S’il rencontre un designer d’objet, Romain Paillerau lui demandera de réfléchir avec lui à un moule en forme d’oignon. Mais pas besoin de moule de protection pour aborder les distinctions. Le jeune chef Romain Paillerau connaît les sacres rapides des guides. Alors rouvrir le restaurant des Trois Tours, à Fribourg, le 10 novembre 2021 et se retrouver étoilé ne l’impressionnent pas. Il en rigole: «Je commence à en prendre l’habitude; en 2007, je me retrouvais étoilé après six mois à la Pinte des Mossettes, et six mois après révélation de l’année pour GaultMillau.» Mais tout cela reste dit sur le ton de la plaisanterie, car son premier réflexe lundi, à Lausanne, fut de rentrer rapidement à Fribourg pour payer un verre: «A ma magnifique équipe de 16 personnes en comptant la femme de ménage et la responsable de l’administration pour un maximum de 45 couverts.» 

Pour répondre au gaspillage: il aimerait offrir un jus de légume
Une fierté pour Romain Paillerau de retrouver une étoile aux Trois Tours, un restaurant que le chef Alain Baechler a mené au sommet pendant 23 ans et près d’une vingtaine d’années avec une étoile Michelin et 18 points GaultMillau: «On mesure chaque jour avec les échos de notre clientèle l’immense influence d’Alain Baechler sur la gastronomie en Suisse romande.» Pourtant, Romain Paillerau déteste faire comme les autres: «Je voulais un restaurant à mon image, on a tout modifié, l’éclairage, la forme des tables et même réfléchi avec un parfumeur à une ambiance olfactive subtile à base de yuzu, tout pousser aussi loin que ma cuisine.»

Parce qu’évidemment en cuisine faire autrement reste son obsession. «A l’heure où je vous parle, je fais face à un tableau avec des idées à développer, ça va du rituel du plateau de fromages que je veux plus amusant, aux nouvelles interactions possibles entre la cuisine et le service.» Mais ce qui peut surprendre ou même déstabiliser chez Romain Paillerau reste son double ancrage. Avec un respect total pour la tradition, «un plat comme le canard au sang me fascine» et son envie sans cesse de trouver de nouvelles idées ici et ailleurs. Lui trotte encore ce ceviche de calmar dégusté dans un autre restaurant étoile cet été, il veut réinventer à son tour ce plat qui l’a impressionné. Mais on le comprend rapidement, la réflexion de Romain Paillerau ne s’arrête pas à ce qu’il mange. Il se veut innovant sur tous les points, comme pour répondre au gaspillage alimentaire, par exemple, il pense depuis des mois à offrir à tous ces clients un concentré de légumes avec une sorte de balsamique qu’ils peuvent emporter en quittant l’établissement. Qu’importe le flacon... 

Une onzième proposition de deux menus va arriver en décembre
Et pour cela, pas de routine, un menu pour chaque saison et une carte pour compléter le décor, pas du tout le genre de la maison, comme aux Mossettes, pas de carte et un menu qui change sans cesse: «En décembre, on présentera notre onzième proposition composée de deux menus. Il faut suivre la nature cette année, j’ai proposé pendant quatre semaines, un menu de chasse, pas six semaines.» Mais alors à un rythme intensif. Quand il prépare un vrai lièvre à la royale, il le cuit pendant 48 heures, le découpe avec le côté inversé du couteau, le coud: «Cette année, nous en avons préparé 28, au lieu des quatre ou cinq que je confectionnais dans une grande table à Paris; il y a intérêt à rester bien réveillé.» Mais à côté de la grande tradition, dans le même menu, il n’hésite pas à bousculer les codes avec un tartare de faisan, une glace au céleri-branche et à la réglisse. «Cela n'effraye pas les vrais épicuriens», s’amuse-t-il. D’autant que quand il envoie de la purée, il tient à exécuter celle d’un maître, Joël Robuchon, avec des rattes, de la purée desséchée, du beurre et lui la rehausse au lait. Alors qu’il n’a rien, mais alors vraiment rien d’une soupe au lait.

 

Un patrimoine immatériel de saveurs autour de corps vivants 

Il porte désormais une étoile verte sur sa veste bleu pétant, au rythme de la démarche chaloupée d’un shérif pacifiste qui défend le vin nature. Nicolas Darnauguilhem incarnait la fantaisie créative et cool de Genève. Et le voilà dans le cadre bucolique et apaisé de la Pinte des Mossettes, dans la campagne fribourgeoise où il prend la succession de Romain Paillerau.Il porte désormais une étoile verte sur sa veste bleu pétant, au rythme de la démarche chaloupée d’un shérif pacifiste qui défend le vin nature. Nicolas Darnauguilhem incarnait la fantaisie créative et cool de Genève. Et le voilà dans le cadre bucolique et apaisé de la Pinte des Mossettes, dans la campagne fribourgeoise où il prend la succession de Romain Paillerau.Nicolas Darnauguilhem vient de recevoir une des onze étoiles orientées vers le développement durable du guide Michelin et cela le réjouit: «Aux Mossettes, on se trouve en communion permanente entre le contact direct avec nos producteurs qui prennent le café avec nous et la nature à l’état sauvage.» 
Le chef ne craint pas le discours ethnologique. Il aime bien l’idée de construire un patrimoine immatériel de saveurs en considérant les produits comme des corps vivants. Il aime créer une intelligence commune avec le relief des identités de chacun et la construction de  voyages à une échelle plus courte. Il vient de créer un dessert à base de toutes les pommes qui traînent sur le chemin: «On va, on ramasse, pas besoin de chambre froide.» Il travaille les pommes, avec un coing confit aux baies de cynorhodon. Nicolas Darnauguilhem pense que l’on peut réussir à imposer une gastronomie verte en ville. Mais la quiétude, la contemplation de la campagne lui inspirent une onomatopée: «Les œufs, le lait sont là, boum». Cet automne, il va créer un nouveau potager de 100 mètres carrés. Le chef n’a jamais eu encore les honneurs d’une étoile Michelin plus traditionnelle: «On en sent pourtant le parfum, mais j’aime bien la verte qui fête la terre.»   aca