[IMG 2]Cristina Gaggini, la détérioration des relations avec l’UE vous inquiète-t-elle?  
Oui. En février, le Conseil fédéral a certes – enfin –  proposé un nouvelle approche à l’UE mais le résultat des discussions exploratoires est décevant. Il faut arrêter de jouer la montre jusqu’aux élections fédérales et les syndicats devraient cesser de faire preuve d’intransigeance.

Quelles conséquences pour l’économie romande?
Une perte progressive de l’accès facilité au marché européen. C’est déjà le cas pour l’industrie des technologies médicales, bien établie en Suisse romande. Dans ce secteur, des sociétés doivent désormais se développer dans l’UE. En matière de recherche et d’innovation, la situation s’est aussi nettement dégradée pour nos instituts de recherche et nos entreprises. Le leader mondial du cryptage de réseau à sécurité quantique, basé à Genève, transfère une partie de son personnel à Vienne et n'exclut pas de quitter la Suisse. 

Que peut-on craindre si aucune solution n’est trouvée, notamment pour l’emploi? 
Il sera moins intéressant de développer des affaires ou de s’implanter en Suisse. Les PME en souffriront aussi, qu’elles soient sous-traitantes de l’industrie exportatrice ou des fournisseurs de services. Avec d’inévitables conséquences sur l’emploi, les recettes fiscales et le financement des assurances sociales.

Comment rétablir ces relations, selon vous? 
Le Conseil fédéral, les syndicats et les partis doivent arriver à un consensus, sans tarder, sur les questions institutionnelles. Le gouvernement doit aussi présenter une planification plus claire des prochaines étapes et améliorer sa communication vis-à-vis de l'UE pour regagner sa confiance. Economiesuisse continuera à faire pression pour que des négociations soient entamées le plus rapidement possible et à sensibiliser la population de la nécessité de développer la voie bilatérale. 


 

[IMG 3]Isabelle Moret, la détérioration des relations avec l’UE vous inquiète-t-elle?  
Qui ne serait pas inquiet de cette situation? L’UE est le premier partenaire économique de notre pays, et de loin: chaque jour ouvrable, nous échangeons des biens pour une valeur d’un milliard de francs! En 2021, 47% des exportations de notre pays se sont faites avec l’UE; c’est pratiquement la moitié de tous les produits et services exportés dans le monde. Cela démontre à quel point une politique européenne de la Suisse constructive est nécessaire, en particulier pour l’économie et les places de travail dans notre pays. 

Pouvez-vous citer quelques conséquences concrètes pour l’économie lémanique?
Pour un canton comme le mien, la bonne santé économique dépend aussi de la capacité des entreprises vaudoises à pouvoir exporter sur le marché européen sans entraves. Or, si les accords bilatéraux ne sont plus mis à jour, il est plus difficile pour les PME de vendre leurs produits sur le marché européen. La non-reconnaissance des normes dans le domaine des technologies médicales a par exemple eu d’importants effets négatifs pour cette branche, comme la délocalisation d’activités en Europe et la perte d’emplois en Suisse. Sans parler de la non-participation de la Suisse au programme européen de recherche «Horizon Europe», doté du plus grand budget au monde pour la période courant jusqu’en 2027. Cette exclusion est en effet dramatique pour notre EPFL et les hautes écoles dont la recherche est une partie essentielle de leurs activités. Plusieurs chercheurs ont ainsi quitté la Suisse pour poursuivre leur carrière au sein de l’UE.

Que peut-on craindre si aucune solution n’est trouvée? Notamment sur le marché de l’emploi?  
C’est comme si vous possédiez un smartphone récent, mais que vous ne puissiez plus faire de mise à jour. Dans quelques temps, il ne fonctionnera plus très bien, voire plus du tout. C’est la même chose avec les accords bilatéraux conclus avec l’UE. Pour ce qui est du marché du travail, une péjoration de nos relations avec nos voisins européens accentuerait, encore plus, la pénurie de main-d’œuvre. Plusieurs secteurs font face, déjà aujourd’hui, à des difficultés sérieuses. Prenez l’hôtellerie et la restauration où 46% des travailleurs dans mon canton sont des européens. En septembre dernier, plus de 8'000 places étaient annoncées vacantes à mes services. Si les relations avec nos voisins européens ne s’apaisent pas, on peut donc s’attendre à une aggravation de la pénurie de main-d’œuvre. Et évidemment, cela concerne tous les secteurs.

La pénurie d’électricité révèle l’importance des relations avec l’UE. Et l’urgence d’agir?   
La Suisse négocie un accord sur l’électricité depuis … 2007! Or, la fin des négociations sur l’accord-cadre institutionnel a aussi stoppé net toutes discussions à ce sujet, ce qui est problématique. On le voit fort bien aujourd’hui avec la crise énergétique. Un accord sur l’électricité resterait pourtant la solution la plus efficace pour garantir la sécurité de l’approvisionnement électrique du pays. Or, nous devons faire sans et ce, à un moment historique de l’histoire du continent européen. Cela veut dire que nous continuerons à devoir importer, mais sans règles claires, dans un climat d’incertitudes, et sans réelle collaboration avec l’UE. Cela va nous coûter cher, et on comprend aisément que l’UE aura à cœur de prioriser l’approvisionnement de ses membres plutôt qu’un pays tiers, comme la Suisse.

Comment rétablir ses relations, selon vous? 
Plusieurs rounds de discussions techniques entre représentants des deux parties ont eu lieu depuis l’interruption des négociations sur l’accord-cadre institutionnel. Les avancées ne sont pas spectaculaires, mais maintenir ce dialogue est essentiel. Nous connaissons les revendications de Bruxelles; elle connaît les nôtres. Je suis convaincue qu’un terrain d’entente est possible, mais des deux côtés, il faudra faire des concessions, un pas vers l’autre. La marge de manœuvre est restreinte, mais elle existe. C’est sur cela que les différents acteurs concernés doivent travailler. La Suisse est au cœur de l’Europe. Elle partage avec ses voisins une communauté de destin. Ne l’oublions pas!


Isabelle Moret, cheffe du Département de l'économie, de l'innovation, de l'emploi et du patrimoine et Cristina Gaggini, directrice romande d'EconomieSuisse, interviendront le 1er décembre à Lausanne, lors de l'événement «Suisse-UE: comment sortir de l’impasse?», organisé par l'initiative Ouverte+Souveraine.

Plus d'informations et inscription: ouverte-souveraine.ch/helvetia-lausanne-event

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