Olivier Jean, au Woodward, à Genève; Benoît Carcenat au Valrose, à Rougemont, et Franck Pelux, au Lausanne Palace, viennent de recevoir deux étoiles Michelin. Ils mettent la gastronomie des grands hôtels romands à l’honneur. Mais Olivier Jean, solide gaillard de 37 ans, fut le plus touché, contenant mal l’émotion de toute une vie. Le lendemain au téléphone, il peine encore à s’en remettre et raconte: «Mes gars ont crié, je ne comprenais pas ce qui arrivait en montant sur scène, je trouvais cela magique.» Puis d’enchaîner sur sa vocation: «Je sais que je veux devenir chef de cuisine depuis l’âge de sept ans, cela inquiétait ma maman. J’ai commencé par la boulangerie, puis je suis passé par le lycée hôtelier de Tain l’Hermitage et l’Ecole hôtelière de Grenoble. Des milliers de personnes veulent devenir chef. On doit apprendre avec patience ce métier dur, en passant par les plus grandes maisons.» Un matricule qui lui a permis de voyager dans onze pays différents.

Il obtient sa première étoile en 2018, pour l’Atelier Robuchon, à Taipei, Taïwan, et l’autre l’an dernier, après une année d’ouverture du restaurant à Genève. L’Atelier du Woodward devient le seul doublement étoilé en Europe avec ceux de Taipei et de Miami. Et comment aurait réagi le maître Joël Robuchon, qui exigeait trois jours pour la maturation d’un jus à l’ancienne, à l’obtention de la deuxième étoile: «Par un gros câlin et une petite baffe», sourit Olivier Jean.

Je sais que je veux devenir chef de cuisine depuis l'âge de sept ans.
Olivier Jean, Chef de l'Atelier Robuchon et du Jardinier au Woodward

Une brigade de douze avec deux adjoints
Depuis douze ans, il travaille pour les Ateliers: «J’ai grandi avec, j’ose aujourd’hui exprimer ma cuisine pleinement.» Bien qu’il propose trente plats salés et sucrés à la carte, il aime parler de son velouté de carottes des Potagers de Gaïa, à Hermance, composé de carvi, de basilic thaï pour l’acidité et d'une émulsion de scarmoza, la mozzarella fumée. «Un plat simple, on s’amuse avec les couleurs.» En Suisse, il trouve aussi la qualité du ris de veau magnifique: «Une jolie pomme rosée et rôtie». Il tient à parler de sa brigade de douze personnes, avec ses deux adjoints Simon Quétineau et Clément Martzel, mais il signale aussi l’élégance en salle de Vitalie Rusu, qui permet de se sentir reçu et sait recevoir. Il tient à rappeler que Michelin distingue un restaurant, pas seulement un chef: «Sinon la tête du chef gonfle pour rien.» L’Atelier dispose de 36 places directement au comptoir devant une cuisine ouverte et de 34 places sur des tables hautes.

Le recrutement des équipes, un sujet central
Olivier Jean pense que pour comprendre le fonctionnement d’un restaurant gastronomique, il faut inverser la pyramide: «En positionnant le plongeur au sommet, puis le commis, le chef de partie, le sous-chef. Et enfin le chef, qui pense les recettes, fédère les équipes. Mais il faut une personne pour cuire la carotte et dresser le plat…» Olivier Jean se réjouit de l’évolution du métier vers plus d’humain, il pense que le challenge majeur des années d’après la crise sanitaire reste le recrutement des équipes: «Les émissions de télévision aident les jeunes à choisir le métier, mais c'est à nous de ne pas les décourager après quelques mois. Il faut qu’ils viennent voir, essayent, et sur ce point-là aussi la notoriété d’une deuxième étoile Michelin peut nous aider.»

Au moment d’enfiler sa veste de double étoilé, il songe à Patrick Henriroux, chef doublement étoilé de La Pyramide en Isère avec qui il a travaillé en 2002 et qui fut toujours d’un grand soutien. «J’avais envie de lui dire: c’est mon tour chef, mais lui a su la garder pendant vingt ans.» Et pour finir, avec quel plat aimerait-il célébrer cette distinction... «Sans hésiter, un steak frites avec une sauce béarnaise.»


Analyse

Mystérieuse différence entre GaultMillau et Michelin à Genève

Les différences entre les deux guides gastronomiques du pays, GaultMillau et Michelin, ne sont historiquement pas manifestes. Au point même que fréquemment un cuisinier plébiscité par le guide jaune comme les deux derniers chefs de l’année Benoît Carcenat et Silvio Germann obtient souvent rapidement la reconnaissance du guide rouge avec deux étoiles Michelin. Mais cette année, les deux guides, qui sortaient à une semaine d'écart, expriment leur différence à Genève.

Michelin a décidé de retirer une étoile à Châteauvieux, acquise en 1994 par Philippe Chevrier. Une cuisine de très grande tenue assurée par ce dernier et le fidèle Damien Coche, qui surprenait certains journalistes alémaniques par sa rigueur hors du temps. Mais qui ne décevait jamais à l’instar de notre dernier repas magistral au printemps 2022. D’ailleurs Michelin ne motive pas son retrait, on peut toujours lire ce commentaire sur son site: «Châteauvieux décline une cuisine française tout en finesse, tour à tour moderne et classique, basée sur des produits remarquables et parcourue de goûts limpides.» GaultMillau ne se contente pas cette année de confirmer avec Châteauvieux: «Une table exceptionnelle qui maintient sa note à 19/20 depuis des années», mais va plus loin en attribuant à son emblématique maître de salle Esteban Valle Trujillo son prix de l’Hôte de l’année. Avec ce commentaire élogieux: «Car, même si la note ne concerne que la cuisine, Esteban Valle Trujillo n’y est pas étranger. Animateur né, ce volubile et joyeux virtuose du service a en effet fait des découpes en salle et des flambages sa spécialité.» Philippe Chevrier devient le seul chef à 19 points GaultMillau à ne pas comptabiliser deux ou trois étoiles Michelin. Il rejoint un autre exemple historique, celui de Bernard Ravet, qui totalisait 19 points au GaultMillau, sans jamais atteindre les deux étoiles Michelin.

Mais Michelin ne s’attaque pas par sa décision à Châteauvieux à une forme de classicisme, puisqu’il plébiscite une table reconnue pour sa fidélité à la grande cuisine française, en attribuant deux étoiles à l’Atelier de Joël Robuchon, à l’Hôtel Woodward. Préparés de main de maître par Olivier Jean, nos différents repas chez ce chef nous persuadent de son talent hors pair. Un Atelier que le GaultMillau laisse depuis deux éditions à 15 points. Historiquement, GaultMillau pourtant se montrait réceptif à la gastronomie de palace genevois en plaçant Dominique Gauthier au Beau-Rivage et Michel Roth au Président Wilson, à 18 points mérités, alors qu’ils restaient figés à une étoile.

Le mystère des guides demeure intrigant et impénétrable, cela contribue à leur charme.