Michael Bolt, en tant que directeur d’Hotela, pouvez-vous dresser un panorama de la situation de la branche en sortie de crise des 4000 entreprises affiliées?
Nous pouvons dire aujourd’hui que nous faisons face à une situation qui s’est bien détendue et que la vie a repris son cours. Le secteur de l’hôtellerie, contrairement à celui de la restauration, a connu peu de faillites. Hotela a pu soutenir la branche en bloquant des poursuites et en octroyant des délais de paiements, mais la conscience professionnelle des hôteliers a surtout permis de garder la situation sous contrôle.

Une situation qui pourtant vous préoccupait beaucoup au cœur de la crise… 
En effet, mais les aides à fonds perdu, le chômage partiel mis en place par la Confédération ainsi que les APG Covid ont permis d’amortir les chocs et de ne pas impacter trop fortement la masse salariale. Important pour nous car nous percevons les cotisations en pour-cent de la masse salariale. Le secteur a plus fait face à des fermetures d’hôtels qu’à des faillites. Et un hôtel urbain, s’il est bien placé, conserve sa valeur immobilière.

Une situation différente pour les régions de montagnes? 
Oui, là, la situation peut devenir dramatique et l’hôtel se transformer en ruine. Mais il faut aussi constater le retour en grâce du tourisme en montagne.  Les Suisses reprennent goût à leur pays et découvrent la grande qualité de nos hôtels. 

Pourquoi la pénurie des collaborateurs dans la branche devient si préoccupante? 
On constate ce phénomène depuis 10 ans et aujourd’hui, on observe une accélération douloureuse. La branche engage des gens très jeunes et beaucoup la quittent après quelques années déjà. Les salaires restent bas et, faute de personnel, une diminution structurelle risque de s’installer. Et la situation va empirer si on continue à payer des salaires si bas. Il faut trouver des solutions, notamment en augmentant les salaires, en offrant par exemple une meilleure prévoyance professionnelle. Aux Etats-Unis, le détaillant Walmart s’est résolu à rétribuer ses chauffeurs poids lourds avec un salaire allant jusqu’à 110 000 dollars par année, car plus personne ne voulait faire ce métier. Cette pénurie de personnel est un signal fort qui ne peut être ignoré.

Au programme

Perspectives pour le monde du travail


Lors du Hospitality Summit des 1er et 2 juin, les décideurs ainsi que les leaders d’opinion de la branche présenteront voies, perspectives, solutions et tendances de demain, à la Halle 550, à Zurich-Oerlikon.
Michael Bolt, directeur général d'Hotela, proposera le 2 juin de 10h40 à 11h50 une breakout session sur le thème du travail et de la formation, et se demandera comment tous les partenaires peuvent améliorer les conditions-cadre. 
Les participants à cette table ronde seront Katrin Rüfenacht, General Manager de 7132 Hotel Vals; Séverin Bez, Managing Director Vocational and Professional Education Business Area EHL; Adrian K. Müller, propriétaire et hôtelier de l'hôtel 4 étoiles Stern à Coire et Karoline Niggli, Senior Team Manager HoGa Suisse, Hotelcareer by StepStone. L'ensemble de ce débat sera modéré par Nicole Brändle Schlegel, responsable Travail, formation, politique chez HotellerieSuisse. aca

Billets disponibles:

hospitality-summit.ch/tickets

Donc les déductions de coordination sur des salaires à temps partiels ne permettent pas d’assurer un bon deuxième pilier…
On obtient une rente en fonction de ses cotisations. La déduction de coordination est de 25025 francs et reste identique, quel que soit le salaire annuel. Pour un salaire de 100000 francs, vous cotisez sur 75000 francs; et pour un salaire de 50000 francs, vous ne cotisez plus que sur 25000 francs. Les temps partiels et les bas salaires, très présents dans notre branche, sont fortement impactés par cette déduction de coordination. La future réforme du deuxième pilier pourrait diminuer considérablement cette déduction. Comme citoyen baignant dans la prévoyance, j’y suis favorable. Cette mesure aura toutefois un impact pour l’employeur et l’employé, qui cotiseront sur une part plus grande du salaire. Si vous n’employez que des personnes à plein-temps et bien payées, cela reste supportable, mais avec une majorité de temps partiels, l’augmentation des charges sera plus importante.

