L’arrivée du groupe Jumeirah Hotels & Resorts avec l’acquisition de l’Hôtel Le Richemond, à Genève, éveille bien des curiosités depuis l’annonce de son rachat en février dernier. Le groupe de Dubaï, qui possède 26 établissements et 85 restaurants affiliés à travers le monde, vient d’organiser une table ronde avec la presse à l'Hôtel d'Angleterre. Afin de se présenter, prendre le pouls du marché genevois, rassurer sur ses intentions et annoncer qu’il prendra le temps d’arriver sereinement pour une ouverture prévue début 2025.

Au Richemond, la façade devrait être préservée, les changements concerneront le design intérieur et pourraient se révéler d’envergure. Pour l’instant, le groupe a lancé un large appel à projets, puis il retiendra trois finalistes, les premiers travaux intérieurs devraient commencer début 2024. Pour l’heure, le groupe ne souhaite pas commenter les montants qu’il souhaite investir dans la Cité de Calvin. Jumeirah se définit toujours comme le champion des Emirats arabes unis, en détenant 50% des hôtels de son territoire. Il doit communiquer sur les valeurs locales, ce que Peter Roth, directeur du Madinat Jumeirah et de l’Al Qasr à Dubaï, décrit ainsi: «Nos hôtels offrent des ambiances uniques de contes des mille et une nuits avec du respect, de la tolérance, une collection unique d’art arabe, mais aussi un spa gigantesque avec 70 traitements différents et une approche holistique.»

Nos hôtels offrent des ambiances de contes des mille et une nuits.
Peter Roth, Directeur du Madinat Jumeirah et de l'Al Qasr, à Dubaï

Le groupe appartenant directement à Mohammed ben Rachid Al Maktoum, émir de Dubaï et dirigeant des Emirats arabes unis, tient aussi à montrer l’excellence de son expérience à l’international, la tâche principale du vice-président Jonas Malheiro, qui insiste sur la rénovation totale de la Carlton Tower, à Londres, sur 18 mois, avec le respect total de la façade mais «un tout nouveau travail sur la marque, avec notamment un fitness sur le toit avec une vue à 360 degrés sur le quartier de Myfair». Selon un spécialiste romand de l’hôtellerie de luxe: «Le groupe bénéfice d’un grand prestige pour ses établissements aux Emirats arabe unis, mais cherche à conquérir les marchés européen et américain, où l’identité de ses établissements reste encore floue.»

L'hôtel se nommera Jumeirah Le Richemond
Le groupe Jumeirah était représenté par trois éminentes, mais récentes figures de ce groupe créé en 1997: Jonas Malheiro, vice-président, achats et marketing Europe et Amériques, Giovanni Beretta, vice-président régional du groupe et directeur de l’emblématique Burj Al Arab, et Peter Roth, Regional Vice President, Madinat Jumeirah. Jonas Malheiro y travaille depuis quatre ans et demi, après plus de onze ans passés auprès du groupe Belmond, alors que Giovanni Beretta a rejoint le groupe il y a un an et cinq mois, après plus de 30 ans d’expérience pour des marques emblématiques comme Four Seasons, Rosewood ou Intercontiental. Peter Roth a également intégré le groupe il y a un an et cinq mois, après une longue expérience chez Hyatt et Four Seasons. Intéressant de voir que la délégation compte deux anciens de Four Seasons, puisque beaucoup d’observateurs considèrent le Four Seasons Hôtel des Bergues comme le futur principal concurrent du Richemond dans son positionnement annoncé d’ultra-luxe. Comme les Bergues, mais contrairement à l’Hôtel du Rhône rebaptisé Mandarin Oriental Geneva, le nouvel établissement se nommera Jumeirah Le Richemond. «Le nom reste, la marque doit le transcender», commente Giovanni Beretta. Ce nouvel ancrage en Suisse ne doit pourtant rien au hasard: «Le marché suisse représente 10 à 15% de notre clientèle à Dubaï grâce aux excellentes connections aéroportuaires entre les deux pays», précise Jonas Malheiro.

