La traversée du petit village de Morlon, à côté de Bulle, donne le ton. «Non à la vague, non au tourisme de masse!», «Respectons nos rives!», lit-on sur de grandes bâches rouges, disposées le long de la route et sur certaines façades de maisons. Le projet contenant notamment une vague artificielle de surf sur le lac de la Gruyère divise le village de 600 habitants. Au bout de cette route de campagne, on retrouve Flurin Mathieu, initiateur du projet Goya Onda, serein et déterminé. 

«Lorsque je vois ces bâches, cela me motive d'autant plus. Je crois en ce projet. Nous savons qu'il ne peut pas être parfait. Toutefois, nous avons véritablement fait en sorte de l'ancrer dans la durabilité et de l'intégrer dans le paysage.» Voilà sept ans que ce passionné d'événementiel et de F&B travaille sur ce projet devisé à 33 millions de francs, avec son associé Arnaud Dorthe, ingénieur. Les deux Gruériens, passionnés de sport de glisse et concernés par le changement climatique, se sont donné pour objectif de créer «un lieu de détente et de divertissement écoresponsable», dans cet endroit très prisé des Fribour­geois à la belle saison. 

Projet mêlant sport et nature 

La vague
Le bassin de surf (300 mètres par 100 mètres) générera des vagues entre 10-15 cm et 2 mètres de haut. Il pourra accueillir jusqu'à 65 surfers de différents niveaux en même temps. Provenant du lac, l'eau sera traitée sans chimie. 

Site naturel 
Le projet prévoit deux bassins écologiques: 3500 m² pour la pouponnière à poissons et 14 500 m² pour le biotope à batraciens. A cela s'ajoute 1,6 km de pontons de promenade et 4 hectares de forêt autour de la digue.

70 000 surfeurs attendus sur neuf mois
33 mio CHF coût estimé du projet 
70 lits prévus dans la partie hôtelière 
18 000 m2 taille du bassin de surf 

Le site couvrira environ 10 hectares. Il se déclinera en trois plans d'eau, séparés du lac par une digue, elle-même délimitée par 4 hectares de forêt nouvellement plantée. «Notre projet couvrira 0,3% du lac, précise Flurin Mathieu. Nous nous sommes efforcés de réduire au maximum l'impact visuel sur le paysage.» Le bassin le plus grand accueillera les surfeurs, tandis que les deux autres, plus petits, serviront des objectifs écologiques: une pouponnière à poissons et un biotope pour batraciens. «Ces bassins écologiques visent à offrir refuge aux batraciens exposés au marnage et à réintroduire des espèces menacées. Nous n'étions pas tenu légalement de prévoir autant de compensations écologiques.»

Les porteurs du projet ont imaginé une zone aménagée avec des pontons en bois, soit l'équivalent de 1,6 kilomètre de promenade. Ce parcours sera ponctué par des panneaux explicatifs et de sensibilisation à la faune, à la flore et au climat. Le site abritera également «la plus grande place de jeux du canton», des équipements sportifs ainsi que des WC publics, des douches, des casiers et des emplacements pour barbecue. «Cela permettra aussi de canaliser l'activité dans cette zone de la plage, souvent malmenée les jours de grande affluence.»

Un site uniquement accessible en transports publics 
Et puis il y aura bien entendu la vague. Selon les projections, le futur site pourrait drainer environ 70'000 surfeurs sur les neuf mois d'exploitation. «Ce n'est pas le monde qui doit faire peur. L'important est de savoir comment on les guide. Nous les accueillerons avec des règles à respecter, étant donné le caractère naturel du lieu», détaille Flurin Mathieu. Il tient à préciser:  «Seule la vague sera payante. Le reste du site demeurera public, familial et gratuit. Ce qui change, c'est l'accès. Le site sera uniquement atteignable en transports publics, à pied ou à vélo. Nous voulons changer les habitudes de mobilité.»

Le bassin de surf pourra accueillir un maximum de 65 personnes par heure, en même temps et de différents niveaux. «Nous ne faisons pas une piscine, tient à préciser le porteur du projet. Nous ne bétonnons pas le fond du lac mais utilisons les sédiments, l'argile naturellement présents. L'eau sera traitée, mais sans chimie, et non chauffée.» 

Quant à la question énergétique, Goya Onda reprend la comparaison d'Alaïa Bay à Sion: l'infrastructure devrait consommer l'équivalent d'un télésiège six places. Flurin Mathieu précise: «Nous avons opté pour la technologie Endless Surf, très flexible et modulable, en fonction du nombre d'utilisateurs dans l'eau.» Pour comparaison, la vague d'Alaïa Bay, située dans la zone industrielle de Sion, qui fonctionne selon la technologie Wavegarden, peut accueillir jusqu'à 40 surfeurs simultanément et attire environ 100 000 surfeurs par an. 

