Le directeur tend la main et tout de suite donne son prénom en viatique pour donner le ton: «Pierre-Henri». Ici, au W de Verbier, on appelle les clients par leurs prénoms, si on les connaît. Une des multiples façons de créer une connexion personnelle avec l’hôte. Mais aussi un petit séisme dans le monde codifié d’un cinq étoiles supérieur, dans une station de ski huppée.

Pour fédérer sa communauté, la marque W, qui compte 73 hôtels dans le monde, dont 14 en Europe, capitalisait à ses débuts très urbains, en 1998 à New York, sur une audace venue du design, de la musique et de la mode. «Un hôtel révolutionnaire et avant-gardiste qui a donné le coup d’envoi à la vague massive des boutiques hôtels aux Etats-Unis», raconte Curt, un client nostalgique de cette époque, en 2023, sur un site Internet américain. Aujourd’hui encore, la marque W vise clairement les 20 à 50 ans et garde ses valeurs de fête et branchitude.

[GALLERY 1]

«Mais à Verbier, on peut voir plus large, notre clientèle va facilement jusqu’à 80 ans», se réjouit Pierre-Henri Bovsovers, directeur de l’hôtel depuis son ouverture voilà dix ans. Une clientèle mixte qui comprend les afficionados de la marque, comme le très stylé Vincent Shen, qui va apparaître comme par magie pendant notre visite. Mais aussi une clientèle à majorité suisse et en hiver, plutôt étrangère, avec un autre segment qui fonctionne bien notamment grâce à son spa, celui des familles. «On veut proposer un luxe décontracté, jamais rien de guindé. On ose être ludique», explique Stéphanie Olivier, directrice du marketing et de la communication, elle aussi sur place depuis dix ans.

[GALLERY 2]

Lʼarrivée de la marque ne fut pas une évidence pour tout le monde
Pour comprendre le W Verbier, il faut décoder son style. De l’extérieur, l’illusion de grand chalet alpin tout de bois, qu’on laisse naturellement vieillir, fonctionne. Un concept intégré à l’architecture du village voulu par les architectes Concrete d’Amsterdam. Mais dès l’entrée, on franchit une ligne de lumière violette et on commence à entendre les premiers sons électro.

Carte de visite

Nom de l'hôtel: Hotel W
Lieu: Verbier, Valais
Marque et groupe: W par Mariott
Classification: cinq étoiles supérieur
Années de construction:  d’avril 2010 à décembre 2013
Investissement: non communiqué
Architectes: Concrete Amsterdam, en collaboration avec des architectes locaux
Nombre de chambres: 123 chambres, 16 suites et 15 appartements résidences
Nombre de collaborateurs: 180 en haute saison, 100 hors saison
Taux d'occupation: hiver 75%, 45% à l’année; hôtel ouvert toute l’année
Chiffre d’affaires: non communiqué Groupe cible: les 20 à 50 ans pour la marque W, les 20 à 80 ans à Verbier, jeunes branchés, familles, séminaires d’entreprise, évènements
Autres prestations: de trois à cinq restaurants par année, dont un signature le Bô, les tapas du Eat-Hola par Sergi Arola, U-Yama sushi bar et la plage l’été. Un spa et deux piscines, salles de conférence modulables.
Directeur: Pierre-Henri Bovsovers, depuis le début.Propriétaires: société Les Trois-Rocs, plusieurs actionnaires.

Tout de suite frappe le mélange de matériaux locaux, pierre, cuir, peau avec des éléments de design plus novateurs comme cet ourson peuplé de tags. On ne découvre pas de lobby, mais bien un espace de vie, le living room, qui évolue en fonction de la journée. On peut y déjeuner tranquillement à midi, puis la fête s’installe autour d’un bar à cocktails et de DJ, notamment le résident Adam Nova, qui ne propose pas une bulle sonore, mais reste ouvert aux goûts des hôtes.

L’arrivée de la marque W, à Verbier, ne fut pas une évidence pour tout le monde. Le concierge d’origine espagnole Miguel Carrillo, lui aussi présent dès les débuts, précise: «Nous étions les inconnus, on arrivait dans un village à l’esthétique très claire avec nos graffitis, nos couleurs vives. Les gens se demandaient d’où on venait…» Pierre-Henri Bovsovers pousse encore le bouchon plus loin: «Personne n'y croyait ici, on nous critiquait ouvertement comme une chaîne américaine coupée des réalités, on n'était pas chez nous, on se la jouait low profile. Mais aujourd’hui, nous pouvons compter sur 90% de retours positifs, on se sent bien intégré, on connaît tout le monde, on apporte une plus-value commerciale à la station.»


