On commence à percevoir que la pandémie actuelle impacte plus fortement qu’attendu le monde du travail. Non seulement à cause du ralentissement de l’activité ou de la distanciation (le télétravail, les séances en digital) mais également par la remise en cause du cadre et des conditions de travail régnant dans l’entreprise. En effet, de nombreux collaborateurs chez eux, hors de leur cadre professionnel habituel, ont commencé à se poser des questions sur l’adéquation entre leurs aspirations profondes et leur vécu dans l’entreprise. Cette introspection a abouti pour certains d’entre eux à un changement de voie, une reconversion ou un engagement dans une activité indépendante, en d’autres termes une prise de risque assumée. Pour d’autres, tout en restant dans l’entreprise, les aspects de leur travail touchant leur santé tant physique que mentale et leur sécurité ont pris de l’importance. De même, les inégalités de sexe et de genre ainsi que les comportements inadéquats ou irrespectueux sont perçus comme intolérables. En corrélation avec les mouvements sociétaux actuels de dénonciation qui ont débuté dans des grandes entreprises, la parole s’est libérée aussi parmi les employés des PME.

La branche touristique n’est pas épargnée par ces phénomènes. La désertion des saisonniers, à la mer comme à la montagne, témoigne de la volonté de ces collaborateurs de disposer de conditions de travail plus sécurisées, avec des horaires plus cadrés et moins lourds ainsi que des conditions d’hébergement satisfaisantes. Il ne s’agit donc pas uniquement de niveau de salaire, même si des augmentations peuvent tout de même être très incitatives.

A titre d’exemple, le groupe Accor en Australie recrute actuellement ses 1200 employés manquants en proposant des avantages en congés personnalisés, des opportunités de développement de carrière et de la polyvalence dans les postes de travail. Egalement dans les pays germanophones, des projets sont en cours pour introduire des semaines de 4 jours et des réductions d’horaires de 40 à 36 heures. En France aussi, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie propose d’augmenter les salaires, d’en accorder un 13e et de proposer un week-end de repos mensuel.

Enfin, un autre aspect m’a interpellée: le temps du confinement ou du ralentissement de l’activité aurait dû être propice à stimuler la formation continue. Il n’en est rien si on en juge par l’expérience vécue en Valais ces deux dernières années par le programme Ritzy de formation continue dans le tourisme. Malgré un marketing soutenu, rares ont été les employeurs qui ont envoyé leurs collaborateurs en formation. Eux-mêmes non plus n’ont pas cherché à compléter leurs compétences, comme ils le faisaient antérieurement.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le tourisme redémarrera certes avec la fin espérée de la pandémie mais tout autant si les entreprises touristiques prennent conscience que les conditions de travail qu’elles offrent à leurs employés doivent être revues, améliorées, tant sur le plan salarial et organisationnel que sur leur culture de respect des différences et de justice sociale.


Marie-Françoise Perruchoud-Massy est économiste et chercheuse à la HES-SO Valais, elle a notamment dirigé l'Institut Economie et Tourisme. Sa recherche porte essentiellement sur le tourisme culturel et la création de produits touristiques.