Evénement à Berne, en cette mi-novembre, puisque la prestigieuse association internationale Renaissance des Appellations y organisait une de ses trois ou quatre dégustations annuelles au monde. Les acteurs du vin montraient leur reconnaissance pour ces pionniers. On pouvait voir de l’admiration dans les yeux des jeunes vignerons les plus innovants de ce pays. Comme le Valaisan Michaël Magliocco qui vient de remporter la catégorie Bio du Grand Prix du Vin Suisse avec son Cornalin 2021 ou la Vaudoise Catherine Cruchon remarquée avec son Nihilo Nature.

Ce groupe de vignerons en biodynamie Renaissance des Appellations, constitué en 2001 pour la seule France, comporte maintenant 230 viticulteurs de 13 pays différents, dont trois en Suisse. Son but reste de garantir d’abord la pleine expression des appellations et ensuite un vin d’un haut niveau qualitatif avec une grande originalité. Les vins présentés bénéficient d’une garantie légale d’une agriculture saine, donc d’un sol vivant et de l’absence sur les feuilles de molécules de synthèses. Une garantie que les pratiques de cave ne faussent pas la pleine expression du goût de l’AOC. Avec cette belle phrase: «Quand l’agriculture est saine, le cellier est une maternité et non une usine.» Notamment en bannissant 300 levures aromatiques qui, selon l’association, «aboutissent à 300 goûts arbitraires et différents de l’AOC». Un comité pour chaque pays déguste et admet les membres avec des figures comme le Bordelais Jean-Luc Hubert.

Alsace
Des roches et du fruit

Honneur à l'Alsace, l'un des vignobles les plus biodynamiques au monde, on y recense plus d’une cinquantaine de vignerons certifiés en biodynamie sur une surface de seulement 15 000 hectares.

Marie-Hélène Deiss du domaine Marcel Deiss parle avec passion du lien du vigneron à la roche. «Nous ne faisons que transmettre un sol.» Elle présente ses vins à travers un caillou. Elle suggère de les déguster les yeux fermés pour en comprendre les vibrations et oublier l'analyse. Sol calcaire pour Mambourg Grand Cru 2019, une complantation (mélange) de tous les Pinots du domaine et une année de barrique. Elle dit: «On sent l'usure, l'érosion comme la patine d'un vieux meuble d'église.» Un vin souple en bouche avec des effluves de cannelle et un final de mangue. Le Schoffweg 2017 impose sa salinité, avec sa bouche de grapefruit et son final caramel. Le Schlossenberg Grand Cru 2020, un Riesling, représente un terroir granitique, sa longue bouche de groseille séduit. La vigneronne parle d'un vin aérien. L'ensemble de la dégustation frappe par sa rigueur comme si tous les vins passaient par un même chemin escarpé.

Le domaine Marc Kreydenweiss propose un autre voyage vers des vins beaucoup plus démonstratifs et fruités. Le Riesling Grand Cru Wiebelsberg 2017, sur du sable de grès rose donne un vin électrique, avec une bouche de rhubarbe et une acidité vive. Un nectar à la grande théâtralité. Le Clos du Val d'Eléon 2017, une cuvée de Riesling et de Pinot Gris, sur des schistes, frappe par sa complexité avec une bouche faisant penser à de l'avoine avec du balsamique.

Loire
Profondeur et jus

Situé aux abords de la vallée de la Loire, c’est le vignoble le plus étendu de France; il s'étend sur un millier de kilomètres, quelques pionniers y pratiquent la biodynamie.

La Coulée de Serrant constitue une appellation contrôlée de 7 hectares. Nicolas Joly et sa famille y confectionnent des vins, uniquement à partir de Chenin Blanc, qu'ils refusent de nommer techniques, qu'ils aiment profonds. Les Vieux Clos 2021 viennent d'un terrain plat et argileux, on y ressent une sorte de maturation proche du cognac, des parfums d'amande, et une longueur moelleuse comme une crème pâtissière. La Coulée de Serrant 2021 emmène le palais vers une ambiance vaporeuse, on y devine de la pomme, de la cannelle et un final allant vers le girofle.

Au domaine de la Chevalerie, on déguste des Cabernets Francs de caractère. Le Bretêche 2019 détonne par ses tanins souples et ses arômes affirmés de cassis et de cumin sauvage. Le millésime 2015 gagne en complexité dans sa dimension poivrée.

Valais
Sauvage et fruité

Avec son vignoble morcelé, le Valais, plus grande région viticole de Suisse, comprend encore beaucoup de vignerons en conventionnel, mais des figures de la biodynamie y règnent aussi.

Marie-Thérèse Chappaz propose des vins très expressifs sur le difficile millésime 2021. Une Marsanne à l’acidité affirmée, une fermentation lente qui laisse surgir des effluves de seigle et de tilleul. Alors que son Grain Sauvage d'Humagne Rouge propose un nez d'algues et une bouche ample de figue, de cassis et de poivre. Un vin rock'n'roll qui s'accorderait parfaitement avec une Pata Negra des frères Alcala, à Vaumarcus.

Au domaine de Beudon, on s'intéresse à la biodynamie depuis 1971, on ose servir un Fendant 2004, un peu farineux, mais à l'arôme de coing. Le millésime 2012 conserve la même trame, mais avec plus de vivacité.

Sommellerie
La pureté de vins accessibles


Petit-fils d’agriculteur, Antoine Sicard, sommelier à la Maison Wenger, au Noirmont, tenait à soutenir les producteurs en biodynamie de la Renaissance des Appellations: «En tant que professionnel, on vient faire le plein d’énergie dans une telle dégustation d’une des plus importantes associations de ce type au même titre que Biodyvin ou Millésime Bio.» Pour lui, la frontière de prix entre les vins traditionnels et ceux en bio ou biodynamie s’amenuise: «Ces vins deviennent de plus en plus accessibles, et une petite différence de prix reste justifiée en raison de l’engagement.»

A la Maison Wenger, il propose 80% de vins en bio et biodynamie sur la carte et 90% en vins ouverts. «Notre clientèle vient dans le Jura pour notre vérité, notre nature, nous devons rester cohérents.» A titre personnel, depuis huit ans qu’il pratique ce métier, il ne boit et n’achète que du bio ou de la biodynamie. Antoine Sicard aime accompagner les plats de Jérémy Desbraux, comme cet œuf aux noisettes, avec un Fontanasanta Nosiola d’Elisabetta Foradori, une productrice présente à Berne et dont il apprécie les nectars. «On a la chance de s’amuser en changeant les vins ouverts deux à trois fois par carte», conclut-il. aca

Alexandre Caldara