Le succès des deux séries télévisées «Une maison, un écrivain» et «Une maison, un artiste», sur France 5, dit assez l’intérêt que peut susciter l’entrée dans l’intimité d’une personnalité, là où elle a vécu. Qu’il s’agisse de Françoise Sagan au manoir de Breuil, de Jean Cocteau à Milly-la-Forêt, de Boris Vian à l’ombre du Moulin Rouge; qu’il s’agisse encore de Bourvil à Montainville, de Juliette Greco à Ramatuelle ou de Salvador Dali à Portlligat. Si la fréquentation de l’œuvre est la meilleure manière de connaître l’écrivain ou l’artiste, sa biographie et son environnement en sont de très utiles compléments. Ce n’est pas pour rien que la restructuration de «La Muette», la maison de C.-F. Ramuz à Pully, maintient le bureau de l’écrivain dans l’état où il se trouvait lors de sa mort en 1947, en vue de futures visites. 

Certaines de ces maisons sont ouvertes au public, telles celles d’Ernest Hemingway à Key West, de Frida Kahlo à Mexico ou de Victor Hugo, place des Vosges, à Paris. D’autres ne se visitent pas. Ce qui n’empêche pas les admirateurs de venir rêver devant leurs façades. Celle du 15, rue de Bon-Port, à Territet, où Freddie Mercury (Queen) avait passé ses derniers mois. Ou celle du 17 Nollendorfstrasse, où résida Christopher Isherwood, l’auteur de «Goodbye to Berlin», roman porté à l’écran sous le titre «Cabaret» (avec Liza Minelli). Dans ce quartier de Schöneberg, des «Isherwood’s Neighbourhood Walking Tours» permettent aux intéressés de découvrir le Berlin de la République de Weimar où le jeune écrivain britannique se partageait entre cours d’anglais, le jour, et nuits fauves. A Montreux, des «Freddie Tours» invitent à suivre les traces de Mercury. Pourquoi pas? A Hollywood, à plus large échelle évidemment, des minibus baladent les touristes curieux d’apercevoir, même de loin, les demeures des stars. 

La mise en valeur des résidences de célébrités peut être un atout touristique. Elle ne saurait drainer les foules, bien entendu. Ce ne peut être qu’un élément de niche. L’office du tourisme de Dublin l’a bien compris, lui qui promeut son riche patrimoine littéraire, sur les pas de James Joyce, Oscar Wilde, George Bernard Shaw et autres Samuel Beckett. La Suisse est riche d’artistes de réputation ­in­ternationale ayant choisi d’y résider. Il n’est que de penser à Vladimir Nabokov à Montreux, Hugo Pratt à Grandvaux, Clara Haskil à Vevey, Sergueï Rachmaninov à Weggis, Audrey Hepburn à Tolochenaz, Thomas Mann à Küsnacht, Patricia Highsmith à Tegna, etc. Pour s’en tenir à Lausanne et à ses environs, on pourrait imaginer des balades commentées autour de ses hôtes illustres: Yul Bryner (qui était d’origine argovienne!), Georges Simenon, Coco Chanel, Maurice Béjart, Serge Diaghilev, Pierre de Coubertin, David Bowie… 

Mais il y a loin parfois d’une demeure à l’autre, ce qui compromet l’organisation de tours. Pour y remédier, des applications internet pourraient être créées, qui montreraient les lieux et leurs précédents occupants, explications à la clé: quand, comment et pourquoi telle ou telle personnalité a-t-elle choisi de s’établir ici?  Quelle existence y a-t-elle menée? Imagine-t-on l’émotion d’un mélomane voyant Stravinski, rue du Sacre-du-Printemps, à Montreux, au troisième étage de l’immeuble où il composa son célèbre ballet! Sur son smartphone, il entendrait le compositeur expliquer que son piano se trouvait ici, contre le mur, et que par la fenêtre il avait vue sur les Dents-du-Midi… Cette séquence d’archive existe (on peut la visionner sur Netflix). Toutes les demeures d’artistes ne sont pas visitables concrètement. Beaucoup pourraient l’être virtuellement.

freddie-tours.com

Journaliste et écrivain, Jean Pierre Pastori est l'ancien directeur du château de Chillon et président de la Fondation Béjart Ballet Lausanne.