Le Beau-Rivage Palace de Lausanne vient de célébrer les dix ans d'un mariage gastronomique très intéressant avec Anne-Sophie Pic. Profitable en termes d’image, de marketing, de positionnement grand public, de retombées commerciales et de cote des guides (2 étoiles Michelin et 18 points au GaultMillau). Un succès indéniable! Le Mandarin Oriental de Genève suit la voie ouverte par Lausanne depuis mars, avec un concept plus urbain moins ambitieux gastronomiquement, mais là aussi avec une grande reconnaissance de la clientèle et des médias qui tous célèbrent l’arrivée du chef péruvien Gastón Accurio, avec Yakumanka. On peut parler également de la réussite plus discrète mais réelle, de la brasserie de Marc Häberlin, au Royal Savoy, à Lausanne. On se réjouit sincèrement de ces beaux exemples de succès pour l’hôtellerie romande, tant cela ne fut pas toujours une évidence. On peut évoquer les cas plus contrastés et moins couronnés de succès au début des années 2000 de Paul Bocuse, au Mandarin Oriental ou des Frères Pourcel, à l’East West, à Genève. Les grandes villes romandes n’impliquent pas immédiatement une reconnaissance pour des chefs de renommée internationale.

Il faut juste souhaiter que ces ambassadeurs de la cuisine mondiale qui construisent intelligemment des marques de prestige, comparables aux grands crus classés Bordelais ou à certains leaders de l’horlogerie helvétiques, fassent profiter de leur aura l’ensemble du paysage des grandes tables. Qu’ils n’éclipsent pas les autres acteurs de la gastronomie romande par leur côté glamour et leur plan de communication travaillé à l’international. Ce qui fait la richesse de notre petit pays romand reste la diversité incroyable de l’offre et la qualité unique d’établissements prestigieux en mains des chefs propriétaires. En novembre à Vouvry, Martial Brandle fermera définitivement une belle adresse qu’il exploite depuis 42 ans, après avoir été formé dans l’hôtellerie. Aucun accord trouvé avec un repreneur met fin à l’histoire. Carlo Crisci cherche aussi une solution pour le Cerf qu’il a amené au firmament de la gastronomie suisse. La question se posera bientôt pour Claude Frôté, au Bocca, à Saint-Blaise et son travail depuis plus de trente ans sur le goût. Georges Wenger a finalement trouvé une belle solution avec Jérémy Desbraux, au Noirmont, mais il fut longtemps inquiet pour l’avenir du restaurant. Une peur légitime générale dans le milieu se fait ­sentir.

Nos palais de gourmands restent marqués par des expériences formatrices chez des chefs du coin. On a pu les rencontrer, les aimer, leur serrer la main et même parfois les prendre dans nos bras. Anne-Sophie Pic et Gastón Accurio construisent leur aura de stars et d’ambassadeurs avec talent, mais plus à distance, avec moins d’empathie et de conscience réelle du patrimoine romand. Alors on se doit d’attirer l’attention sur une forme d’uniformisation et continuer à se battre pour ces tables qui expriment leur différence, quels que soient leurs moyens.