Le télétravail peut-il amener des solutions? 
Dans l’hôtellerie, les possibilités demeurent réduites. Chez Hotela, nous sommes passés de moins de 10% de collaborateurs travaillant un jour par semaine à domicile à 40% après la crise, dont moi-même. Cela permet de supprimer des fatigues liées au transport et pourrait donner envie à certains de travailler au-delà de l’âge de la retraite.

Quel métier de l’hôtellerie s’y prêterait?
Concierge par exemple. On a vu des exemples de longévité à Genève et à Sils-Maria. Chez Hotela, une collaboratrice a réduit son taux d’activité de 100% à 60% après 64 ans: elle bénéficie de 100% de repos en plus et de 40% de fatigue en moins. Je connais également un cas où les maux de dos ont même disparu. L’employée touche sa rente AVS et maintient ainsi pratiquement son revenu. En outre, en continuant de cotiser à la LPP, la rente sera d’environ un tiers supérieure à 70 ans. Tout le monde est gagnant. Quant aux métiers plus usants, la caisse de pension Hotela prévoit aujourd’hui déjà un taux de conversion de 6,8% pour les départs en retraite jusqu’à 5 ans avant l’âge légal.

L’hôtelier pourrait-il déléguer davantage certaines de ses tâches? 
Oui, typiquement nous confier sa gestion des salaires. Un hôtelier indépendant à Yverdon a assuré pendant longtemps cette tâche lui-même. J’ai pu lui montrer que cela lui prenait une partie disproportionnée de son temps de travail qu’il ne consacrait pas à l’accueil de ses clients. Il fait partie aujourd’hui des 300 fidèles clients adeptes de notre service de gestion des salaires Hotela Full, qui permet une automatisation de la saisie des données et garantit la transparence et la conformité à la CCNT. Le réviseur AVS remarque d’emblée cette plus-value.

Pouvez-vous nous parler du degré de couverture d’Hotela?
Oui, il se chiffrait à 115% au terme de l’année dernière. C’est le taux de couverture le plus élevé depuis 20 ans. Il avait chuté jusqu’à 80% en 2008, alors qu’il culminait à 126% en 1998. Aujourd’hui, notre rigoureuse stratégie de placement et une nouvelle gouvernance, avec des gérants sélectionnés selon un processus exigeant, assurent une bonne qualité de la gestion de fortune.

Comment le troisième pilier est-il perçu dans la branche?
J'enseigne les assurances sociales à l'école hôtelière de Thoune et je suis surpris de constater que des jeunes s'y intéressent, ceci à juste titre. Mais encore faut-il pouvoir se le permettre. Si on réduit fortement la déduction de coordination, les employés disposeront d’encore moins de cash. L'offre d'un plan de prévoyance surobligatoire pour les cadres me semble une bonne chose, de même que les rachats dans la caisse de pension.

Quels grands autres défis subsistent pour la branche?
Le travail au noir touche surtout la branche de la construction et celle de la restauration, mais également de l’hôtellerie, dans une moindre mesure. Nous devons régulièrement informer sur le sujet et offrir aux employeurs une simplification administrative. Il faut aussi combattre l’absentéisme en entreprise, par un management moderne.[DOSSIER]

Trouvez-vous que votre métier reste mal perçu? 
Hotela est une institution à but non lucratif très éloignée du modèle de l’assureur capitaliste. Notre mission est de nous positionner au cœur du partenariat social. Nos vies s’accélèrent, nos parcours professionnels deviennent plus complexes. Les assurances sociales doivent rester un roc qui permet de gérer cette agitation, tout en offrant  à chacun une sécurité pour l’avenir.