Jean-François Roth, vous venez de vivre deux années de présidence du Milestone marquées par la pandémie, la pire crise pour le tourisme depuis la Seconde Guerre mondiale. Comment   ce contexte particulier a-t-il marqué la cuvée 2021? 
Encore plus que l'année dernière, nous avons senti que les projets déposés ont été conçus durant cette période difficile. Environ un quart d'entre eux consis­taient en des solutions imaginées pour pallier cette crise. D'où l'intérêt de remettre cette année encore un prix Coronavirus. De manière plus générale, j'ai été frappé par l'incroyable diversité des projets tant en termes de provenance que d'activités. Malgré cette crise qui touche le secteur, 79 ont fait acte de candidatures dans les catégories Innovation et Relève (72 en 2020, ndlr) et ont démontré leur foi en l'avenir. Cela m'a impressionné. 

Cette année, la Suisse romande avait deux projets nominés et repart avec le prix de la catégorie Relève, décerné aux étudiants de l'Ecole hôtelière de Lausanne. Comprenez-vous que la Suisse romande se sente souvent mal ou sous-représentée dans ce concours? 
J'ai toujours été confronté à ce déséquilibre dans les concours nationaux où j'étais impliqué, particulièrement dans le domaine du tourisme et du développement des régions montagnardes. On se retrouve avec un foisonnement de projets, parfois des microprojets, provenant de régions alpines et rurales de Suisse centrale donc alémanique, mais très peu de Suisse romande. Ce phénomène reste difficile à expliquer, ce qui n'a pas empê-ché de bons projets romands d'être nominés, à l'image du projet MeinApero de l'Office des vins vaudois.

Est-ce que la Suisse romande manque de confiance en ses projets et innovations touristiques? 
Difficile à dire. Peut-être s'agit-il plus d'une question d'habitude ou de notoriété du concours en Suisse romande. Il ne suffit pas de nommer un président romand à sa tête pour le faire connaître et stimuler l'offre en Suisse occidentale. Cette question devrait être analysée sur un plus long terme que deux ans.  

«Il ne suffit pas d'avoir une bonne idée. Encore faut-il qu'elle rencontre son public»

Vous avez parlé de l'importante diversité de ces 79 projets. Finalement, comment le jury se détermine-t-il pour le palmarès final. Qu'est-ce qu'une bonne innovation?  
L'innovation et le succès commercial constituent pour nous les deux critères principaux. Cela ne suffit pas d'avoir une bonne idée, encore faut-il qu'elle rencontre son public. Les notions de durabilité, de marketing et de vision nous importent également. 

Le jury a décerné le premier prix à l'application Parkn'Sleep, une solution finalement assez simple qui répond à une tendance et une problématique actuelle. Dans quelle mesure ce projet a valeur d'exemple dans ce vaste domaine qu'est l'innovation?  
L'innovation ne doit pas devenir une notion fourre-tout. Elle doit être décelée dans chaque projet. Parkn'Sleep séduit par sa simplicité d'utilisation et son utilité remarquable pour les campeurs. Même s'il ne s'agit «que» d'une application, Parkn'Sleep est une innovation digitale forte, qui rend service non seulement aux campeurs mais aussi aux communes et propriétaires de terrains, qui peuvent saisir en quelques clics leurs offres d'emplacement et générer un revenu. C'est une alternative forte au camping sauvage, qui donne souvent une mauvaise image de la branche. 

Et vous, faites-vous partie de cette communauté de campeurs? 
J'ai été un campeur, oui, quand j'étais plus jeune [rires]. J'ai abandonné cette forme de tourisme mais je garde beaucoup de sympathie pour les campeurs. Je me souviens de mes expériences de camping lorsque nous assistions au Festival d'Avignon avec les copains. Et que nous devions monter notre tente avec un mistral qui soufflait à décorner les bœufs! Ce sont de bons souvenirs. 

