Pierre Jancou, zurichois de naissance, tient désormais le Café des Sports dans un village des Hautes Corbières en France et exerce comme vigneron. Il vit à 53 ans un moment apaisé de sa vie, qu’il a rêvé pendant le Covid, en apprenant le métier d’ouvrier vigneron dans un centre de formation agricole professionnel, grâce à Pôle emploi, consacré à la taille, au travail sur le tracteur, aux traitements. Il concrétise cette vision «dans un lieu sauvage, tellurique où on travaille tout à la main et où je pense parfois avec nostalgie à la Suisse et aux gens qui aiment le vin et qui agissent bio». On le voit aussi déambuler dans une vidéo de Suisse Tourisme aux bords de la Limmat où il vante les goûts du restaurant Gamper, à Zurich.

Un mouvement qui contre les grossistes alimentaires
On le contacte pour évoquer presque une autre vie, quand il se retrouve dans les années 1990 à Paris, dans l’effervescence de l’histoire au cœur de la bistronomie: «Yves Camdeborde venait d'inventer le mouvement à La Régalade. Inaki Aizpitarte et moi, on arrive quatre ans après, on amène un peu de folie et on s’inscrit dans ce mouvement où des chefs souvent étoilés se mettaient à une cuisine bonne et de qualité, à des tarifs raisonnables avec un service décontracté.» Paris permet alors de bouger les lignes, de sortir d'une restauration guindée et classique, et propose une offre très variée, un peu comme Berlin aujourd'hui.

Une première carte des vins sans sulfites
Pierre Jancou tient à replacer ce mouvement bistronomique, qu’il qualifie de révolutionnaire, dans l’histoire où à l’époque à Paris, juste avant, on mangeait partout la bouffe du grossiste alimentaire Métro: «Nous, on voulait un rapport direct avec les éleveurs, les maraîchers, pour trouver les meilleurs prix, fruits de nos amitiés. C’était un moment important, sexy, pour la bouffe à Paris, on montrait nos tatouages, notre esprit punk. Des chefs comme Alain Ducasse venaient manger chez nous pour comprendre ce qui se passait et s'en inspirer. On voit encore l’influence revendiquée de la bistronomie parisienne aujourd’hui sur un restaurant délicieux, comme Trippa, à Milan.» Alors que Pierre Jancou souligne aussi comment les Italiens ont su valoriser leurs produits comme la burrata des Pouilles, le lard de Colonnata et le culatello di Zibello: «Ils ont amené les premières trancheuses Berkel dans nos restaurants.»

C'était un moment sexy pour la bouffe à Paris, on montrait notre esprit punk.
Pierre Jancou, restaurateur, vigneron, amoureux des produits

Racines dans un quartier de sertisseurs et d'antiquaires
Et Pierre Jancou, comment naviguait-il avec son propre style d’enfant amoureux de la cuisine simple d’Italie passé par les milieux de la mode et de la nuit dans ce chaudron? «De façon animale, je ne connaissais pas Yves Camdeborde, seulement quelques adresses que j’aimais, comme la Nouvelle Mairie dans les années 2000. En 2007, avec Racines, je décide de proposer la première carte de vins sans sulfites de Paris. J’aimais les vins qui secouent, pas que ceux qui apportent du confort.»

A l'époque, beaucoup, comme le critique Michel Bettane, jugent les vins sans intrants comme «une mode conne», alors que Pierre Jancou, sans négliger le cep, le cépage et le sol, y voit l'avenir. «J’étais considéré comme un extrémiste qui se battait contre les lobbys de l’industrie alimentaire. Aujourd’hui, je vais vers plus de douceur, je compte sur les autres.»

Le grand frère de ceux qui se battent pour les horaires
Pierre Jancou a aussi amené le principe de la cuisine ouverte chez Racines: «On souhaitait tous se retrouver au même niveau que le plongeur et avec un lieu aussi petit, on n’avait pas le choix; cela vivait comme un théâtre de poche.» Pour Pierre Jancou, Racines s’inscrivait aussi dans l’humeur d’un quartier à côté de la maison d’enchères Drouot, avec des sertisseurs, des antiquaires, des journalistes et un tourisme de qualité.

Aujourd’hui, il se voit comme le grand frère de ces jeunes chefs qui se battent contre les coupures dans les horaires et propose des résidences d’autres cuisiniers dans leurs établissements. Pierre Jancou trouve très bien que les écoles hôtelières enseignent la bistronomie. Mais il pense que les chefs de sa génération pourraient être invités comme intervenants pour raconter la saisonnalité, leurs expériences et leur éthique de travail. Il pense que l'esprit des premiers bistronomes circule encore par exemple à Batavia, l’épicerie moderne, à Bienne. Contre le vent mauvais il traque les belles choses.


Le Comptoir du Relais, une institution canaille

Le Comptoir du Relais reste une table phare de la bistronomie, à Paris. Pendant 18 ans, avec ses tables serrées et sa terrasse chauffée, Yves Camdeborde y déclinait ses classiques d’une cuisine canaille, sourcée et décomplexée. Depuis cet été, Bruno Doucet lui succède, comme dans son autre établissement La Régalade et dans le même esprit, dans ce restaurant de 70 couverts au cœur d'un hôtel quatre étoiles de Saint-Germain-des-Prés. On y sert toujours un pied de porc désossé et pané. Et un principe immuable: impossible de réserver une table, mais le service reste continu de 12 à 23 heures.    [IMG 2]

hotel-paris-relais-saint-germain.com

 

Un Coup de Soleil doré par le marché local

Le restaurant Le Coup de Soleil de l'Hôtel de la Paix, à Lausanne, propose dans sa brasserie chic de 1910 une orientation bistronomique depuis fin 2019 sous l'impulsion d'Anthony Macé.  Le 4 étoiles vient désormais depuis trois mois de confier ses cuisines à Valentin Roche, jeune chef de 30 ans qui veut poursuivre cet héritage. Son profil répond aux exigences de la bistronomie. Le jeune chef passe par de grandes maisons étoilées comme le Waterside Inn, en Angleterre, et vient de quitter Le Pérolles de Pierrot Ayer, à Fribourg. Il veut mettre cette technique au service des produits locaux qu'il trouve deux fois par semaine au marché. Valentin Roche va s'appuyer sur une tradition de cuisine française faite de sauces et de fonds de viande et de poisson, mais en amenant de nouveaux goûts comme l'ail noir.    [IMG 3]

acahoteldelapaix.net

Alexandre Caldara