relation 
originale de deux produits AOP

Quand on pense au fromage et à la gastronomie, surgit la silhouette du chef Pierrot Ayer, longtemps ambassadeur du Vacherin Fribourgeois, pour lequel il confectionna d’innombrables recettes exclusives. On se souvient que le colosse aux doigts d’argile cuisina jadis, lorsqu’il présidait les Grandes Tables de Suisse, une fondue au milieu de chefs proposant des plats beaucoup plus élaborés, lors d’un évènement de prestige au Centre Paul Klee. Aujourd’hui encore, il a d’abord envie de parler de fondue moitié-moitié ou de Vacherin Fribourgeois. Et seulement ensuite, il énumère une flammekueche à la truffe, aux salsifis et au Vacherin. Ou alors inspiré de ses voyages, un tian aux courgettes, aux tomates et au Vacherin pour accompagner un filet d’agneau. Mais aussi des petites salades d’été, avec une bonne vinaigrette recouverte de Vacherin. Plus original encore, en dessert, la mise en relation par Pierrot Ayer de deux produits AOP avec son clafoutis au vieux Vacherin Fribourgeois et chutney de poires à Botzi.

Un fromage léger
avec un risotto truffé

En reprenant depuis trois ans le Cerf, à Rougemont, le chef Edgard Bovier propose une carte de fromages centrée sur les spécialités locales, l’Etivaz et la tomme fleurette. Avec un Etivaz plus doux pour le malakoff et plus fort, plus affiné pour la croûte au fromage. Pour Edgard Bovier, il importe de déguster les fromages chaque année, comme les vins. Il aime la diversité en fonction des affinages, du climat, de l’herbe et de l’altitude, notamment celle du lac de l’Hongrin, près du col des Mosses, qui diffère du fond de la vallée. Lorsqu’il officiait au Lausanne Palace ou aujourd’hui au Roc by Edgard, à l’Hôtel de Rougemont, il aimait sublimer certains plats par des copeaux d’Etivaz comme le foie gras, figue et salade d’épinards. Edgard Bovier pense que le cuisinier doit s’adapter avec un risotto truffé, il peut utiliser un fromage plus léger qu’avec d’autres champignons. Edgard Bovier considère que les Suisses peuvent être fiers de leurs fromages comme le Gruyère que l’on retrouve servi dans le monde entier. Il a aussi confectionné 80 recettes pour un livre sur les secrets d’un fromage d’alpage, notamment sa tartine chaude au kirsch et à l’Etivaz ou sa classique tarte aux blettes. 

Des fondues au chèvre 
et même véganes

Dans son nouveau restaurant Tsijiri entièrement consacré au fromage, qui ouvrira en décembre, aux White Pods, Jérémie Cordier n’hésitera pas à proposer des fondues au chèvre ou même véganes. Alors qu’au Cerf et sur internet, Edgard Bovier continue à proposer sa fondue composée de douze fromages, pour une dimension florale. Pas de quoi en faire tout un fromage…

Marketing gourmand
Ils bousculent les codes du Gruyère et du Vacherin


Professionnel du marketing et passionné de la table, Nicolas Wüst aime bousculer les certitudes des acteurs du goût. Après le monde du vin, où il a créé plusieurs projets atypiques et à succès comme Magnificients, il aimerait aujourd’hui questionner les fromages: «Un monde qui engendre de bons volumes de production et dont les coûts et les prix me semblent maîtrisés.» Il se dit surpris que le Gruyère et le Vacherin Fribourgeois, les deux monstres du marché ne se déclinent pas sous d’autres formes que les traditionnels plateaux de fromages, paquets de 300 grammes ou les fondues. 
Pour ce projet, il retrouve son complice le chef Carlo Crisci, avec qui il avait déjà réinventé un paquet de fondue en proposant l’accompagnement d’une fine brunoise de gingembre. Aujourd’hui, leurs idées s’appuient sur des raviolis au Gruyère et au Vacherin congelés qui peuvent se préparer en cinq minutes. «Du sur-mesure pour le plus grand nombre», explique Nicolas Wüst. Il doit maintenant faire connaître le projet à la grande distribution et parler avec eux du système de congélation. Une fois ce premier projet concrétisé, le duo voudrait aussi proposer des malakoffs, puis réfléchir à une fondue froide pour l’été qui conserve son onctuosité à une autre température. «Dans le monde du vin, on déguste à l’aveugle pour sélectionner les meilleurs produits, il nous arrive de travailler sur des micro-terroirs de Merlot, ce qui rend ces aventures difficilement rentables. Avec le fromage, nous pouvons conserver ce souci de qualité, mais travailler sur des volumes plus conséquents», argumente Nicola Wüst. aca