Le vent souffle aussi sur le Milestone qui cherche un nouveau terrain où se faire un nid... Que lui souhaitez-vous?
Je souhaite qu'il y ait une suite. Ce genre de concours permet de stimuler les innovations au sein de la branche. Il constitue aussi une opportunité pour les acteurs de montrer ce qu'ils font et de se comparer à d'autres. Avec la Journée suisse des vacances, le Milestone fait partie des grands rendez-vous annuels des professionnels du tourisme.  

Engagé pour le tourisme depuis 15 ans

Jean-François Roth est président du jury du Milestone depuis 2020. L'ancien ministre jurassien fut président de Suisse Tourisme et de la Radio Télévision Suisse romande durant 12 ans, de 2007 à 2019. Sa carrière politique l'a mené au gouvernement jurassien, où il a dirigé entre 1994 et 2006 le Département de l'économie. Il s'est notamment beaucoup engagé dans la Question jurassienne et pour l'Expo.02. Il siégea aussi à Berne au Conseil des Etats entre 1987 à 1994 et présida le PDC du canton du Jura de 1989 à 1994. En 1999, il fut candidat au Conseil fédéral. Aujourd'hui, il assume encore la présidence de l'autorité intercantonale de surveillance des jeux d'argent. Âgé de 69 ans, il vit entre le Jura et Vienne, en Autriche.

Si suite il y a, serez-vous encore de la partie? 
Je ne pense pas, non. Je m'étais engagé pour deux ans, j'ai rempli mon mandat. Avec l'âge, il faut savoir raisonnablement tourner les pages et laisser la place à des idées et des personnes plus jeunes. La présidence du Milestone constituait mon dernier mandat touristique. 

Dans votre carrière, vous avez assumé de nombreux mandats, en tant que président notamment. Que vous ont apporté ces deux ans à la tête du jury du Milestone? 
Ce fut une expérience très enrichis­sante. C'est toujours un bonheur d'avoir affaire à des gens très compétents et qui plus est, agréables. J'ai retrouvé dans ce jury une équipe formidable, très stimulante, provenant d'horizons très divers, issus tant des milieux académiques que du terrain. Cette diversité a donné lieu à des échanges nourris.  

Vous faites partie de la grande famille du tourisme depuis 15 ans. Quel regard portez-vous sur son évolution?  
Si le tourisme a l'habitude des montagnes russes, je pense que la pandémie constitue une rupture. Cette crise conjuguée à la pression du changement climatique, et du poids de l'environnement sur les questions politiques, va changer peu à peu le caractère du tourisme. Nous avons plus que jamais besoin d'un tourisme plus qualitatif, plus personnalisé, qui réponde à des désirs d'expérience. Nous devons promouvoir des voyages qui évitent le tourisme de masse. 

Vous ne croyez donc pas que l'on retrouvera les mêmes flux touristiques qu'avant la crise du Covid?
Je ne sais pas si l'on reviendra au niveau d'avant la crise, mais si c'est le cas, il faudra le faire «autrement». La protection de notre planète et le problème majeur du changement climatique deviendront des critères déterminants. Les voyages devront parler au cœur des gens et éviter tout gaspillage inutile de nos ressources naturelles. Je pense d'ailleurs que les prestataires touristiques sont très conscients de ces questions-là. Et comme pour la digitalisation, si les acteurs ne s'y mettent pas, ils n'auront que peu de chances sur le marché. 

«Cette crise conjuguée à la pression du changement climatique va changer le caractère du tourisme»

Le tourisme suisse dépend encore et toujours du tourisme international... 
Absolument. Avec une part de près de 5% du commerce extérieur, le tourisme est le cinquième plus important secteur d'exportations pour la Suisse. Nous aurons toujours besoin d'un mix de marchés, mais certainement plus équilibré que ce qu'il a été jusqu'ici. Il y a aussi certainement moyen d'accroître encore la part du marché intérieur. Nous aurons aussi besoin de renforcer nos marchés proches, européens, en misant sur la mobilité terrestre, en favorisant les voyages en train. L'appel du large continuera d'exister, mais il faudra encourager les séjours plus longs et plus qualitatifs. Et drainer les flux sur l'ensemble d'un territoire, pas seulement vers les hotspots. 

