Jusqu’à lundi, en Suisse, le guide Michelin aimait plutôt faire rentrer les établissements au compte-gouttes, comme pour faire apprécier cette rareté et se donner une aura de bible du domaine. On se souvient aussi d’une époque, il y a moins d’une dizaine d’années, où les étoiles se laissaient remettre dans une brasserie zurichoise cachée des regards, presque en secret. Mais pour cette édition 2022 qui vient d’être dévoilée, on remarque un changement de cap radical. Avec trente tables qui arrivent dans la catégorie une étoile. Couplée à une cérémonie très spectaculaire, diffusée en direct sur le site du guide et organisée en partenariat avec la prestigieuse école hôtelière de Lausanne. Et surtout une communication de Michelin désormais claire sur le nouveau record d’établissements étoilés dans le pays, plus proche de la stratégie historique de son principal concurrent GaultMillau, propriété du groupe Ringier. Cela peut s’expliquer par le changement de modèle économique du groupe, qui n’appartient plus uniquement à l’entreprise de pneus Michelin depuis début 2021, mais qui a lâché 60% d'actionnariats au géant français de l’édition Média-Participations. Désormais, les deux principaux guides du pays fonctionnent comme des entreprises médiatiques. Une bonne chose pour les restaurateurs qui deviennent les principaux bénéficiaires de cette stratégie de communication. 

Mais le guide rouge doit aussi faire attention de ne pas perdre son mystère et son élégance à force de vouloir jouer sur tous les tableaux. Lundi, à Lausanne, la maîtresse de cérémonie, Simone van Trier, fait monter Gérard Rabaey, véritable légende de la gastronomie suisse. Il raconte dans les moindres détails sa consécration avec trois étoiles Michelin le 26 novembre 1997. Ses jambes flageolantes, sa voix blanche, à l’attente du rendez-vous mystérieux fixé par le patron d’alors du guide et les cinquante roses que lui envoie le lendemain le grand chef de Crissier Frédy Girardet. Beau récit mais cela se gâte quand Gérard Rabaey veut commencer à raconter la tristesse avec laquelle il a dû rendre ses étoiles à sa retraite en 2010. Simone van Trier lui coupe brutalement la parole. Voilà peut-être les limites du guide Michelin qui veut communiquer à outrance sans écouter toutes les histoires de vie d’un chef de cuisine ni même ses moments de douleur. On comprend aussi la grandeur de ces métiers passion en expliquant le dévouement total des chefs pour les professions et en dégustant leurs plats.