La soirée promet d’être intimiste. Derrière un épais rideau noir, une salle plongée dans l’obscurité et une longue tablée de 14 couverts. Les assiettes se dessinent en contraste, blanches sur fond noir. Cet espace privatif de l’Hôtellerie de Châtonneyre, à Corsier- sur-Vevey, accueille désormais des repas immersifs. Du jeudi au samedi soir, sur réservation, cette salle de réunion se transforme en spectacle sons et lumières, rehaussé d’un menu bistronomique du chef Eugen Ligonnet (14 points GaultMillau).
Châtonneyre
Lieu: Hôtellerie de Châtonneyre, à Corseaux
Classification: 3 étoiles
Hôtel: 17 chambres et suites, salles de séminaires et banquets jusqu’à 300 personnes
Direction: Nicolas Ming, depuis 2021Chef du restaurant: Eugen Ligonnet, 14 points GM
Repas immersif: depuis le 9 octobre, espace privatif pour 8 à 14 personnes. Menu gastronomique en cinq plats. Dès 225 CHF par personne.
Coût de l’opération: concept artistique financé par Thematis et Lumen Creations, une commission est prélevée sur les repas. L’hôtel-restaurant fournit la salle, la brigade et le service.
«Nous avons repris la gestion de cet hôtel-restaurant en 2021. Nous cherchions à optimiser l’affectation de certaines salles et à dynamiser l’établissement», explique Nicolas Ming, directeur de l’établissement 3 étoiles. De leur côté, Thematis, agence de muséographie et de scénographie bien connue en Suisse romande, et Lumen Creations, spécialiste en installations digitales et spectacles vivants, rêvaient de «magnifier la gastronomie» avec une installation sonore et lumineuse.
L’idée séduit l’hôtelier Nicolas Ming. Le trio s’associe en début d’année afin de surfer sur cette tendance mondiale des repas immersifs. Tout en soulignant leur différence: «Nous proposons une expérience ancrée dans notre région et réalisée par des professionnels suisses», souligne l’hôtelier. Pascal Jaton, directeur de Thematis, renchérit: «Nous avons pu expérimenter ici et là des repas certes très spectaculaires, mais qui selon moi, manquaient de contenu. D’où notre volonté de raconter une histoire, un terroir et de permettre aux convives d’en apprendre davantage sur Lavaux.»
Un spectacle amené à évoluer et à voyager
La soirée se déroule en six tableaux, projetés sur la table grâce à un beamer laser, accompagné d’explications, de sons et de musique d’ambiance. Chaque plat est introduit par une séquence de vidéo mapping. On navigue sur le Léman, fait un détour par la Fête des vignerons, croise des artistes comme Victor Hugo, Alexandre Dumas et Jean-Jacques Rousseau. Enfin, on embarque dans un univers cinématographique monochrome – clin d’œil à Charlie Chaplin – avant de prendre de la hauteur aux côtés de l’astronaute Claude Nicollier. «Tout le défi consistait à trouver le bon mélange entre le spectacle, le spectaculaire et le contenu», relève Pascal Jaton. Certaines subtilités ont nécessité des heures de programmation: comme le Château de Chillon projeté uniquement dans l’assiette, alors que la nappe teintée de bleu évoque les profondeurs du lac.
Le spectacle sera amené à évoluer, au niveau du contenu et de l’esthétique, assure Pascal Jaton. Pour lui, il s’agit d’«une première saison». «Tout est possible techniquement. On peut projeter sur les murs, à 360 degrés, avec plusieurs projecteurs, illustre Pascal Jaton. Nous envisageons aussi d’élargir les capacités d’accueil et d’augmenter le nombre de tables.» Une traduction en allemand et/ou en anglais est envisagée.
Le concept s’adresse à des groupes de 8 à 14 personnes, pour des sorties familiales, entre amis ou d’entreprises. «Les soirées se remplissent très bien et attirent une clientèle diversifiée», se réjouissent les organisateurs. Plusieurs destinations touristiques auraient déjà manifesté leur intérêt d’importer ce concept afin de valoriser leur région. Enfin, cerise sur le gâteau: ces soirées auraient aussi permis de générer quelques nuitées.
La mode des dîners immersifs
Des repas pour dix convives mêlant sons, odeurs et projections. A Shanghaï, le chef triplement étoilé Paul Pairet avait ouvert la voie aux dîners multisensoriels en 2012 avant de clore ce chapitre en mars 2025. Egalement pionnier, le chef étoilé Paco Roncero du Sublimotion à Ibiza a lancé en juin sa 12e saison, parlant de métagastronomie. Le concept: une vingtaine de services et un décor qui change à chaque plat. «Le futur de la haute gastronomie sera immersif», lit-on sur son site web.
Désormais, on ne vend pas qu'un menu, mais une mise en scène totale: mapping sur les tables et les murs, son spatialisé, parfois avec réalité virtuelle ou augmentée. Le succès mondial du «Petit Chef», décliné en pop-up de Dubaï à Melbourne, en est l’exemple le plus viral. En Suisse, ce show est visible à Lucerne (Ameron Hôtel Flora), Zurich (Five Hôtel) et Bâle (Hôtel Hofmatt). Ailleurs, d’autres établissements conçoivent leur propre show. A Morat, l’Hôtel Bad Murtensee propose depuis 2021 «Dine and Light», un repas immersif à 360 degrés. A Schaffhouse, «A la Art» met en scène un menu en quatre plats, fruit d’un partenariat entre Rhyality AG et le Château de Schwandegg.
Menu ancré dans le terroir vaudois
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Le chef des lieux, Eugen Ligonnet (14 points GaultMillau), a composé le menu tout spécialement pour cette soirée immersive. Il s’est inspiré des six tableaux imaginés par Thematis et Lumen Creations. Chaque projection introduit le plan suivant, en cinq services, y compris le fromage. Ainsi, après avoir navigué sur le Léman, on déguste une quenelle de brochet avec sa sauce aux écrevisses et yuzu. Le tableau «Vevey en fête» laisse la place à un menu du terroir, imprégné des origines agricoles de la Fête des vignerons, à savoir un ravioli wonton croustillant farci à la saucisse au chou et truffe vaudoise. Le dessert s’inspire pour sa part de «l’hôte illustre» Henri Nestlé, inventeur de la poudre de lait, avec un galet de Vevey au chocolat au lait.
Ce voyage gustatif passe aussi par un accord mets et vins. Ces cinq propositions subtiles qui valorisent les crus des vignerons de Lavaux, à l’image du Chasselas Calamin Terre et Lac de la famille Neyroud-Fonjallaz ou le Merlot Barrique du Domaine de La Toveyre de Jérôme Neyroud, tous deux de Chardonne. Le Dézaley de Xavier Fonjallaz, à Epesses, vient quant à lui rehausser l’assiette de fromages servie avec un chutney de kiwi, vaudois lui aussi.
A Châtonneyre depuis 2021, Eugen Ligonnet quittera l’établissement à la fin de l’année pour retrouver sa vie de chef en Thaïlande qu’il avait dû quitter suite à la pandémie. Son successeur sera nommé prochainement. Le repas immersif se poursuit avec l’équipe en place. Le menu sera amené à évoluer au gré des saisons.
