Remplir des hôtels et faire tourner des installations de remontées mécaniques: même combat? Si personne ne contredit l’importance de bonnes relations entre ces deux acteurs majeurs d’une destination, la mise en pratique n’est pas toujours aisée. «Ces collaborations ne sont pas naturelles. Les résultats font qu’elles le deviennent», partage Sébastien Travelletti, CEO de Swisspeak Ressorts, vice-président de Magic Pass et président de Télé Anzère. Lara Berra, directrice de l’Hôtel Suisse à Champéry, convient qu’une marge de progression existe: «Ça va, on s’entend assez bien. On veut tous aller dans le même sens mais parfois nos réalités économiques diffèrent.»

Attentes élevées
De part et d’autre, les attentes sont élevées. La joie et le soulagement provoqués par l’arrivée de Vail Resorts à Crans-Montana démontre l’importance des remontées mécaniques pour les acteurs de la station. «Nous allons entrer dans une nouvelle ère du ski à Crans-Montana, c’est extrêmement positif», partage Jean-Daniel Clivaz, directeur de l’Hôtel Olympic et président de Crans-Montana Tourisme. Lorsque les remontées mécaniques appartenaient à Radovan Vitek, CMA préférait réaliser sa propre promotion plutôt que de travailler avec les organes touristiques de la station. L’hôtelier estime cependant que la collaboration devrait être naturelle: «Nous faisons partie de la même chaîne de valeur.» A Verbier, Laurent Vaucher, CEO de Téléverbier, parle d’un objectif commun, celui de «placer l’expérience client au centre».

Autant les remontées mécaniques que les hôteliers doivent trouver un intérêt, poursuit Jean-Daniel Clivaz. «Les remontées mécaniques attendent que les hôtels pourvoient une nouvelle clientèle; les hôtels souhaitent que les remontées mécaniques accordent des avantages tarifaires pour favoriser les séjours prolongés.» Lara Berra convient et tempère: «En tant qu’hôteliers, nous sommes très demandeurs. Nous aimerions que les remontées mécaniques soient ouvertes au maximum et que nos clients puissent profiter de tarifs préférentiels. Mais nous savons qu’elles ont aussi leurs contraintes, comme l’augmentation des coûts du personnel et de l’électricité ou encore, pour les Portes du Soleil, le fait d’appartenir à un domaine franco-suisse. Dans l’idéal, nous devrions davantage nous rencontrer, afin d’échanger sur nos problématiques.»

Nous devons faire les bons choix sur la base de ces différents intérêts.
Bernhard Tschannen, CEO de Glacier 3000, société propriétaire de deux hôtels

Les sociétés de remontées mécaniques qui comprennent particulièrement bien les hôteliers sont celles qui se sont rapprochées du secteur par l’acquisition (ou la gestion) d’hôtels, de résidences touristiques ou encore d’hébergements collectifs. Un bon moyen de garder une vision d’ensemble et de défendre une stratégie globale. «Ce fonctionnement simplifie la compréhension des deux business», estime Bernhard Tschannen, CEO de Glacier 3000. La société a acquis deux hôtels aux Diablerets: l’Eurotel en mai 2022 et Les Sources en mai 2023. «Les hôteliers préféreraient que le client reste plus longtemps, alors que pour les remontées mécaniques, il est plus intéressant d’héberger un client différent chaque nuit. Nous devons faire les bons choix sur la base de ces différents intérêts.» Bernhard Tschannen souhaitait initialement miser sur les groupes. «Mais nos hôtels fonctionnent trop bien grâce à l’excellent travail du couple de direction Alexandra et Stéphane Wartner et leur équipe. Ils accueillent beaucoup de séminaires qu’il était important de conserver.»

La reprise des deux hôtels profite à la société, tout en dynamisant la région. La société annonce avoir battu un nouveau record lors du dernier exercice. «La professionnalisation du service couplée à la force de frappe marketing et de vente de Glacier 3000 permettent ces excellents résultats», analyse Bernhard Tschannen. Huit millions de francs ont déjà été investis dans l’Eurotel et environ 400 000 francs pour Les Sources. Cette fusion des entités favorise aussi les synergies en termes de personnel et de fournisseurs. Elle permet aussi de jouer avec la saisonnalité et les segments de clientèle.