Il s’amuse de cette nouvelle communauté de clients locaux, qui viennent passer la soirée au W pour se dépayser, mais regrette que beaucoup de Valaisans n’osent pas encore franchir la porte. Alors que l’hôtel fait tout pour les séduire, notamment en utilisant le patois valaisan comme marque de fabrique de son restaurant. Sur les pistes voisines de Bruson, beaucoup de purs Bagnards ne veulent pas entendre parler «du mastodonte américain et regrettent les belles années où une sacrée tronche valaisanne, le chef étoilé Roland Pierroz, faisait la loi». Le W a longtemps varié les concepts de restauration et le Bô vient de changer de chef, alors que GaultMillau venait de confirmer les 14 points d’Emiliano Vignoni. Heureusement que la cuisine de son ancien sous-chef Massimiliano Ascione s’inscrit dans la même droiture et qualité. Mais un peu plus de stabilité gastronomique aiderait aussi le gastronome à s’y retrouver.

Au début, la marque W débarquait à Verbier avec son excentricité, comme ce tunnel rougeoyant au cœur de l’hôtel, qui donnait les trois premières années accès à une boîte de nuit le Carv. Aujourd’hui, il conduit au U-Yama, la version hivernale du sushi bar et des statues géantes de Massaïs stylisées de l’artiste français Orsa, venues par les airs, en hélicoptère. En ce moment, des mannequins exhibant des articles de mode assurent le mélange des genres sur les marches.

On arrivait avec nos graffitis, les gens se posaient des questions.
Miguel Carrillo, Chef concierge du cinq étoiles supérieur

L’établissement sait se remettre en cause: «On s’adapte beaucoup au retour de nos clients, on retravaille sans cesse nos offres, nos concepts. Oui, au début, on allait nettement vers l’extravagance, aujourd’hui, on recherche plus le chic», raconte Stéphanie Olivier. La communauté devient plus grand public et cible certains marchés. Notre marque américaine a permis un nouveau dynamisme. A notre arrivée, en 2013, le marché américain représentait 0,5% du marché, contre 25 à 30% aujourd’hui», explique le directeur Pierre-Henri Bovsovers, venu pour la première fois à Verbier pour son entretien d’embauche quelques mois avant l’ouverture de l’hôtel. «Je suis belge, j’ai appris à skier à Gstaad, je ne connaissais pas le nom de Verbier, alors oui, les locaux nous disent que la station est hyper connue dans un milieu de niche de skieurs. On veut contribuer à élargir cela.»

Aux prémices du projet, on aimait une sorte de complexité incernable, de brume conceptuelle. On se souvient de notre première conversation en 2003, avec le chef espagnol doublement étoilé Sergi Arola, toujours consultant de l’établissement pour son bar à tapas Eat-Hola. Sergi Arola semblait aussi à l’aise parlant des peintures noires de Goya, de motos, que de sa collection de livres d’histoire militaire. Cette dimension-là de mystère, malgré l’efficacité économique du projet, existe encore dans les interstices du W Verbier. On aime se perdre à la nuit tombée dans ses couloirs noirs artistiquement faiblement éclairés, qui rappellent plus le palais de Tokyo à Paris qu’un hôtel à la mode.

Des partenariats avec lʼécole de VTT lʼété et lʼécole de ski lʼhiver
Revenons au public cible. Dans les montagnes valaisannes, il s’agit d’un resort baptisé «escape» en langue W, comme une invitation à l’évasion, une dénomination qui s’applique aussi au resort du Costa Rica par exemple. A Verbier, le W semble d’abord s’adresser aux sportifs. Devant le chalet principal, la grande place se transforme en espace après-ski l’hiver, avec un bar au pied des pistes. Et l’été, en une plage avec un terrain de volley et une fausse pelouse. Toujours avec des DJ.

[GALLERY 3]

Des partenariats avec l’école de VTT l’été et l’école de ski l’hiver permettent de combler les deux communautés de skieurs et de vététistes. «On nettoie les vélos, on dispose d’outils pour les réparations et l’hiver, on dispose d’appareils pour garder les chaussures de ski au chaud», commente  Stéphanie Olivier, directrice de la communication et du marketing, présente depuis l’ouverture de l’hôtel, voilà dix ans, comme son directeur, la directrice RH et le concierge. Une fidélité qui peut surprendre pour un groupe international et qui plaît: «Hier, un Genevois qui adore la montagne revenait pour la neuvième fois, il m’envoie un message le matin, on boit un café et par hasard, il se retrouve l’après-midi au spa avec ma femme, voilà le genre de lien qu’on l’on peut établir», sourit Pierre-Henri Bovsovers.

