Alain Verzeroli vient de passer une semaine à l’Hôtel The Woodward de Genève. Afin de transmettre les principes de la nouvelle carte de son concept Le Jardinier à son ami chef Olivier Jean, responsable en Suisse de cette cuisine de palace aux codes et aux tarifs décomplexés. Un concept qui cultive aussi l’ardente et actuelle envie de mettre le végétal au centre du menu, en phase avec les ressources d’un terroir, et qui compte 15 points au guide GaultMillau Suisse. Et cela étincelle outre-Atlantique, à New York et à Miami, où le concept affiche une étoile Michelin et aucune à Houston où le restaurant prend ses aises dans le somptueux Museum of Fine Arts: «Le guide rouge ne couvre pas encore le Texas, même si les bons restaurants se multiplient entre Dallas et Austin», sourit le chef à succès. 

Originaire de Paris et du Vietnam, il fut souvent au service des plus grands, surtout de Joël Robuchon. Le parcours de quarante ans de ce chef discret et modeste impressionne. Il ne se tient jamais bien loin d’établissements triplement étoilés comme le Château de Robuchon, à Tokyo, où il décrocha le Graal et le conserva pendant onze ans. A Genève, Alain Verzeroli apprécie une vraie notion de terroir et une proximité avec le lac et la forêt, inatteignables à Paris ou à Midtown Manhattan, New York, où il réside aujourd’hui.


La cuisine nippone exige de la profondeur. Un assistant peut attendre dix ans avant de faire une omelette.


Mais au lieu de s’étendre sur son palmarès, il préfère disserter sur la complexité des saveurs du Japon où ses sens se transformèrent pendant dix-huit ans de sa vie: «Ce rapport très intérieur à la sobriété qui a tant séduit Joël Robuchon dès son premier voyage au Japon et la folle diversité des produits hyper-frais de la mer et de la terre. A l’époque déjà, pas d’élevage intensif, l’importance donnée aux petits producteurs, le respect des saisons d’un pays qui célèbre de façon si intense les cerisiers.» 

Un premier repas gastro à 18 ans qui change sa vie
Alain Verzeroli peine à parler d’une saveur particulière au Japon, s’aventure tout de même sur l’indéfinissable sansai: «Une petite pousse amère, un bulbe vert de dix centimètres que l’on grille ou sert juste comme ça, blanchi», raconte-t-il avec douceur. Le Japon apprend aussi à Alain Verzeroli la patience, la fidélité: «En Europe, un jeune cuisinier reste avec vous six mois ou une année, puis il veut voir autre chose, bouger. Alors que la culture culinaire nippone exige de la profondeur, un assistant peut attendre dix ans avant de réaliser une omelette dans un grand restaurant, ses 200 premières tentatives doivent le guider. Il doit emprunter le chemin, le do des arts martiaux pour pouvoir un jour prétendre à une quête de la perfection.»

Son ami chef genevois Olivier Jean, compagnon de quelques aventures avec Joël Robuchon en Asie, le décrit comme un sage qui ne s’énerve jamais, un maître Jedi qui aurait troquer son sabre laser contre un palais, une mémoire du goût hors du commun: «Je pèle sans doute plus rapidement quatorze kilos de carottes que lui, mais j’aimerais tant posséder un palais comparable», ironise-t-il. Et pourtant tout cela ne coule pas de source et ne provient pas d’un héritage familial. A l’âge de 18 ans, Alain Verzeroli étudie l’économie à l’université, à Paris. Il ne sait pas ce que c'est que d'être client d'un restaurant gastronomique. Deux de ses copains lui demandent de choisir un établissement pour son anniversaire, il trouve presque par hasard celui d’Alain Rayé, et ce repas va changer littéralement le cours de sa vie. 

«Cela a ouvert en moi les clefs d’un nouveau monde, je ne comprenais pas ce qui se passait, mais le voyage davantage encore qu’un seul plat, tout me bouleversait», explique-t-il encore aujourd’hui avec émotion. Il parvient alors à vaincre sa timidité et à rédiger une lettre destinée à Alain Rayé pour lui demander la possibilité d’effectuer un stage d’un mois dans ses cuisines. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais elle marque un véritable tournant dans sa vie, car le jeune stagiaire annonce à ses parents qu’il arrête ses études d’économie pour commencer l’école de cuisine Ferrandi. Ils lui font confiance. «Evidemment, pendant ce premier stage, je me contentais de peler des fruits, de découper des herbes, de contempler la maîtrise du feu, mais quelque chose de nouveau et de très mystérieux se passait en moi, à travers le plaisir gustatif.»

Comme sous-chef d'Alain Passard, il ne s'interdit rien
Alain Verzeroli passe ensuite par les plus prestigieuses cuisines de France, comme celles du jeune Guy Savoy, «un personnage généreux et entier au service de plats à la lisibilité immédiate», et devient même sous-chef chez Alain Passard. Cela ouvre en lui un nouveau monde, même si le maître trois étoiles de l’Arpège n’excellait pas encore dans sa maîtrise totale du légume. «J’ai connu Alain Passard à l’époque de sa virtuosité comme rôtisseur et encore très influencé par sa pratique du parachutisme, mais ce qui me frappait déjà, c’était sa fulgurance créatrice. On ne s’interdisait rien.» 

Alain Verzeroli évoque le côté très cérébral d’Alain Passard: «Il me disait: "Alain, tu dois comprendre que l’os conduit la chaleur." J’aimais son côté artiste toujours prêt à réaliser des collages, on pouvait passer des heures à laisser rôtir doucement une boule de céleri sur un côté.» Puis Alain Verzeroli vogue vers d’autres aventures parisiennes comme le Relais du Parc. A cette époque, il ne s’imagine pas travailler auprès de Joël Robuchon. «Je ne pensais pas être à la hauteur de cette cuisine hyper- technique, très précise faite de demi-pointage.» 

Il aime manger un crabe juste tiède et des légumes de saison
Pourtant, plusieurs prestigieux lieutenants du maître attirent son attention sur le travail d’Alain Verzeroli. Joël Robuchon goûte sa cuisine et propose de l’engager au Jamin. Il accepte et commence un long parcours de plus de vingt ans aux côtés de ce mentor: «Un homme exigeant, jamais satisfait, avare de compliments, mais qui m’a permis d’évoluer. Je l'ai vu devenir le précurseur de la cuisine sans chichis.»

Alain Verzeroli parle de lui à travers les autres, mais avant de le quitter, on voudrait savoir ce qu’il aime manger. «Un crabe juste tiède agrémenté d’un légume de saison. Je ne comprends pas les amis qui craignent de m’inviter à manger. Alors qu’une cuisine familiale généreuse me repose et m’enchante.»