Claude Frôté laissait chanter son pays de Neuchâtel sans utiliser de produits préfabriqués dans l’assiette. Il aimait les intitulés de plats limpides et sans chichis: «Langoustine sauvage et sa gelée de piments». Claude Frôté représentait le sommet de la gastronomie neuchâtelois depuis plus de 36 ans, au Bocca, à Saint-Blaise, où il totalisait 17 points Gault Millau et 1 étoile Michelin pendant plus de 30 ans. Il vient de vendre son restaurant au 31 décembre, pour prendre une retraite bien méritée, comme le dévoile GaultMillau, quelques jours avant. Il passe les clefs de la maison au jeune chef Alexandre Luquet, qui tenait pendant près de dix ans, la Pinte Communale d’Aigle, où il a obtenu 15 points. Claude Frôté prenant soin de lui léguer toute son équipe fidèle. 

Le chef tenait à laisser seulement quelques jours à ses fidèles clients et fournisseurs, comme son ami le délicat affineur de fromages Pierre-André Sterchi pour lui dire au revoir, afin de ne pas réaliser d’opération commerciale sur cette annonce. L’affineur dit: «Je suis vite passé boire le café après le service de midi. Je voulais le remercier pour toutes ces années de complicité. Il était entier et drôle, comme toujours.» 

Tout Claude Frôté se résume dans ce départ: de l’élégance, des choix francs et assumés jusqu’au bout. Du panache même. Il préfère à coup sûr partager encore un verre de ce grand Chardonnay, au doux boisé, qu’il confectionne en alchimiste, avec son frère dans les secrets d’une cave historique de la Neuveville, avec ceux qu’ils aiment discrètement pendant le début de l’année 2023, que de pavaner au bord du fourneau.  

Comme pour bon nombre de Neuchâtelois, Claude Frôté nous aura donné envie de devenir gourmand, de défendre les bons produits. De comprendre des assiettes du terroir avec peu de goûts, mais toujours affirmées et terriblement goûteuses. Pour saluer un diplôme à l’école de commerce obtenu de haute lutte, on demandait à nos parents, cadeau suprême: un repas au Bocca. Comme le début d’une longue amitié sincère, partagée ensuite à de nombreuses reprises, notamment dans des performances communes de poésie et de simple déclaration d’amour au goût, à l’invitation de lieux de culture du canton de Neuchâtel. 

Claude Frôté détestait les clubs sandwichs des stations-service, véritables insultes au métier de cusinier et vénérait la belle cuisson unilatérale d’un filet de féra à l’absinthe. Dans un texte poétique consacré au  Bocca, j’écrivais ceci: «Le port de Saint-Blaise bruisse dans la nuit. Effluves d’une carte de janvier: mandarine, homard, chou rouge et des mystérieux chapeaux italiens servis sur de la bintje. Les deux hommes finissent au bar, confidences malicieuses dans la vapeur de coing, tapes dans le dos, pudeur. Le poème digère l’émotion et l’enquête commence.»