La profession d'agent de voyage disparaîtra-t-elle à terme dans la société en réseau? Non. Premièrement, parce que le noyau de son offre, le voyage, ne se digitalisera pas. Même au 22e siècle, nous nous rendrons encore physiquement dans des destinations pour nos vacances. Et deuxièmement, si ce déplacement physique s’y fait pour la première fois, il nous expose à un certain risque lié à l'ignorance des réalités sur place. Ainsi, nous continuerons probablement à chercher conseil auprès d'un professionnel. Or, le métier de ce dernier aura d'ici là considérablement changé.

Comme pour toutes les professions, la digitalisation a déjà décomposé la chaîne de valeur des agences de voyage et radicalement transformé, voire automatisé, certaines prestations. De toute évidence, les sites Web des agences ont remplacé les catalogues papier. L'espace limité des présentoirs de l'agence a cédé sa place à l'espace virtuel, qui est quant à lui illimité. Ceci nous a menés à une diversité tout aussi illimitée de prestations de voyage dont une grande partie nous était auparavant cachée, car pas rentable en raison d'une demande trop marginale.

La réservation des prestations qui constituent un voyage a été banalisée à tel point que le client peut la faire sans l'agent de voyage. Les plateformes OTA se servent de leur big data pour cibler avec précision les besoins des clients et leur proposer une offre personnalisée. Et avec l'intelligence artificielle – notamment les techniques de deep learning – nous sommes en train de passer de la personnalisation de masse à une personnalisation massive des voyages. Si l’on en croit les prévisions de Richard et Daniel Susskind dans leur brillant livre «The future of the professions», il est évident que dans un futur proche, des agents virtuels performeront mieux que les êtres humains. Le père et le fils Susskind illustrent ces mécanismes de décomposition et de substitution des professions avec la production de hot dogs – une métaphore empruntée au prix Nobel de l'économie Paul Krugman. La production d'un hot dog peut être décomposée en différentes étapes: cuire la saucisse, chauffer le pain et assembler les deux. Les auteurs discutent ensuite du remplacement successif de ces étapes de production par des machines. Ils questionnent l'impact sur les autres étapes, l'efficacité de la production, la réduction des coûts, les prix et la satisfaction de la demande latente. L'analyse de cette métaphore dépasserait largement l'espace qui m'est dédié pour cette chronique.

Mais de toute évidence, la prestation d'un agent de voyage peut elle aussi être décomposée en plusieurs étapes. Par exemple en information, réservation et voyage. Et la digitalisation a déjà substitué une partie du travail manuel pour chacune de ces phases. De même que pour la production de hot dogs, le conseil du voyageur ne résistera logiquement pas aux cycles de décomposition et d'automatisation. Par analogie à un automate à hot dogs, on peut en théorie facilement imaginer une agence de voyage, un office de tourisme ou une réception d'hôtel totalement virtualisés.

Or, ce schéma de pensée néglige la dernière composante de la prestation touristique, sa phase la plus importante: la consommation sur place du bien vendu qui revient dans le cas du hot dog et du voyage à une expérience physique réelle. Je peux certes virtuellement mordre dans un hot dog ou virtuellement voyager avec Google Earth. Mais les choses deviennent intéressantes avec l'expérience réelle. A qui m'adresserai-je si le pain du hot dog est cramé? Qui réglera ensuite la machine à hot dogs ? Et par analogie: à qui m'adresserai-je si je crève un pneu durant mon safari? Ou si le robot de chambre a omis de mettre un duvet sur le lit? Ce ne sont que quelques exemples où l'être humain préférera encore se fier à un être humain. Peu importe donc jusqu'à quel degré nous décomposerons et automatiserons la profession d'agent de voyage: tôt ou tard, nous arriverons à une situation où nous préférerons un service humain à un service automatisé. C'est une question d'empathie et de responsabilité. Ainsi, la digitalisation transformera considérablement le métier d'agent de voyage, mais ce n'est pas pour autant que la profession disparaîtra. L'avenir réside dans la symbiose de la performance technologique et du service humain. Ceci me paraît valable pour toutes les professions du tourisme.


Expert en tourisme, Thomas Steiner enseigne à la HES-SO Valais Wallis. Il est directeur d’Immotour sàrl, président de Vercorin Tourisme ainsi que membre du comité de Suisse Tourisme et du jury du Milestone.