Peut-on parler de leçon de la pandémie?
C'est bien davantage une tragédie qu'une leçon. Encore que la pandémie nous a fait redécouvrir des valeurs que nous ne connaissions plus, en particulier des valeurs de proximité. Mais les questions de la protection du climat et de l'environnement vont durer au-delà de la pandémie. 

Quel rôle peut ou doit jouer le tourisme dans ces questions de transition énergétique?
La transition énergétique est en marche, le tourisme est placé à la même enseigne que les acteurs de ce pays pour réaliser cette transition. On peut l'encourager sur le plan faîtier, mais cela repose également beaucoup sur des choix personnels. Un hôtel peut par exemple changer son système de chauffage, une station de ski faire en sorte de ménager les ressources naturelles si elle fabrique de la neige artificielle.
 

La crise du Covid et le confinement ont permis à certaines régions touristiques de tirer leur épingle du jeu. Je pense à votre canton, le Jura, qui connaît depuis deux ans une belle fréquentation. Ce succès doit particulièrement faire plaisir à l'ancien ministre de l'économie que vous êtes?
Oui, ça me touche, vraiment. Ce petit canton parvient peu à peu à se faire une place touristique. Nous n'avons pas de Cervin ni de Jungfraujoch, mais des paysages magnifiques et un environnement préservé. La pandémie a accentué ce bond en avant, déjà bien amorcé avant la crise. J'ai moi-même redécouvert ma région à travers cette pandémie. Le confinement et la fermeture des frontières au printemps 2020 coïncidait avec la fin de mes divers mandats. Je n'avais jamais vécu cela de ma vie. Pour quelqu'un qui a l'habitude de bouger tout le temps, d'être constamment sur les quatre chemins, c'est un peu le ciel qui vous tombe sur la tête! Alors j'ai beaucoup marché dans nos forêts jurassiennes. Et ce fut une redécouverte extraordinaire. J'ai retrouvé une culture de la proximité que j'avais pratiquement perdue par la force des choses, durant des décennies.
 

Parlez-nous d'une expérience touristique marquante, inspirante... 
Lors de mes récentes randonnées dans les Franches-Montagnes, j'ai redécouvert le Buffet de la gare au lieu-dit La Combe, desservi par un arrêt sur demande sur une ligne des Chemins de fer du Jura. Une ferme-auberge de campagne incroyable, totalement isolée mais rénovée, tenue par des gens dynamiques et accueillants. Ce fut un objet de fierté pour l'ancien ministre du tourisme que je suis. 

De quel voyage rêvez-vous aujourd'hui?
J'ai beaucoup voyagé mais j'ai maintenant abandonné les voyages longue distance. J'aimerais avant tout redécouvrir la Suisse, en marchant et revisitant des endroits que j'ai appréciés, comme St-Gall, Lucerne, la région de la Jungfrau, mais sans contraintes et en favorisant des séjours plus longs. J'aime beaucoup le chemin de fer, j'aimerais beaucoup emprunter le train des glaciers des Chemins de fer rhétiques. 
 

Avec la cérémonie du Milestone et la fin de votre mandat de président se clôt en quelque sorte votre engagement touristique. Que souhaitez-vous aujourd'hui au tourisme suisse?
Le tourisme doit continuer à stimuler la demande par le biais d'organisations efficaces comme Suisse Tourisme, en privilégiant une diversité des marchés. En ce qui concerne les pays lointains, il est nécessaire de rendre les voyages plus qualitatifs, en renonçant au tourisme de groupe. La branche doit exercer un certain leadership digital et réaliser sa transformation numérique. Elle devra aussi conquérir les cœurs des touristes. Cela implique d'y mettre du sien, de toujours s'améliorer dans l'accueil tout en ayant du style pour susciter l'intérêt.