Grande nouveauté depuis juin 2022, l’agrandissement du spa de 800 à 1300 mètres carrés, avec un deuxième bassin d’eau et une zone réservée aux adultes, alors que le spa en général attire plutôt les familles. Au moment où on se dit que le spa propose l’espace le plus calme de l’hôtel, on tombe nez à nez avec un hippocampe turquoise conçu par l’atelier valaisan Pyrite. Il tranche au milieu de la pierre grise. Le W Verbier se distingue aussi par des offres positionnées dans l’exclusivité. La grande suite de l’établissement se nomme Extreme WOW et propose «de l’extrême luxe décontracté» avec un lit qui tourne sur un plateau et une grosse enceinte.

[GALLERY 4]

Attardons-nous sur un spécimen particulier de la communauté... Par hasard, à Verbier, on croise un homme habillé de noir au vêtement orné de têtes de morts dorées, Vincent Shen, entrepreneur et influenceur originaire de Taiwan qui vit en Hollande. Il trouve l’établissement empli «d’une énergie rare dans l’hôtellerie traditionnelle. Je sais de quoi je parle, je comptabilise déjà 133 jours dans des établissements du groupe Marriott cette année». L’atypique Vincent Shen se retrouve dans les couleurs vives au mur et au sol: «J’aime ce côté stylisé et fou qui me ressemble.»

Je trouve dans cet hôtel une énergie rare et qui me ressemble.
Vincent Shen, Influenceur de Taïwan, fan de la marque W

Un talent au service sʼexprime par sa joie de vivre et sa connaissance de la carte
Autre aspect qui plaît aux amoureux de la marque: le statut des employés, que celle-ci nomme «talents». Au terme de ce voyage de deux jours profonds, souvent paisibles, parfois déroutants, dans les 15 000 mètres carrés d’espace public du W Verbier ou dans ses recoins intimes, on comprend que l'établissement parvienne à séduire une communauté dédiée ainsi que des personnes étrangères à la marque. Qu’un groupe hôtelier puissant tel Marriott tente cette aventure enthousiasme.

Que W s’ouvre à un plus large public séduit. La marque devra cependant encore patienter avant de comprendre le terroir valaisan, cela rassure. On termine ce voyage sur la parole d’un talent, Esaw, qui, par sa joie de vivre, sa danse et sa parfaite connaissance de la carte, nous a permis de passer un moment extraordinaire au restaurant Bô. Il nous a raconté une anecdote de son apprentissage: «Le chef disait que lorsque tu nettoies sur la table des miettes, cela signifie que nos hôtes se sont régalés.» Il ne nous restera pas que des miettes de notre séjour, mais celles racontées par Esaw avec sincérité resteront dans nos cœurs gourmands.


La voix de l'expert

Ma différence, ma communauté

Les communautés sont essentielles à la fidélité, à la notoriété et au succès global d’une marque. Une communauté forte et engagée mènera à des services et produits améliorés, à l’apprentissage et à l’innovation ainsi qu’à la croissance de l’entreprise. Ce besoin d’appartenance semble aussi lié à la nouvelle solitude malgré un monde hyper-connecté dans lequel nous vivons. L’antidote est peut-être celui des communautés. Le sentiment de solitude reste encore élevé et selon différentes études, cela peut représenter une personne sur cinq. Le désarroi de nos échelles de valeurs et de repères, la recherche intrinsèque d’identité, le besoin de rêver favorisent un besoin d’appartenance à des valeurs qui nous ressemblent et assemblent. La marque, le nouveau plan relationnel qui gronde. La création de communautés aujourd’hui renforcée par les crises, le bouleversement numérique valorise davantage le rapport humain. Un champ d’opportunités pour les marques.

Pour l’hôtelier, construire sa communauté autour de sa marque est au cœur de la survie relationnelle avec ses clients et son public. Le besoin de reconnaissance est fort, le besoin d’appartenance plus fort. Pourquoi créer une communauté de marque? Plusieurs objectifs apparaissent: certains sont explicites, d’autres implicites. Pour une marque hôtelière, l’objectif explicite premier est la fidélisation de sa clientèle. Créer une relation émotionnelle autour des attributs cognitifs de la perception du client envers la marque pour qu’elle devienne sa marque de référence. Les objectifs implicites nourrissent aussi la marque avec des éléments d’amélioration de la satisfaction, de collecte de données et de signaux faibles pour ceux qui savent les lire et analyser. Certes, une stratégie de «pêche au chalut» mais qui requiert un nouveau rapport de force entre la marque hôtelière et sa communauté.