Du trio, seul Giovanni Beretta connaît bien la Suisse, en tant qu’ancien étudiant de l’Ecole hôtelière de Lausanne, dont il fut capitaine de l’équipe de foot, puis en tant que manager du restaurant la Mañana, à Genève, pendant une année. L’Italien, qui se définit comme un fou furieux de la Suisse, qui aime passer des vacances en Engadine et adore le goût du Chasselas, se veut porteur d’un discours rassurant: «Le Richemond doit rester l’hôtel de passions qu’il a incarné avec la famille Armleder. On peut amener un savoir-faire du Moyen-Orient.» Et il avoue en souriant que diriger Le Richemond représenterait pour lui un honneur, avant de nuancer: «Si je dis cela à Dubaï, les gens me prendront pour un fou, je suis à la tête du Burj Al Arab, monument iconique dans le monde entier qui propose 130 suites dont la plus petite mesure 170 mètres carrés et la plus grande 900 mètres carrés, on peut y jouer au football...» Mais sa tendresse pour Genève et sa connaissance de la Suisse romande sonnent justes, il faudra assurément au groupe une personnalité de ce calibre.

A la question posée par le trio du Jumeirah aux journalistes lors de la table ronde «Comment définiriez-vous Le Richemond?», deux réponses fusent: «l’hôtel des Genevois» et «l’hôtel des artistes comme l’auteure Colette.»


«Nous trouvons un bel ancrage local et international»

Le directeur du Royal Savoy, à Lausanne, explique la stratégie à long terme de son propriétaire Katara Hospitality. Ainsi que les différences de culture entre l'Europe et le Moyen-Orient dans le business. Il se réjouit du travail accompli pour repositionner l'hôtel dans le segment du luxe.

Alain Kropf, vous êtes revenu à Lausanne en 2014 pour rouvrir le Royal Savoy pour Katara Hospitality et vous dirigez l'hôtel depuis... Comment avez-vous vécu toute cette évolution?
Il s'agissait de repositionner un hôtel à rénover, important dans l'histoire des Lausannois, mais longtemps fermé, en cinq étoiles. Ceci aux termes d'investissements importants de 125 millions. Notre propriétaire, Katara Hospitality, développe une vision à très long terme pour cet établissement et l'ensemble de la Bürgenstock Collection, en Suisse. Nous avons aussi dû affronter la crise du covid, donc je pense qu'aujourd'hui, nous pouvons vraiment parler d'un très bel ancrage au niveau local comme au niveau international.

Vous devez travailler sur ces deux dimensions...
Nous développons deux stratégies différentes. Au niveau local, on devait retrouver une clientèle. Ce que nous continuons à développer à travers de nouvelles offres, comme les Accords parfaits, une série musicale en collaboration avec Vevey Spring Classic, ou les Rencontres du Royal, qui se poursuivront l'an prochain avec Christophe Dubi, directeur exécutif du CIO. Au niveau international, notre équipe de 17 personnes travaille sur de nombreux marchés en collaboration avec Suisse Tourisme.

Comme nous le disait René-Ojas Woltering, professeur à l'Ecole hôtelière de Lausanne, considérez-vous que le Royal Savoy est devenu un nouveau flagship pour le marché moyen-oriental, à Lausanne?
Je n'aurais pas la prétention de parler de flagship. Mais évidemment, le fait d'avoir des propriétaires du Qatar nous donne une belle ouverture sur ces marchés. Je pense aussi que la nouvelle génération de trentenaires veut découvrir de nouvelles villes et ne s'oriente plus automatiquement à Genève comme celle de leurs parents. Elle vient découvrir Lausanne. Mais la majorité de nos marchés loisirs restent d'abord suisses, puis américains et européens.

Vous êtes Vaudois et disposez d'un grand bagage de l'hôtellerie dans les pays du Golfe. Votre profil était important pour Katara Hospitality?
Nos investisseurs voulaient travailler avec une personnalité idéalement du cru, et notre rencontre s'est faite au bon moment. Je pense qu'il s'agissait d'un choix intelligent et que la réalité aurait peut-être été plus complexe pour un Parisien ou un Suédois. Le fait d'avoir ouvert le Beach Rotana Hotel, à Abou Dabi, et d'avoir collaboré pendant douze ans dans des pays du Golfe avec des propriétaires arabes étaient aussi un atout.

On travaille différemment avec un propriétaire du Moyen-Orient qu'avec un propriétaire européen...
Il est certain qu'un propriétaire du Golfe prend plus de temps avant de donner sa confiance et que les liens sont davantage hiérarchisés. Mais ensuite, un lien très important, un respect peut s'établir, et lorsque l'on voyage dans de nombreux pays, on apprend de nos différences.

Lausanne est-elle une destination facile à vendre?
On ne l'associe plus uniquement au MICE, comme par le passé, grâce au travail de Lausanne Tourisme. On peut désormais évoquer sur le marché loisirs notre 5 étoiles tourné vers le lac, voisin de Lavaux, du château de Chillon et de Plateforme 10.