Réinvestir dans la rénovation
Les remontées mécaniques Grimentz-Zinal dans le val d’Anniviers tirent aussi un bilan très positif depuis qu’elles ont intégré, entre 2013 et 2016, cinq hôtels à leur portefeuille (4 en propriété, 1 en gestion). Cependant, les hôtels ne sont pas là pour enrichir la société de remontées mécaniques. Dans le rapport d’activité 2022-2023, le secteur hôtelier représente 23,81% du chiffre d’affaires global. Tandis que les charges des hôtels représentent 99,66% de leur chiffre d’affaires. «Nous avons repris ces hôtels afin de préserver les lits chauds et les emplois, tout en augmentant la fréquentation de nos stations. Le but n’est pas de faire du bénéfice. Tout l’argent généré par ces hôtels est réinvesti dans un fonds de rénovation», précise le directeur Pascal Bourquin. On peut dès lors se demander si le jeu en vaut la chandelle. Pour Pascal Bourquin, il ne fait aucun doute: «Plus de 80% des nuitées sont générées par une clientèle de skieurs, donc logique-ment, on en profite. A noter que certains hôtels ont multiplié par trois leur fréquentation.»


Offrir des avantages concurrentiels

Forfaits, remboursements en cash, rabais: comment faire profiter sa clientèle

Les hôteliers ont la possibilité de vendre directement des forfaits de ski à leurs clients, moyennant une commission. Le prix peut s’avérer plus avantageux à partir d’un certain nombre de nuitées et grâce à l'achat anticipé. A Verbier par exemple, 5% desabonnements de ski sont vendus par les hébergeurs de la station (hôtels et agences de location).

De manière générale, la stratégie des remontées mécaniques est décisive. A Crans-Montana par exemple, l’hôtelier Jean-Daniel Clivaz a arrêté de vendre les forfaits de ski à ses clients. «Avec le dynamic pricing, le prix fixé par les remontées mécaniques CMA pour les hôteliers étaient dans 80% des cas supérieur à celui proposé par les remontées mécaniques.» Selon lui, Vail Resorts apportera une politique tarifaire «plus lisible» pour le client. Il s’explique: «Pour développer leur abonnement Epic Pass en Europe, Vail Resorts est obligé d’offrir des avantages à ses membres et de les rendre visibles.»

Jusqu'à 35% de rabais
Le succès de l’Epic Pass a directement inspiré le Magic Pass. Depuis trois ans, ce dernier propose des avantages à ses plus de 180 000 membres, lorsqu’ils utilisent les remontées mécaniques incluses dans leur abonnement. Son programme «Be Magic» compte aujourd’hui environ 300 partenaires, dont le quart sont des hôtels. Il récompense les utilisateurs du Magic Pass qui comptabilisent des points qu’ils peuvent ensuite récupérer sous forme de cash à faire valoir auprès des partenaires. Pour les hôtels, ce cash n’est valable que pour les réservations en direct. «Ce rabais coûte toujours moins cher qu’une réservation via un OTA. Ainsi, on favorise la réservation en direct et on maintient les prix vers le haut», note Sébastien Travelletti, vice-président de Magic Pass.

Autre exemple: les Swisspeak Resorts. Conçues pour fonctionner main dans la main avec les remontées mécaniques, ces résidences touristiques (4 en Suisse) profitent de fructueuses collaborations. «Les remontées mécaniques n’ont pas l’habitude de faire du yield management. Mais si on leur apporte 300 à 400 personnes durant les semaines creuses, elles sont prêtes à faire des efforts», poursuit Sébastien Travelletti, en tant que CEO de Swisspeak Resorts. Swisspeak peut proposer des tarifs combinés pour les mois de janvier et de mars sur les marchés internationaux. Le rabais proposé par les remontées pour du six jours peut atteindre les 35%, indique le CEO. «Ces offres packagées, taillées pour les marchés internationaux, permettent de faire du volume. Nos résidences atteignent un taux de remplissage de 85 à 90% en janvier.»

Des offres pour inspirer
Autre attitude du côté des remontées mécaniques Grimentz-Zinal vis-à-vis de leurs cinq hôtels. Pascal Bourquin, directeur de la société, refuse le favoritisme: «Les clients logeant dans nos hôtels ne bénéficient d’aucun avantage tarifaire auprès des remontées mécaniques. Cela est fondamental pour garantir la cohésion au sein de la station.»

Et que penser des forfaits incluant nuitée et ski? «Nous encourageons nos partenaires à proposer des offres d'hébergement attrayantes avec des prestations supplémentaires, qui peuvent être réservées directement sur le site de l'hôtel, répond Suisse Tourisme. Les offres servent en premier lieu d'inspiration pour les clients. Dans de nombreux6 cas, les forfaits ne sont pas réservés tels quels.» 

Laetitia Grandjean