Une fidélité décisive
Cette relation bilatérale marque-client évolue vers un équilibre subtil entre l’expression des besoins, des attentes et une proposition de valeur. Maintenir l’engagement de sa communauté est tout aussi important. Sinon plus, que gagner de nouveaux adeptes. Les professionnels du secteur sont familiers avec l’hypothèse validée que les deux tiers des clients dépenseront davantage pour les marques auxquelles ils sont fidèles. Nous observons aussi que plus un client investit de temps ou d’efforts pour un service ou un produit, plus il finira par le valoriser. Mais n’oublions pas que le cœur de l’action opérationnelle est aux mains des équipes et que la question du recrutement, de l’engagement, de la rémunération, de la formation, de l’accompagnement et de la fidélité sont à l’ordre du jour des agendas des politiques RH. 

Notoriété et réputation
Le narratif du type storytelling qui connecte une marque à son audience est aussi un outil puissant pour capter des futurs talents. Une approche communautaire qui intègre les codes du récit pour les adapter au discours sur l’attractivité d’une marque employeur perméable aux défis de créer les conditions de récupérer une puissance d’agir sans dévitaliser un contexte de management souvent complexe et en quête de solutions. Une communauté, c’est aussi une responsabilité et il ne faut pas la sous-estimer. Même si la satisfaction client demeure le levier de la fidélité, le risque de la déception ou du désengagement du client existe avec des impacts collatéraux non négligeables. La fidélité envers la marque est variable. Cette responsabilité n’est pas dans les seules mains du Community Manager. Si une marque rate la création de sa communauté de marque, comme la nature qui a horreur du vide, la communauté se créera de façon organique et par ses clients. Avec le danger d’être pris en otage de son image de marque. Créer, hisser et valoriser une communauté cohésive requiert temps, persistance et efforts. Mesurer les conséquences et résultats d’une telle stratégie peut s’avérer âpre. La notoriété et la réputation de la marque étant au cœur du processus. Eléments intangibles pour un impact tangible. Comme bonne pratique, le Community Manager encourage les membres à exprimer librement leurs opinions, à façonner des conversations, à créer des liens authentiques qui comprennent des points de vue sur leurs marques, services et produits. Inévitablement, ouvrir le débat aux critiques est constructif. Mais s’éloigner du narratif lié à la marque et tourné vers sa communauté ouvre-t-il les portes d’une croissance engagée?

Stefan Fraenkel est le CEO de LIFHE Institute Lausanne, un think tank pour les métiers de l’hospitalité.


D’autres concepts destinés à de nouvelles communautés

Ibis Styles Lausanne Center Mad House

[IMG 2] Le MadHouse à Lausanne, dans le quartier branché du Flon, s’adresse aux fans de design, aux amateurs de pop culture. Il fait sienne la philosophie Ibis Styles et revendique sa propre thématique, encore inexploitée à ce jour par la marque du groupe Accor: le style Nightlife. Une expérience à vivre pour sa communauté d’oiseaux de nuit dans sa grande galerie de Street Art, mais aussi sur le Rooftop avec une vue à couper le souffle sur la ville olympique.
 
L’hôtel compte 26 chambres déclinées en 3 catégories. Avec mention spécialement décalée à sa Rabbit Hole. «Le repère idéal - et pas cher - pour Bugs Bunny, Pan-Pan, les lapins crétins ou Duracell», s’amuse l’établissement.

all.accor.com/hotel/B370/index.fr.shtml


N'V’Y Manotel Genève

[IMG 3] Le N’V’Y du groupe Manotel situé près de la gare Cornavin, à Genève, veut capter une communauté par son style  Boho-chic. «La traduction d’un art de vivre, mêlé d’insouciance, voire d’insolence, de décontraction, de non-conformisme, de légèreté et d’élégance», ainsi en parle Patrick Ribes, architecte d’intérieur de l’hôtel.

Un quatre étoiles supérieur, au design audacieux, qui n'a pas peur de s'approprier les codes du Street art et de la pop culture, notamment avec sa collection de guitares de rock.
L'Hôtel N’vY décline ses 153 chambres et suites selon des mode de vie: BoHo, Nomad, Hipster, Shelter ou SoChic.

hotelnvygeneva.com/fr/


La Folie douce Hotels Chamonix

[IMG 4] Un bouillonnant lieu de vie pour «toues les personnes ouvertes d’esprit » Un cadre spectaculaire installé dans un ancien palace Le Savoy et situé au pied du Mont-Blanc, mais ravivé pendant le séjour par un esprit qui se veut festif. Il s’adresse aux familles, aux bandes de copains, aux sportifs et aux entreprises dans un esprit hybride et fédérateur. Le concept du groupe familial français spécialisé dans la restauration festive fait bouger les traditions hôtelières de la montagne pour offrir un lieu de partage unique en son genre.

Les 250 chambres Premium ou Standard à l’esprit contemporain peuvent accueillir deux, quatre ou six personnes. Il propose cinq restaurants et un Nigthclub.

lafoliedoucehotels.com