Le monde du vin suisse peut être fier depuis longtemps de la créativité de ses représentantes. Les femmes occupent des places importantes dans tous les échelons du métier, cavistes, vigneronnes, marchandes, critiques, sommelières. Elles imposent naturellement leur style comme Madeleine Gay, œnologue de la plus grande cave du pays Provins pendant plus de 30 ans, ou Corinne Clavien première femme diplômée de Changins et première œnologue cantonale en Valais en 2008. [RELATED]

On le remarque également à la Mémoire des Vins Suisses, présidée avec élégance et diplomatie par l’excellente vigneronne valaisanne Madeleine Mercier, depuis 2019, qui cette année saluait le travail accompli par sa trésorière zurichoise Cécile Schwartzenbach, connue pour sa générosité et pour son accueil des jeunes apprentis vignerons dans son domaine. Confirmation récemment, à Lugano, à travers la présence vivifiante des quatre filles du domaine Henri Cruchon. Ce domaine de La Côte produit selon sa devise «avec les mains et le cœur» des vins de grande qualité depuis 1976. Mais aujourd’hui, «les filles vinifient» et elles l’expriment à travers une audacieuse gamme de vins nature. Catherine Cruchon s’occupe d’œnologie, son épouse Margaret Griggs de l’administration, alors que les sœurs Laura et Yaëlle Cruchon se chargent de la vigne. Ce quatuor incarne de façon magistrale le renouveau de la viticulture au cœur de la Mémoire des Vins Suisses.

Les filles Cruchon vinifient une audacieuse gamme de vins nature

Toujours sur la Côte vaudoise, Laura Paccot vient de reprendre le domaine de la Colombe, à Féchy, en défendant un Pet Nat et la Neuchâteloise Elodie Kuntzer le domaine de Saint-Sébaste avec un convaincant vin orange. Toutes ces jeunes femmes se démarquent dans la volonté de produire des vins autrement, au plus proche de la nature et sans souffre ajouté. Elles représentent l’innovation technique autant que la conscience écologique. Dommage que la Mémoire des Vins Suisses n’intègre pas encore un vin nature à son catalogue qui permettrait d'analyser la conservation de ces nectars expérimentaux. La Mémoire pourrait se rattraper en intégrant les vins risqués de deux jeunes productrices à la pointe, la Biennoise Anne-Claire Schott et la Valaisanne Sandrine Caloz.

Autre aventurière en biodynamie depuis 1997, Marie-Thérèse Chappaz n’aime pas trop apparaître en dehors de sa cave, mais apprécie de retrouver d’autres producteurs à la Mémoire. Elle symbolise le vin d’auteur, comme on dit cinéma d’auteur, n’en déplaise à sa modestie d’artisane. Elle vient cette année de remporter, pour la première fois dans ce pays, la note de 100 sur 100 chez Parker, pour un Grain par Grain 2020, un fabuleux liquoreux de Petite Arvine qu’elle produit en quantité confidentielle. Marie-Thérèse Chappaz n’en fait en aucun cas un argument de vente.

Pas besoin de glorifier artificiellement les femmes dans le vin suisse, de vouloir créer des popstars, de valoriser leur féminité au lieu de leur capacité en vigne. On se réjouit de ne plus jamais devoir écrire ce genre de commentaire, qu’on ne se soucie plus de la place et de la valeur des femmes dans aucun domaine de la société et que cela devienne aussi évident et beau que dans le vin suisse.