Le projet Goya Onda comprend également une partie hôtelière qui contribuera à faire vivre le site à l'année. Celle-ci viendra remplacer l'actuel Bed & Breakfast. L'offre passera de 9 chambres à 70 lits répartis en 3 catégories: huit chambres doubles, une quarantaine de lits-capsules et quatre appartements. «Cela nous permet de toucher aussi les petits budgets, intéressés avant tout à venir surfer.» En construction bois, le bâtiment sera autonome énergétiquement. Le restaurant offrira une centaine de places. Un espace polyvalent pour l'accueil d'entraînements sportifs ou de réunions d'entreprise fait aussi partie du concept. Le projet créera environ 40 emplois. 

L'étude d'impact se trouve actuellement dans les mains des autorités. Goya Onda tente de rétablir le dialogue avec une partie de la population, opposée au projet et réunie dans l'association 1638. Soutenus par plusieurs organisations environnementales, les opposants jugent le projet «disproportionné» et craignent l'essor d'un tourisme de masse. Ils le trouvent «incompatible avec le statut de paysage d'importance cantonale» et «à contre-courant du plan climat cantonal». Une initiative cantonale a d'ailleurs été lancée. 

Un outil de diversification pour  le tourisme fribourgeois
En termes d'aménagement du territoire, le projet nécessite la création d'une zone spéciale. Il bénéficie du soutien du tourisme fribour­geois. L'Union fribour­geoise du tourisme (UFT) y voit un outil de diversification en termes de tourisme 4 saisons et de valorisation des rives du lac. «Nous défendons les projets qui amènent une plus-value et respectent les richesses naturelles de notre canton. Le projet Goya Onda répond objectivement à ces critères, relève Pierre-Alain Morard, directeur de l'UFT. C'est surtout la vague qui fait débat. Comme souvent lorsqu'on amène quelque chose de nouveau, on se heurte à des critiques.» Flurin Mathieu estime quant à lui que ce projet amènerait un rayonnement à la région. «Cela permettrait de se distinguer. Davantage qu'avec un énième accrobranche ou une piste de downhill.» 



Petit entretien avec Christophe Clivaz, professeur à l'Institut de géographie et de durabilité de l'UNIL  [IMG 2] 

Christophe Clivaz, les initiateurs de Goya Onda vous ont sollicités pour connaître votre avis. Vous avez même séjourné dans l'actuel B&B avec vos étudiants. Le projet vous semble-t-il cohérent d'un point de vue touristique et acceptable d'un point de vue écologique? 
Je ne veux pas me positionner pour ou contre car je ne connais pas suffisamment son ancrage dans le contexte régional. Mais c’est un projet intéressant qui montre les limites de la mise en œuvre du concept de durabilité. D’un côté, les porteurs du projet ont engagé une réflexion en profondeur afin d'essayer de minimiser l'impact écologique et les nuisances, de favoriser les retombées économiques régionales et d'inclure les acteurs locaux. De l’autre se pose la question de la pertinence même du projet par rapport à l’offre touristique du canton.

Une vague de surf peut-elle répondre aux défis du tourisme 4 saisons?
Le projet se présente aussi comme une réponse à la problématique de l'enneigement des Préalpes fribourgeoises et à la nécessité de diversifier l’offre dans un contexte de réchauffement climatique. Est-ce que le surf sur le lac pourrait remplacer l’importance des activités liées au ski? Je ne pense pas mais il y a certainement une clientèle qui est intéressée à apprendre ou à pratiquer cette activité en Suisse. La question qui se pose est de savoir si après s'être initiés sur des vagues artificielles, les nouveaux surfeurs décident d’aller expérimenter les vraies vagues de l'océan, ce qui implique souvent de devoir prendre l'avion. Cet effet rebond sur le climat est à prendre en considération.

Nouvelles infrastructures et tourisme «écoresponsable» peuvent-ils faire bon ménage? 
Ce n’est pas impossible, cela dépend de la manière dont une infrastructure est conçue ou si par exemple des compensations écologiques ou une meilleure accessibilité en transports publics sont prévues. Ce qui à ma connaissance est le cas avec le projet Goya Onda. Ceci dit, la question fondamentale est peut-être la suivante : faut-il encore de nouvelles infrastructures «lourdes»? Et dans le cas qui nous occupe, est-ce qu’il faut remplacer l’offre existante par une vague artificielle et un nouveau bâtiment ou plutôt l’améliorer?